Quel est votre parcours ?
Je suis entré directement en troisième année dans l’atelier d’illustration de Guillaume Dégé à l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg. Avant cela, j’avais fait trois ans de communication visuelle à Nevers et un an aux Beaux-Arts d’Épinal.
La classe de Guillaume Dégé est plutôt réputée car elle a fait sortir pas mal de jeunes auteurs...
Oui, dans ma promotion, il y avait Marion Fayolle, Mayumi Otero du collectif Icinori, Annabelle Buxton... Dans les années précédentes, il y avait Léon Maret qui publie comme moi chez 2024... J’en oublie, oui, c’est plein de gens intéressants.
C’est un prof stimulant ?
Oui, cet adjectif lui va bien. Il a cette qualité de créer une émulation entre les élèves, d’être un déclencheur. Il pousse vraiment ses élèves à travailler ensemble, à développer des choses, de façon très dynamique. J’ai l’impression que l’on progresse très vite grâce à cela.
Vous avez publié deux bandes dessinées et un livre pour enfant. Pour le jeune auteur que vous êtes, que vous inspire le paysage éditorial actuel où l’on parle de crise, de surproduction, d’un secteur qui souffre particulièrement en ce moment, etc., qu’est-ce qui vous donne envie d’y aller quand même ?
Ce n’est une question que je me pose. J’ai la volonté de raconter des histoires depuis que je suis tout petit. Je n’imagine pas faire autre chose : raconter des histoires et faire de la bande dessinée.
Comment avez-vous trouvé vos éditeurs ?
J’ai eu beaucoup de chance au début. Quand je suis arrivé à Strasbourg, j’avais posté ma toute première bande dessinée sur le site Internet GrandPapier.org et cette maison d’édition belge a proposé d’en publier le livre, alors que je ne l’imaginais même pas ! Je n’avais pas du tout une démarche éditoriale, c’était ma première bande dessinée. J’ai eu beaucoup de chance de voir ce projet devenir un livre : Tout à coup, on existe, il y a quelque chose qui se déclenche. Cela m’a donné envie de me dépasser. Ce qui est pratique avec Internet, c’est qu’on a tout de suite un retour des lecteurs. Quand on se cherche, quand on expérimente, c’est extrêmement enrichissant.
Votre album chez 2024 n’est pas passé inaperçu auprès de notre communauté de lecteurs, d’autant que vous étiez dans la sélection d’Angoulême 2012. Qu’est-ce qui vous a fait choisir cette technique de dessin au feutre ?
C’était déjà la technique de mon précédent livre chez Grand Papier. Cela venait de mon envie de faire un livre sur un héros de mon enfance, et de la bande dessinée de genre, ces récits d’aventure que je lisais dans les vieilles BD de mon père, des trucs un peu désuets. De l’autre côté, je ne suis pas bon en technique d’encrage et de mise en couleurs au pinceau, ni dans la colorisation informatique. Le feutre est une technique vers laquelle je suis allé logiquement car elle avait ce côté un peu naïf qui allait beaucoup avec mon propos de revenir à un plaisir enfantin de la bande dessinée, de retrouver les sensations de lecture de mon enfance dans ma pratique. Le feutre permettait exactement cela.
Est-ce que le plaisir obtenu dans la pratique peut être celui des lecteurs, est-ce qu’ils vous préoccupent seulement ?
J’espère que mes lecteurs ont un plaisir à lire mes livres mais au moment du choix du feutre, c’est parce qu’ il me semblait le médium le plus approprié à mon propos.
Il y a là la volonté d’un retour à un propos plus primitif, comme en peinture avec le Douanier Rousseau ou même l’Art brut ? Ou une volonté radicale de déconstruire une bande dessinée qui se sclérose ?
Non, je n’étais pas du tout dans ce geste-là. À aucun moment, je me suis dit que j’explosais des codes, ce n’était pas prémédité. je n’avais pas la volonté d’être provocateur. il y avait quelque chose d’adéquat, de naturel, d’instinctif qui me plaisait beaucoup. J’avais envie d’avoir un rapport à l’original, au papier, à la couleur directe. Cela m’amusait vachement de le faire au feutre.
Parmi les auteurs d’aujourd’hui, quels sont ceux qui vous semblent ressortir de votre famille d’expression ?
C’est délicat à définir. il y a beaucoup d’auteurs dont j’admire le travail. Les auteurs franco-belges des années 1960... J’ai beaucoup d’admiration pour Tillieux, par exemple. Ou encore pour Yves Chaland dans les années 1980. Il a été très important pour moi. Après, dans les auteurs contemporains, je lis beaucoup Daniel Clowes, Chris Ware,... Dans les Français, je suis très éclectique. J’aime beaucoup Blutch, Anouk Ricard, Emmanuel Guibert, Christophe Blain, plein de gens, en fait. Je suis un grand lecteur de bande dessinée et il y a beaucoup de choses que je ne connais pas. J’essaie d’être curieux.
