Il s’agissait du grand événement qui clôturait le tome huit : Shiori retrouvait enfin la mémoire et le lecteur se posait la fameuse question : qu’allait devenir « la Shiori amnésique » ? Allions-nous assister au retour de « l’ancienne et méchante Shiori » ?
C’est à peu près à cela que nous avons droit dans ces trois derniers tomes, avec une narration tout en douceur comme à l’accoutumée, qui nous mène lentement mais inexorablement au dénouement. Ainsi, dans un premier temps, Shiori décide de cacher son « retour » à ses proches afin de « profiter » des bienfaits de son image positive « renouvelée ».
Ce développement se révèle intéressant car il permet de passer de l’autre côté du miroir : de découvrir « enfin » ce que ressent, jusque dans sa chair, cette jeune fille considérée par tout un chacun comme mauvaise et égocentrique.
Et bien évidemment la psyché de la « vraie » Shiori apparaît complexe, tout en restant paradoxalement simple : une obsession envahissant la moindre de ses pensées, s’immisçant dans chaque recoin de son être, et qui la dévore de l’intérieur. Shiori n’existe que pour et par son désir obsessionnel qui lui est impossible à assouvir.
De là naît une frustration qui l’amène à ne plus voir rien d’autres, à ne comprendre et à ne s’intéresser à plus rien d’autre et même à tout détester : le monde entier devenant un défouloir pour sa frustration qui se change en force autodestructrice.
Du classique dans le fond, avec un récit qui va se dérouler sans réelle surprise jusqu’à sa fin, en passant par diverses étapes et rebondissements attendus, dont l’inévitable fugue « finale » qui permet à la fratrie de se retrouver et à chacun d’entre eux de se confronter à ses réels sentiments mais également à la question de sa « place » au sein de leur famille.
Six Half [1] se termine de la manière dont le lecteur pouvait le deviner très tôt. Le récit déploie avec régularité et systématisme des motifs classiques du genre, de l’amnésie provoquée par une chute en moto, de l’amour interdit, à la situation familiale complexe, en passant par la case « mode », le tout sous une intrigue et un symbolisme, certes efficaces mais en fin de compte peu originaux.
Cependant, si le manga de Ricaco Iketani a su nous passionner et nous émouvoir au cours de ses onze tomes, c’est moins pour son intrigue cousue de fil blanc, que pour la justesse de ses personnages, de la sensibilité de la mise en scène de leur sentiment et de leur tourment, de l’immense tendresse qui émane des pages et du trait délicat et profond de la mangaka.
C’est dans l’exécution que Six Half se distingue : par la façon dont Ricaco Iketani nous mène aux moments de déchirement de ses personnages et dont elle travaille leur point de rupture. En ce sens l’instabilité de Shiori se révèle un parfait dispositif narratif. Notre héroïne qui se bat constamment avec ses désirs contrariés, se retrouve ainsi toujours en décalage avec son entourage, qui ne sait comment réagir, donnant lieu ainsi à de très belles scènes de détresse ou de dispute.
Si l’histoire se révèle simple, rien n’est simple pour ses Shiori et ses amis, dont le parcours et la psyché se révèlent complexes, sans pour autant s’avérer tordu ni malsain. Ils se révèlent tout simplement attachants, installant chez le lecteur l’irrésistible envie de pousser toujours plus loin la lecture dans l’espoir de les voir enfin heureux.
Une belle et puissante œuvre sur la famille et l’amour.
(par Guillaume Boutet)
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Six Half T9, T10 & T11. Par Ricaco Iketani. Traduction PBVT. Delcourt Manga, collection "Shôjo". Sortie le 17 février 2016, le 20 avril 2016 & le 22 juin 2016. 192 pages, 192 pages & 224 pages. 6,99 euros.
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Six Half sur ActuaBD :
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Lire la chronique des tomes 7 & 8.
Lollipop de Ricaco Iketani sur ActuaBD :
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[1] à propos du titre de l’œuvre, relativement mystérieux, il s’agit d’une pointure de chaussure ! En effet le lecteur curieux aura remarqué que l’arrière de la couverture comporte toujours une paire de chaussures, assortie à la tenue de Shiori en devant de couverture. L’idée du titre est simple : se sentir bien ou pas dans ses chaussures, ce qui va parfaitement au parcours de son héroïne !