On a reproché à Simon Roussin son usage du crayon de feutre et des couleurs criardes : un misérable subterfuge visant à attirer l’attention d’un public prétendument avant-gardiste et assoiffé de nouveauté sur un ouvrage non-maîtrisé qui, autrement, serait passé inaperçu, ont dénoncé certains.
Avec Heartbreak Valley, son nouvel opus paru chez 2024, Simon Roussin, qui semble avoir fait sien le mot de Victor Hugo qui se disait « stupéfait de la quantité de critique que peut contenir un imbécile » [1], réduit littéralement à néant ces jérémiades.
Dans une démarche qui ne manque décidément ni d’humour ni d’ingéniosité, l’auteur troque cette fois-ci ses feutres acidulés pour les très en vogue fifty shades of grey : l’album est en noir et blanc ! Et vlan dans les dents.
Mettant en scène le personnage d’Eliot, un détective privé de pacotille qui ne supporte pas la lumière du jour et qui, comme Roy Orbison (dont la musique marshmoelleuse intervient dans le récit), ne quitte jamais ses lunettes fumées, Heartbeak Valley propose un remède aussi efficace que radical aux lecteurs dont les albums de Roussin donnent l’impression de faire un bad trip d’acide : ils n’ont qu’à les lire dans l’obscurité.
Mais profitez-en, chers lecteurs filtriphobes, Heartbreak Valley, comme le suggère son scénario, n’est qu’une simple éclipse dans l’œuvre psychédélico-magiciend’ozienne de Roussin...
Petite ville paisible il y a quelques jours encore, Heartbreak Valley est soudainement prise d’assaut par des milliers de touristes venus assister à « la plus longue éclipse solaire de toute l’histoire de l’humanité ». Leur curiosité les a bien inspirés, sans doute, puisque, suite à l’éclipse, la lumière du soleil ne reparaîtra plus hors des limites de cette ville.
Tandis que le monde privé de couleur et de chaleur sombre peu à peu dans le chaos et la folie, Eliot s’enfonce dans l’obscurité la plus totale à la recherche de Jenny Moore, une jeune femme inconnue dont, on ne sait pourquoi, la photo l’obsède. (Hypothèse personnelle de votre humble chroniqueur : parce que la photo est en noir et blanc et que le détective voudrait voir de quoi cette fille aurait l’air en couleur ?)
Blague à part : Heartbreak Valley, probablement le meilleur album de Simon Roussin jusqu’à présent, démontre une fois pour toutes, s’il était besoin, que l’auteur maîtrise pleinement son art, du moins en ce qui a trait au dessin.
Le scénario est d’une naïveté qui, si elle reste amusante et contribue au récit en lui donnant une sorte de caractère onirique, laisse un peu à désirer. En revanche, le travail sur les ombres et les jeux de contrastes entre les aplats de noir, de gris et de blanc sont remarquables. La preuve ultime que les BD de Roussin ne doivent pas exclusivement l’attrait qu’elles exercent au traitement tape-à-l’œil de la couleur.
Voir en ligne : Site de l’auteur
(par Manuel Roy)
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Lire l’interview de Simon Roussin : " Je n’ai pas l’impression d’être dans l’hérésie."
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[1] Citation de Victor Hugo mise en exergue par les éditeurs au dépliant qui accompagne et présente le nouvel ouvrage de Simon Roussin.
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