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Sorel : « J’aime avoir un contact physique avec les matériaux lorsque je dessine »

Par Nicolas Anspach le 17 avril 2009                      Lien  
{{Guillaume Sorel}} s’échappe des univers fantastiques qu’il aime mettre en place pour un récit plus intimiste scénarisé par la photographe {{Lætitia Villemin}}. Le duo nous raconte différents fragments de l’existence d’une femme, Éphémère, qui est confrontée aux tourments de la vie.

Une bande dessinée où l’écrit a toute son importance ; les dialogues y sont rares et les textes importants.


Sorel : « J'aime avoir un contact physique avec les matériaux lorsque je dessine » Le début de « Mâle de mer » est très littéraire. Laetitia Villemin aurait-elle rédigé une nouvelle avant que cette bande dessinée n’existe ?

G. Sorel : C’est exact ! Je connais Laetitia depuis quelques années. Cette amie est devenue ma voisine. J’ai emménagé dans une maison près de chez elle. Elle me donnait régulièrement ses textes à lire et elle m’a appris plus tard, qu’elle était avant tout photographe. J’ai tout de suite craqué pour son style d’écriture. Nous avions déjà collaboré ensemble avant ce livre. J’avais alors peint des toiles en m’inspirant de ses textes. Nous avions édité nous-même un livre regroupant ces travaux.
Lorsqu’elle m’a donné à lire sa nouvelle « Mâle de mer », je lui ai directement proposé d’en faire une adaptation en BD. Son texte était fort riche, et il m’a fallu trouver une solution pour préserver son aspect littéraire et la profondeur des évènements racontés.

En effet. Cet album aborde notamment le sentiment d’abandon qu’éprouve une mère suite au départ de son enfant …

GS : J’ai moi-même été étonné de travailler sur ce type de récit. Il diffère totalement des fictions et des univers féériques et fantastiques qui me sont coutumiers. Lætitia travaille sur le quotidien et les sentiments. Ce n’est pas un livre autobiographique, mais elle y a incorporé des sensations que nous avions, l’un ou l’autre, déjà ressenties. Lætitia savait, qu’à certains moments, elle allait me toucher…

LV : Le thème de la douleur qu’éprouve une femme m’est venu naturellement dans ma nouvelle. Mais je ne savais pas si la retranscription allait être possible dans l’adaptation en bande dessinée. La mélodie et la poésie des mots étaient importantes. Ce livre commence avec beaucoup de dureté. Il aborde des sentiments intimes. Les moments de silence étaient primordiaux. Il fallait un équilibre entre le texte et le dessin.

Male de Mer - Planche 1
(c) Sorel, Villemin et Casterman

Vous jouez sur les genres. On se demande parfois si ce livre est bel et bien une bande dessinée.

GS : C’est vrai ! Est-ce une rêverie graphique ? Une nouvelle illustrée ? La bande dessinée peut aussi être l’un ou l’autre... On parle beaucoup de roman graphique aujourd’hui. Ce terme est parfois employé de manière exagérée. Mâle de mer est une bande dessinée très littéraire, et donc le terme « roman graphique » pour définir ce livre n’est pas galvaudé….

Votre style graphique a évolué pour cette histoire, mais on sent toujours la fluidité picturale qui caractérise votre dessin.

GS : Je me considère plus comme un peintre qu’un auteur de BD ! La matière m’est indispensable. J’ai besoin de mettre mes doigts dans l’encre ou la peinture et d’avoir un contact physique avec les matériaux ! Je suis aussi passionné par la retranscription de la pierre qui s’effrite, par les marques du bois qui vieillit, ou encore par la lumière des bougies à travers les verres. C’est pour ces raisons que la bande dessinée me paraît de moins en moins indispensable. Seul le travail graphique m’est important.
Progressivement, d’album en album, je m’éloigne de plus en plus de l’histoire. Je laisse le soin au scénariste de gérer le récit. Je compte changer d’ailleurs de métier dans les prochaines années.
Le challenge sur Mâle de mer consistait à travailler au trait, en noir et blanc. C’était la première fois que j’utilisais le pinceau pour l’encrage. Je voulais créer un déséquilibre dans mon dessin afin de faire passer plus d’émotion. D’habitude, je travaille à la plume, puis au pinceau pour la couleur. J’étais inquiet quant à savoir si j’allais pouvoir retranscrire les matières avec la même force. C’était de l’improvisation à chacune des pages. Je suis heureux que vous me posiez cette question : elle est la preuve que j’ai réussi mon pari !

