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Savoia : "Avec Marzi, j’avais envie de raconter autre chose que le matérialisme qui règne en France."

Par Laurent Boileau le 11 juin 2005                      Lien  
Avec la sortie en juin de {Marzi} (Dupuis) et en août du tome 3 d'{Al'Togo} (Dargaud), le dessinateur Sylvain Savoia passe un cap (nouvel éditeur, nouveau scénariste, nouveau style). Il évoque avec sa compagne, Marzena Sowa, les origines de {Marzi}, mais aussi son départ de l'atelier 510 (Morvan, Buchet, Lerolle...).

Comment est venue l’idée de Marzi ?

Savoia : "Avec Marzi, j'avais envie de raconter autre chose que le matérialisme qui règne en France."
© Savoia-Sowa-Dupuis

Sylvain Savoia : Marzi est née de l’intérêt des souvenirs d’enfance que Marzena me racontait de temps en temps. Le déclenchement de l’envie a été provoqué précisément par l’évocation de la carpe dans la baignoire (une des histoires de Marzi). J’étais vraiment éberlué par cette situation. Je lui ai demandé de mettre ça par écrit, déjà pour ne pas oublier et puis pour savoir ce que je pourrais en faire d’un point de vue narratif. Elle a commencé par écrire cette histoire et cela a agi comme un déclencheur. Des tas de souvenirs se sont précipités sur le papier (enfin, plutôt sur l’écran de l’ordinateur). Elle a écrit ça sous une forme de roman un peu désordonné, au rythme de sa mémoire. C’est un véritable exercice, chaque souvenir en appelle un autre, des portes s’ouvrent et beaucoup de moments, a priori oubliés, reviennent à la surface, pêle-mêle. Bref, toutes ces histoires reliées me montraient que le décalage entre son enfance et la mienne était réellement étonnant. Bien que nous n’ayons que dix ans d’écart, j’avais l’impression qu’elle avait vécu à une période antérieure à la mienne. Le tout dans un contexte parfois à la limite du surréalisme. J’avais envie aussi en premier lieu de donner à lire aux enfants un autre mode de vie, bien éloigné du matérialisme qui règne en France.

Comment avez-vous travaillé le scénario ?

Marzena Sowa
© Alexandra Jockmans

Marzena Sowa : J’écris les histoires toute seule comme une grande. J’essaie de mettre en rapport les différents thèmes abordés dans la vie de Marzi et de rester cohérente pour faciliter le travail d’écriture de scénario proprement dit. Sylvain part de mes textes, il ne change généralement rien afin de garder ce style parfois un peu décalé. Il réalise un découpage rapide, sélectionne le texte qui sera indispensable, et met en scène les situations évoquées. Parfois de manière très fidèle, parfois de manière plus onirique.

Après, éventuellement, il me pose des questions concernant le décor, les personnages ou un passage de texte qui n’est peut-être pas très clair au départ. On relit ça à deux et on apporte les corrections nécessaires directement sur ce découpage qui forme le scénario final.

Est-ce romancé ou 100% autobiographique ?

M. Sowa : C’est 100% autobiographique. Toutes les situations sont véridiques et les personnages réels.

Quel sentiment as-tu de voir tes souvenirs dévoilés à tous ?

M. Sowa : Étrangement bon. Dans l’album, il n’est pas précisé qu’il s’agit d’une autobiographie. Les lecteurs ne le savent pas directement et ce n’est pas nécessaire d’ailleurs. Moi, personnellement, je suis très émue que mes souvenirs d’enfance aient intéressé une maison d’édition ! C’est agréable.

Quelle suite sera donnée à "Marzi" ?

S. Savoia : L’idée est d’explorer plusieurs périodes de la vie de Marzena. Pour le moment on a de quoi travailler sur quelques albums autour de son enfance. Après il est possible que l’on s’intéresse à son adolescence puis à son arrivée en France à 22 ans. Je pense que d’avoir un avis polonais d’une jeune francophile confrontée à son rêve peut être très intéressant. C’est toujours délicat de se retrouver dans un endroit que l’on idéalise complètement, il y a forcément des déconvenues. Mais aussi de bonnes surprises...

