Caroline du Nord, dans les années 30, un train arrive en gare d’une petite station perdue dans les forêts. A son bord, le riche patron d’une entreprise forestière et sa jeune épouse. Chevelure rousse, regard noir et ferme poignée de main, Serena n’est pas la fragile jeune femme qu’attendaient les employés de George Pemberton...
Dans l’Amérique de la Grande Dépression, les emplois se font rares et les hommes sont à la merci des grands patrons, dont les Pemberton. Ceux-ci sont déterminés à exploiter les bois des Smoky Mountains coûte que coûte. Le temps presse car l’État convoite leurs terres pour y étendre les premiers parcs naturels. La vision des collines déboisées est à l’image du couple infernal, qui progresse en ravageant tout ce qui lui fait obstacle.
Le personnage de Serena, créé à l’origine par Ron Rash dans son roman éponyme, est taillé d’un bloc, inébranlable et absolu. Compétente, dure à la tâche et encore plus dure en affaires, elle suscite l’admiration sans bornes de son mari et la fascination mêlée de crainte des employés.
Dès les premières pages, elle s’affirme comme l’égale des hommes, qu’elle domine comme elle a dompté son aigle et sa monture. Telle une Lady Macbeth du Nouveau Monde, c’est elle qui pousse Pemberton à étendre son empire forestier et qui châtie les imprudents qui se dressent sur leur chemin. Serena plie le monde à sa volonté, ne reconnaissant ni les conventions sociales ni les interdits moraux : "Nous sommes au-dessus de tout ça, toi et moi."
Cette force minérale de Serena est portée par le dessin de Terek Risbjerg. Les personnages aux traits stylisés se détachent sur le paysage rude et grandiose des Smoky Mountains.
Contour des visages et regard de Serena, traînées sombres des troncs d’arbres, trait charbonneux qui s’estompe à la pointe d’une aile, les noirs répondent à la chevelure rousse de l’héroïne. Notons également la scène de chasse, où la silhouette estompée de l’ours, dernière trace de pureté sauvage du lieu, est tranchée nette par les coups de fusils de Serena, qui rappellent les coups de hache de ses bûcherons.
Cet album est un véritable coup de cœur, d’abord pour ses personnages intenses qui ont l’envergure de figures dramatiques, comme le couple Pemberton bien sûr, mais aussi Galloway, l’âme damnée de Serena. Le surnaturel affleure par moment, dans le personnage de la voyante, mais surtout dans l’endurance et la détermination sans bornes de la farouche Serena. L’arrière-plan historique est passionnant, les intérêts des grands patrons s’opposant à la volonté de préserver les paysages font écho aux préoccupations environnementales actuelles. Le plaisir tient également à la narration qui nous tient en haleine, ce bel album de se lit d’une traite : sans hésitation un candidat pour le Fauve d’or d’Angoulême 2019 !
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(par Lise LAMARCHE)
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Commander Serena à la FNAC