Male de Mer - Planche 2
(c) Sorel, Villemin et Casterman

Si vous vous considérez plus comme un peintre, pourquoi avoir réalisé des bandes dessinées ?

GS : J’aime raconter des histoires. J’ai étudié aux Beaux-arts à Paris. Je m’y ennuyais profondément. Les professeurs me disaient que mes travaux étaient trop narratifs. On m’obligeait à aller vers l’abstraction et la sobriété. Moi, au contraire, j’allais vers plus de narration. La BD me correspondait.

Vous venez de me dire que vous arrêtiez la BD …

GS : Oui. Je vais clôturer Algernon Woodcock, ma série aux éditions Delcourt. Il me reste encore trois albums à dessiner. Après cela, j’arrêterai la BD ! En vingt ans, j’aurais réalisé une trentaine d’albums. Je vais devenir cuisinier et ouvrir un restaurant. Je pense pouvoir raconter autant avec ma cuisine qu’avec mon dessin ! C’est une vraie intention, une vraie volonté. Mais je dessinerai toujours, que cela soit des illustrations ou des peintures. Ceci dit, j’envisage sereinement la réalisation de mes derniers albums. Je veux être honnête avec mon public et mon éditeur. La BD demande une telle masse de travail que je ne peux rien faire sur le côté.

Laetitia Villemin, avez-vous envie de voir l’une de vos autres nouvelles adaptées en BD ?

LV : Ce média me plaît beaucoup. Mais mon activité principale est la photographie. Je ne pense pas que je reprendrai un stylo pour écrire un scénario de BD. Mais qui sait ? Peut-être qu’une rencontre m’en donnera envie.

Ce livre est publié dans la collection Écritures des éditions Casterman.

GS : Le projet a eu plusieurs formes. D’abord une nouvelle, puis une adaptation en bande dessinée développée en trois parties. Les éditions Casterman nous ont proposé de développer cette histoire en un seul livre. La publication de Mâle de mer dans cette collection a tout son sens.

Cette histoire a pour cadre la Bretagne. Ce choix était-il obligatoire ?

GS : Oui. C’est là où nous vivons. J’aime la mer et j’ai toujours recherché à m’en rapprocher. Généralement, je travaille en atelier en dessinant des lieux imaginaires. Pour Mâle de Mer, je partais sur les lieux de l’action, à Camaret ou à Doëlan, pour réaliser des croquis et des dessins plus poussés. Ce livre est particulier. On aborde des choses qui me touchaient. Et je connais les personnes auxquelles on fait allusion dans le récit… Il était donc naturel de placer notre histoire dans ces lieux.

Vous travaillez essentiellement pour les éditions Delcourt et Casterman. Ressentez-vous un accompagnement particulier chez eux ?

GS : Il n’y a aucune confiance possible avec un éditeur ! Il faut le dire. Mais j’ai des moments forts agréables avec mes interlocuteurs. Je ne souhaite pas appartenir à mes éditeurs. Dès que je signe un projet, ils ne me voient plus pendant des mois. Je leur amène mes planches lorsque j’ai terminé mon travail. Je ne suis donc pas très représentatif d’une bonne relation entre un auteur et un éditeur. Mais je sais que Lætitia a eu de nombreux contacts avec Nadia Gibert, notre éditrice chez Casterman, à propos des textes.

Male de Mer - Planche 3
(c) Sorel, Villemin & Casterman

(par Nicolas Anspach)

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- La chronique de Algernon Woodcock T3

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Photo des auteurs : (c) Nicolas Anspach

 
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