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Sergio Toppi : « Les Italiens ont toujours considéré la bande dessinée comme quelque chose d’inférieur ».

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 octobre 2007                      Lien  
Rencontre avec un des plus grands dessinateurs italiens : Sergio Toppi. Il est le dernier représentant d’une école graphique qui compta Hugo Pratt, Dino Battaglia ou encore Guido Crepax dans son cénacle. Un must.

Sergio Toppi, peu connu en France, malgré le formidable travail des éditions Mosquito, est l’un de ces auteurs dont l’Italie a le secret : son dessin est puissant et élégant, et se déploie dans la même vigueur dans la technique de la gouache ou dans l’aquarelle, que dans le noir et blanc où il se révèle être un maître, à l’égal d’un Hugo Pratt ou d’un Guido Crepax.

Né comme ce dernier à Milan, Sergio Toppi a aujourd’hui 75 ans. Après un parcours scolaire qu’il qualifie d’ordinaire, le jeune Sergio ne pensait pas devenir dessinateur et entreprend même d’entrer en faculté de médecine. Mais se rendant assez vite compte de son erreur, il bifurqua vers le dessin qu’il pratique depuis l’âge de 18 ans, d’abord dans l’illustration, puis dans la bande dessinée.

Nous l’avons rencontré à la galerie Maghen à Paris, alors qu’il profitait des rares rayons de Soleil qu’avait bien voulu nous accorder les derniers jours de cet été pourri. Nous devons cette conversation avec ce merveilleux artiste, fringant comme un jeune homme, grâce aux bons soins de Camilla Patruno qui en assura la traduction simultanée.

Sergio Toppi : « Les Italiens ont toujours considéré la bande dessinée comme quelque chose d'inférieur ».
La vitrine de l’exposition Toppi au métro Pyramides en Janvier 2007
Photo : DR

Quel est le premier magazine de bande dessinée dans lequel vous avez publié ?

Dans le Corriere dei Piccoli qui était un hebdomadaire pour la jeunesse à Milan. Comme le titre était plutôt laïc, il donnait à l’époque la possibilité aux grands dessinateurs italiens de se « lâcher ».

Votre production se compte en milliers de pages. Qu’est-ce qui vous a conduit dans votre carrière ?

J’ai fait les histoires que j’avais envie de faire, dans tous les registres et tous les genres, dans les revues les plus en vue de l’époque en Italie, comme Corto Maltese et Comic Art, aux côtés de mes amis Hugo Pratt et Dino Battaglia. En France, on m’a connu grâce à L’Histoire de France en Bandes Dessinées chez Larousse.

Sergio Toppi à Paris
Photo : D. Pasamonik

Votre dessin est très décoratif, un peu comme celui d’Esteban Maroto.

J’ai beaucoup regardé les dessinateurs espagnols mais ils ne m’ont jamais influencé. Les gens ont dit que mon amitié avec Dino Battaglia avait suscité des influences réciproques. Je ne le pense pas non plus. Chez Battaglia, il y a constamment un fond de gentillesse qui m’a toujours fait défaut. Mes personnages sont en général tous des salauds ! Je dirais que mon style est personnel. Je ne pense pas non plus avoir suscité des émules. Je ne le souhaite d’ailleurs pas car, comme dessinateur, il faut toujours chercher à rester soi-même.

Un exemple de l’art de Toppi sur les cimaises de la galerie Maghen
Photo : D. Pasamonik

Contrairement à certains de vos collègues, vous n’avez jamais créé un personnage récurrent, un univers que vous auriez développé dans une série…

La simple idée de dessiner le même personnage toute la vie durant me révulse ! C’est peut être un choix critiquable, mais c’était mon choix. Je reconnais que quelqu’un comme Pratt est bien plus célèbre que moi, mais je n’ai aucun regret car je suis fier de ce que j’ai fait.

Crépax a lui aussi tracé une voie singulière…

Oui, je l’ai bien connu. Mais j’étais surtout très lié à Dino Battaglia, un peu aussi avec Micheluzzi. Les autres, c’étaient des « connaissances ».

Sergio Toppi et son éditeur, Michel Jans (Mosquito)
Photo : D. Pasamonik

Votre éditeur Mosquito fait en France un travail de fond avec votre œuvre. On a l’impression que vous êtes presque mieux traité ici qu’en Italie.

C’est vrai que grâce à Mosquito, je suis maintenant connu en France où je n’avais quasi pas publié, excepté chez Larousse, il y a bien longtemps. Culturellement, l’attitude des Français vis-à-vis de la bande dessinée est très différente de celle que nous connaissons en Italie. Lorsque je me suis rendu à Angoulême, j’ai réalisé à quel point la bande dessinée était importante ici. Les Italiens, au contraire, ont toujours considéré la bande dessinée comme quelque chose d’inférieur. Le mot même de « fumetto » qui désigne la bande dessinée en italien et qui signifie « petit nuage » pour évoquer le phylactère, est un diminutif. Tout est dit.

Couverture de Waramunga
Editions Mosquito

Vous travaillez encore beaucoup ?

Oui. Comme je ne produis pas de série, je ne peux pas trop vous donner une moyenne d’autant que mon éditeur Michel Jans [le patron de Mosquito] me demande régulièrement de faire des portfolios ou des illustrations, un boulot que j’adore. Ce n’est donc pas quantifiable.

Quels sont vos projets ?

Là, Mosquito va publier un album que j’avais réalisé il y a une dizaine d’années dans un style un peu japonisant, et je travaille en ce moment sur un projet d’album inédit.

Quelle est la bande dessinée que vous avez faite dans votre carrière et dont vous êtes le plus fier ?

Celle que je ferai demain !

Propos recueillis par Didier Pasamonik le 24 septembre 2007.

Une planche de Sharaz-De
Editions Mosquito

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En apprendre plus sur Toppi sur Le site des éditions Mosquito

En médaillon, Sergio Toppi par Didier Pasamonik.

 
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1 Message :
  • que les tristes revues-papier ont plutôt tendance à oublier. Sergio Toppi fut notamment présent à la Conciergerie, où les amateurs faisaient patiemment la queue pour obtenir une de ses magnifiques dédicaces personnalisée : "Vous voulez quel personnage ?". L’occasion de le remercier en italien et de lui souhaiter longue vie...

    Le travail des éditions Mosquito est en effet remarquable et met bien en valeur la production de cet auteur italien au trait magnifique. Son refus de s’enfermer dans une seule et unique série témoigne d’une belle liberté de penser (le problème, c’est qu’en utilisant cette expression, on entend tout de suite une chanson de supermarché, désolé !°)

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