Par ailleurs, je lis beaucoup : Hemingway, Fitzgerald, Romain Gary,... et je suis assez cinéphile, depuis très longtemps. Que ce soit le film noir des années 1950, ou le Nouvel Hollywood : Sam Peckinpah, Arthur Penn, John Huston, Scorcese, De Palma... La Nouvelle Vague française : Truffaut, le Godard de Pierrot le fou.
Les choix esthétiques que vous avez faits, qui vous mènent chez des petits éditeurs, ne vous condamnent-ils pas à une certaine marginalité ?
Il ne faut pas du tout que je réfléchisse comme cela sinon mon travail d’auteur deviendrait un travail de commande, alors que pour l’instant, ce qui m’importe, ce sont mes envies de livre, mon besoin de raconter des histoires, et je les fait comme cela. Alors, à côté de cela, je fais de la presse et des illustrations, et j’aime cela. Je ne me pose donc pas du tout de questions en ce qui concerne ma "carrière".
Quel est le bilan que vous pouvez faire sur votre dernier ouvrage en termes de reconnaissance ?
La sélection d’Angoulême m’a surpris et flatté. C’était incroyable. Lemon Jefferson était mon vrai premier livre, que je voulais voir exister un jour, alors que Robin Hood était plutôt un projet scolaire. Cette reconnaissance-là était comme un rêve de gosse !
Est-ce que vous avez compris pourquoi ils vous avaient choisi dans les 5000 bouquins parus l’année dernière ?
Je ne sais pas et je crois qu’il ne faut pas se poser la question. Il a aussi plein de livres très bons qui sont sortis cette année-là et qui n’ont pas été sélectionnés. J’ai été très heureux de cette sélection, c’est sûr.
Est-ce que cela a eu un impact sur les ventes ?
Je ne sais pas vraiment. il y a eu plus de presse car les libraires et les journalistes se sont intéressés à la sélection. Peut-être qu’il serait passé plus inaperçu s’il n’avait pas été sélectionné...
Comment le public que vous avez rencontré a-t-il réagi face à votre travail ?
Les impressions des lecteurs, c’est crucial. Il m’arrive que, dans une séquence que je trouvais tragique à souhait, les gens me disent qu’ils ont ri aux éclats. C’est assez troublant, parfois.
Quels sont vos projets ?
J’ai une nouvelle BD qui sera présentée en avant-première à Angoulême chez 2024. Ce ne sera pas du feutre... C’est une BD en noir et blanc entre le film noir et le mélodrame. C’est l’histoire d’un détective qui cherche une femme qui a disparu, pendant une éclipse qui ne s’arrête jamais... Le monde reste dans l’obscurité sauf à un seul endroit sur terre. Cela s’appellera Heartbreak Valley.
Mon autre ouvrage paraîtra chez Magnani qui avait publié un précédent album (Les Aventuriers, mars 2012). Ce sera un western tout au feutre avec des grandes doubles pages encore plus expressives que dans Jefferson.
Vous avez du voir passer les réactions à notre article sur Jefferson dans ActuaBD.com. Quand on vous dit que votre dessin est celui d’un enfant de trois ans, cela vous vexe ?
Pas du tout, cela me fait rire aux éclats ! Je ne sais pas comment on peut avoir ce genre de discours. Cette polémique provoque chez moi un étonnement qui me fait beaucoup rire. Je ne la comprends pas, je ne vois pas son utilité surtout...
Votre dessin peut faire croire à une apparente facilité. Est-ce le cas ?
Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas comment qualifier mon dessin. Je n’ai pas l’impression d’être dans l’hérésie. J’essaie de raconter des histoires le plus humblement possible. Je fais appel à des codes archétypaux de la bande dessinée que je revisite avec le feutre. Je dessine comme je peux avec ce que j’ai. Je suis très ouvert à la critique. je préfère les critiques négatives aux critiques positives de la part des gens qui ont lu le livre et qui vont avoir une critique constructive. je ne peux rien retenir de la critique des gens qui disent que je dessine comme un enfant. C’est pourquoi je regarde cela avec un peu de distance et d’amusement.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Découvrez le travail de Simon Roussin sur son site
Lire sur ActuaBD.com la chronique de Robin Hood
Commander "Robin Hood" chez Amazon ou à la FNAC
Lire sur ActuaBD.com la chronique de Lemon Jefferson
Participez à la discussion