Le 1er janvier 2011, Dakota McFadzean débute un projet au long cours, personnel et ambitieux : publier sur son site Internet, chaque jour, un strip de quatre cases. Après avoir longtemps repoussé son envie de dessiner des strips, envie née notamment de la lecture d’Amercan Elf de James Kochalka, il s’était d’abord laissé tenter par l’autobiographie [1]. