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Seconde fournée de la "Petite Bédéthèque des Savoirs"

Par Charles-Louis Detournay Tristan MARTINE le 29 juillet 2016                      Lien  
Quatre nouveaux albums de "La Petite Bédéthèque des Savoirs", respectivement consacrés au tatouage, au droit d’auteur, au « Nouvel Hollywood » et au hasard. L’ensemble est très disparate, mais globalement de très bonne tenue. Une réussite de vulgarisation scientifique, doublé du format idéal pour les vacances !

Nous vous avions déjà parlé de la naissance, début mars, de la collection la Petite Bédéthèque des Savoirs qui réunit des dessinateurs et des spécialistes autour d’un thème précis à la manière d’un Que Sais-Je ? en bande dessinée.

Le rythme de parution de cette nouvelle entreprise éditoriale est assez soutenu, puisqu’après [les quatre premiers titres traitant de L’univers, Le Heavy Metal, L’intelligence artificielle et Les requins, quatre nouveaux volumes sont sortis simultanément il y a quelques semaines. Seconde fournée de la "Petite Bédéthèque des Savoirs"

Hollywood, bousculé dans ses fondations

Comme cela était déjà le cas en mars, ces nouveaux albums brillent par leurs différences, tant dans l’approche que dans la qualité du résultat. Le Nouvel Hollywood (d’Easy Rider à Apocalypse Now), de Jean-Baptiste Thoret & Brüno, traite d’une génération de jeunes cinéastes politisés qui, en lien avec les mouvements opposés à la guerre du Vietnam, ont créé une nouvelle manière de travailler à Hollywood.

Cette période s’étale en gros de 1967/1969 à 1975, et a installé des figures comme celles de Coppola, Scorsese, Altman, Romero, Cimino par exemple, avant que le public ne se lasse de ces films engagés et déprimants et que l’industrie du cinéma ne s’oriente donc vers des blockbusters purement divertissants, comme Les dents de la mer.

Comme c’était déjà le cas de l’album sur le heavy metal, il n’y a ici quasiment aucun dialogue. L’ensemble passe par un dessin illustrant un propos chronologique soulignant étape par étape les innovations et revenant sur les principales figures et les films les plus marquants de ce mouvement.

Mais la lecture est beaucoup plus fluide que dans le précédent titre sur heavy metal, ce qui permet de lire cet album du début jusqu’à la fin, en profitant pleinement du sujet. Soulignons surtout que le dessin de Brüno est, comme à son habitude, d’une rare élégance ! Lui confier l’illustration de ce propos allait de soi, tant cet âge d’or du cinéma américain a directement influencé sa production de Lorna à Tyler Cross en passant par Inner City Blues.

Tant sur la forme que sur le fond, Le Nouvel Hollywood s’inscrit comme l’un des meilleurs titres (si pas le meilleur) des huit albums actuellement publiés. Dessin et texte se soutiennent mutuellement, et la symbiose de deux permet une lecture aussi riche et dense que captivante. Bien entendu, il faut un minimum de culture cinématographique pour saisir les références multiples évoquées, mais le public cible pourra s’en saisir sans crainte d’être largué.

Le Droit d’auteur

Emmanuel Pierrat, avocat reconnu du Barreau de Paris, et Fabrice Neaud ont réalisé une étude sur le droit d’auteur et sur l’évolution du droit complexe de la propriété littéraire et artistique. L’album aborde de nombreux points étonnants, comme le fait que le « propriétaire intellectuel » d’un tatouage n’est pas le tatoué mais bien le tatoueur, et que la question sur la propriété intellectuelle des coiffures est actuellement débattue.

Là encore, nul dialogue, et il faut toute l’imagination graphique et à l’humour de Fabrice Neaud pour rendre dynamique cette explication technique et un peu « sèche » a priori. L’ensemble est assez enlevé, et on ne s’ennuie pas en sautant des procès des héritiers d’Hergé au droit des bases de données et au « creative commons » grâce à un découpage très rythmé.

Le Tatouage : le dialogue didactique

Les deux derniers albums adoptent une forme plus habituelle pour le lecteur de bande dessinée, utilisant les dialogues et jouant des interactions entre personnages.

Jérôme Pierrat, rédacteur en chef de Tatouage Magazine, scénarise l’histoire de cette pratique que l’on connaît depuis le néolithique et qui, depuis les années 1960, a connu un effet de mode à l’échelle mondiale. Le parti-pris narratif est le suivant : en prison, un détenu se réalise un tatouage minable sur le bras ; il est convoqué par le directeur qui, en guise de peine, lui explique l’histoire du tatouage et de ses significations depuis les origines. L’ensemble est ludique et divertissant.