Ce sera toujours des histoires en 6 planches de 6 cases ?

M. Sowa : Oui et non. D’ailleurs ça se voit dans ce premier album : certaines histoires ne font que deux pages, voire une, mais il y en a aussi une qui en fait 9 ! Par contre, on garde les 6 cases partout.

© Savoia-Sowa-Dupuis

S. Savoia : Bizarrement, le fait de se soumettre à un découpage en "gaufrier" donne une grande liberté. Plutôt que de chercher les effets de style et d’influencer le rythme de lecture par le découpage, je me concentre sur la case en elle-même et j’essaye d’être le plus pertinent possible dans mon adaptation. Au niveau du nombre de planches, cela dépend effectivement de ce que nous avons à raconter, il n’y a pas de contrainte. Le seul problème étant de trouver de la place dans Spirou Magazine pour caser 9 planches d’une même histoire. Mais la rédaction l’a fait et je les en remercie.

Ton trait n’est pas aussi réaliste que sur tes précédents albums, pourquoi ?

S. Savoia : En m’affranchissant d’un découpage à grand spectacle, j’ai fait de même avec le trait. Je n’essaye pas d’impressionner par mon dessin (déjà, j’aurais du mal !) mais au contraire je vise à être le plus direct au niveau de l’émotion. Je ne veux pas être non plus d’une rigueur drastique avec la représentation du réel. Si j’ai de la documentation tant mieux, sinon ce n’est pas grave, j’invente, j’extrapole à partir des détails que me donne Marzena. Ce qui me plaît le plus, c’est de réussir à transmettre au plus juste la sensibilité des situations sans sensiblerie facile. Et je me rends compte que ce travail m’attire beaucoup plus que de retranscrire le réel. En général, je n’aime pas trop les dessins qui ont un aspect quasi-photographique... Autant faire du roman photo.

Quel va être le planning de parution entre tes deux séries Al’togo et Marzi ?

S. Savoia : Nous avons un contrat sur 20 ans avec 5 albums par série à remettre chaque année...
En fait, non. Le but est de faire un album de chaque par an. Un rendez-vous régulier pour essayer de se trouver une place dans le flot des sorties. Pour le nombre d’albums, mystère. L’une comme l’autre dépendent aussi du succès qu’elle rencontreront dans un avenir plus ou moins proche. Mais le fait est que Marzena comme Jean-David (Morvan) ne sont pas en panne d’inspiration. Les deux ont une envie débordante de raconter des histoires. La seule limite est plutôt ma vitesse d’exécution. Un petit exemple : " Et du bas du bâtiment, ça commence à exploser. Les "fantassins" passent à l’attaque. Du ciel, on voit l’assaut. Ça se tire sec dessus. Tous les Communistes sont concentrés vers le bas. Et là, les hélicos commencent à tirer à la mitrailleuse rotative vers le toit. Ça fait déjà des dégâts." Je vous assure c’est plus long à dessiner qu’à écrire...

Marzi
© Savoia-Sowa-Dupuis

Le fait d’être pré-publié, en dehors de l’aspect financier, a-t-il un intérêt pour vous ?

M. Sowa : Beaucoup de gens découvrent Marzi en lisant Spirou. C’est assez drôle, j’ai l’impression que lorsqu’un Spirou entre dans une maison, toute la famille le lit. Après, on les retrouve en dédicace, tous ensemble !

S. Savoia : De plus il n’y a rien de tel pour tenir le rythme de travail que d’avoir une échéance régulière liée à la parution d’un hebdomadaire. C’est difficile de tenir des délais qui semblent très très loins dans le futur... On a l’impression qu’on aura toujours le temps, et il y a des impondérables... Je préfère que l’on me dise : il nous faut six planches dans quinze jours, plutôt que quarante-six dans huit mois... C’est plus électrisant.

