Scénariste aujourd’hui majeur dans l’industrie du comics mainstream, Tom King est désormais connu pour son important travail autour de Batman. On lui doit ainsi une série autour du premier sidekick du Chevalier Noir, Grayson mais aussi et surtout la reprise de la série principale dédiée au Croisé à la Cape dans le cadre de Rebirth, ainsi que quelques récits annexes comme Le Badge ou À la vie, à la mort.
Mais Tom King mena aussi une autre vie qui mit entre parenthèses sa carrière au sein de l’industrie du comics. En effet, à la suite du 11 Septembre, il s’engagea au sein de la CIA en tant qu’agent dans la lutte contre le terrorisme. À ce titre, il se rendit lui-même en Irak après la chute du régime de Saddam Hussein. C’est cette expérience précise qui sert de matériau à la mini-série en 12 épisodes Sheriff of Babylon.
L’action se situe en février 2004, en Irak. Les Américains prétendent à la suprématie dans le pays mais ne parviennent à assurer un semblant de sécurité que dans un quartier limité de la capitale, la "Green Zone". À l’intérieur de celle-ci, Chris, ancien policier de San Diego, forme la future police de Bagdad.
Désabusé et déjà amer face à la situation qu’il découvre sur place, il fait de la résolution de l’assassinat d’une de ses recrues un combat personnel. Une manière de trouver un sens dans un univers qui s’en trouve désormais totalement dépourvu. Il s’appuie pour cela sur Sofia, relais des pouvoirs américains sur place, et sur Nassir, ancien bourreau ayant une fine connaissance du terrain.
La première, seule survivante parmi sa famille d’une ancienne purge de Saddam Hussein, fut élevée aux États-Unis. Elle entretient des liens complexes avec les deux pays et s’engage dans un jeu politique périlleux. Le second, qui aspirait au changement, navigue à présent en eaux troubles sans se départir d’une lucidité cynique sur les événements qui se déroulent.
L’enquête, a priori sans réelles conséquences, entraine nos trois personnages dans une suite de péripéties aux conséquences toutes plus graves les unes que les autres. Pourtant, ce ne sont que quiproquo, faux-semblants et mascarades. À Bagdad, tout le monde semble jouer un rôle et n’exister qu’à travers des postures qui ne sont qu’impostures. Et le prix à payer pour trois individus résolus à sérieusement comprendre une vérité, même mineure, sera bien lourd.
Sheriff of Babylon pourra d’abord rebuter par son sujet, son point de vue initialement américain et son traitement, finalement très réaliste. Mais s’en tenir là conduirait à passer à côté d’une bonne série, percutante par le désenchantement militaire et politique qu’elle met en scène.
Tom King décrit un milieu où règne un absurde ô combien tragique que ne renierait pas Albert Camus. Il peint des personnages tout en nuances, loin de tout manichéisme et de tout schématisme, certaines figures de militaires mises à part, présentes pour incarner la médiocrité de la domination américaine.
On reste également assez stupéfait par cette plongée dans le Bagdad de l’immédiat après Saddam, entre quotidien d’occupation et menaces latentes constantes et violence prête à surgir à tout moment et en tout lieu, de manière totalement arbitraire. Sheriff of Babylon offre ainsi une vision de la guerre qui détonne dans le paysage du comics.
(par Aurélien Pigeat)
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Sheriff of Babylon. Par Tom King et Mitch Gerads. traduction Maxime Le Dain. Urban Comics, collection "Vertigo Deluxe". Sortie le 7 septembre 2018. 300 pages. 28 euros.
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