Quant à Alfred, l’auteur-dessinateur des excellents Pourquoi j’ai tué Pierre et Come Prima, il réalise un magnifique travail de reconstitution des tatouages. De par sa thématique ou son traitement, Le Tatouage est sans doute l’ouvrage le plus facilement abordable pour le grand public. Une porte d’entrée pour un monde de savoirs.

Pas d’hasard au Lombard

Enfin, le quatrième album de cette seconde fournée est écrit par Ivar Ekeland, un mathématicien ayant développé un théorème célèbre qui porte son nom. Il scénarise un album intitulé : Le hasard, une approche mathématique. Si le propos peut paraître reboutant, il est pourtant au cœur de notre quotidien.

En effet, de la Bourse aux banques, des Assurances aux grandes compagnies et aux Etats, beaucoup d’institutions apparemment différentes utilisent l’étude du hasard et des probabilités pour tenter de prédire le mieux possible la fréquence d’apparition de certains faits, et surtout comment quantifier les mesures à prendre lorsque le fait se produit. Voyez à ce propos l’exemple ci-dessous : une concrétisation édifiante du propos, et une parfaite adaptation en deux planches seulement, quelle efficacité !

Étienne Lécroart est l’un des fondateurs de l’OuBaPo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle), et a beaucoup joué sur les contraintes formelles en bande dessinée et sur leurs limites. Avec beaucoup de malice, il s’empare de ce thème apparemment complexe mais pourtant très intéressant !


L’album met en scène le dessinateur interrogeant le scientifique, de manière sarcastique et très amusante. Le dialogue est rythmé, et très vite, les personnalités se dégagent des êtres de papiers, ce qui renforce l’intérêt général du propos. Les deux protagonistes s’appuyent notamment sur l’histoire (avec par exemple le système électoral vénitien à partir du XIIIe siècle, complètement incompréhensible, mélangeant élections et hasard), mais aussi sur différentes théories comme celle du chaos et son effet papillon.

L’avantage et l’inconvénient du propos tient dans la variation de la complexité des sujets abordés. Le parfait néophyte pourra lire la grande majorité du livre avec intérêt et plaisir. Même si parfois les démonstrations mathématiques sont un peu plus ardues à suivre dans le détail, alors que ces vertiges de réflexion sont rendus de la meilleure façon possible. Quant aux lecteurs plus habitués à manipuler les mathématiques, le fait de passer alternativement d’une très grande vulgarisation scientifique à des sujets plus approfondis pourra laisser un peu sur sa faim, surtout quand le niveau redescend après être monté en puissance. Ces derniers regretteront aussi le fait qu’on ait totalement laissé de côté l’aspect des probabilités, qui va pourtant de pair avec le hasard.

Ces petites considérations techniques ne doivent surtout pas dévaloriser cette excellente vulgarisation scientifique. Sur la base d’un sujet très peu vendeur, auteurs et éditeurs ont réussi un véritable tour de force : proposer une bande dessinée drôle et intéressante, en soignant la présentation, le découpage, et différents types d’humour, comme le running gag, ou le fait d’intervenir d’une case à l’autre. Au sein de la Petite Bédéthèque des Savoirs, Le Hasard se révèle certainement comme le meilleur album présentant le dialogue entre auteurs comme la trame narrative de l’explication du propos. A lire pour le plaisir, ou pour analyser cette très belle réalisation en bande dessinée

En guise de bilan

A nos yeux, cette seconde vague est donc plus homogène et globalement meilleure que la première. En comparaison à Sociorama (la collection sociologique de Casterman), la diversité de ton du Lombard, la qualité et l’expertise des auteurs allié au soin de la finition (scénario, dessin et couleurs) de La Petite Bédèthe des Savoirs force le respect, surtout pour un prix final de 10 € par album. Une vraie démonstration de force éditoriale !

De plus, le petit format ne nuit nullement à la lisibilité du propos, mais permet de l’emporter partout avec soin, du métro aux vacances !

Avec cette montée en puissance, il nous tarde déjà de découvrir la nouvelle fournée qui aura lieu en octobre 2016 avec les sorties de L’artiste contemporain par Nathalie Heinich & Benoît Feroumont, Histoire de la prostitution par Laurent de Sutter & Agnès Maupré, Le Féminisme par Anne-Charlotte Husson & Thomas Mathieu et Le Minimalisme par Christian Rosset & Jochen Gerner. A suivre…

(par Charles-Louis Detournay)

(par Tristan MARTINE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782803636945

Lire également notre premier article concernant cette nouvelle collection : La "Petite Bédéthèque des Savoirs"ou la réinvention de la bande dessinée pédagogique

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Visiter le site dédié à la Petite Bédéthèque des Savoirs

Sur le même sujet, lire également :
- Sociorama : la sociologie en bande dessinée
- Sociorama, les hauts et les bas de la société française

 
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