Quel est le tirage de "Marzi" ?

S. Savoia : Disons que le poids total du tirage français équivaut à 99 Marzena ! Hé !Hé !

Tu sembles absent de l’atelier 510, ils t’ont viré parce que tu ne payais plus ton loyer ?

S. Savoia : Non, je me suis auto-viré... En fait, j’habite assez loin de l’atelier et en terme de temps et d’argent ça devenait franchement compliqué de faire le trajet. Et puis après neuf joyeuses années passées au sein de ce groupe d’amis, je commençais à y aller comme un fonctionnaire. Ce qui est à l’opposé de mon choix de vie. En fait, j’ai commencé à m’éloigner doucement et puis tout le monde s’est rendu compte que je ne reviendrai pas. J’ai fait quelques essais mais je ne m’y sens plus à ma place.

Tu t’investis dans le scénario et tu fais les couleurs de Marzi, volonté d’indépendance ou capacité à assumer le travail tout seul ?

S. Savoia : Un peu de tout, je crois. Je peux effectivement tout assumer mais le temps me manque et j’aime travailler avec les autres. C’est un métier suffisamment solitaire pour ne pas s’enfermer en plus dans un univers sans regard extérieur. Néanmoins je ferai sans doute quelque chose tout seul un jour prochain. Je l’ai déjà fait pour une histoire courte.

M’investir dans le scénario me semble essentiel à partir du moment où je vis en permanence avec les personnages, je les connais dans chaque détail. En les dessinant, je pense forcément à des situations ou des réflexions qu’ils pourraient vivre. J’adapte le scénario ou j’en parle à Jean-David (Morvan) qui les intègre le plus souvent. Là où ça se joue le plus, c’est au niveau des dialogues. Il y a des choses que le personnage ne peut pas dire, que je ne ressens pas être adapté à son caractère, Jean-David ou Marzena me laissent très libre à ce niveau.

Al’Togo
© Savoia-Morvan-Dargaud

Al’togo est une série européenne trop en avance sur son temps au vu du "non" français et hollandais ?

S. Savoia : C’est sans doute pour cette raison que les ventes plafonnent en dessous de Titeuf...
Je pense que nous aurions dû faire un référendum au préalable sur les chances de succès de cette série... En cas de réponse négative, nous aurions pu dire que nous avions compris le message et faire une histoire avec Jean-David Savoia et Sylvain Morvan aux commandes. Une sorte d’équipe complètement neuve et pleine d’idées nouvelles pour répondre aux exigences du public... Mais je m’égare...

Le fait d’avoir un scénariste comme Jean-David Morvan aux multiples séries est-il un problème pour toi ?

S. Savoia : Oui et non. Il est plus difficile de discuter du scénario cinq minutes au téléphone entre Tokyo et Grenade que de se voir une demi-journée pour approfondir les idées. Heureusement qu’il est médiatique car sinon, depuis que j’ai quitté l’atelier, j’aurai presque oublié à quoi il ressemble... Mais Jean-David is a professional et il me livre toujours les pages à temps. Humainement, forcément, on y perd.

Les ventes de Al’Togo sont-elles bonnes ?

S. Savoia : Excellentes, ha ! ha ! Encore un peu de champagne ??

Quel est le sentiment de Yves Schlirf (Dargaud-Bénélux) pour cette série ?

S. Savoia : Le mieux est de lui demander. Je crois qu’il est sincèrement enthousiaste.

Il était déçu de te voir partir chez Dupuis ?

S. Savoia : Oui. Mais je ne suis pas parti chez Dupuis, je me suis "étendu" chez Dupuis...

Le programme d’ici la fin de l’année ?

S. Savoia : FAIRE DU SPORT ! Je n’en peux plus de rester scotché à ma table à dessin... Sinon des pages. Plein.

(par Laurent Boileau)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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photo Sylvain Savoia © Marzena Sowa

 
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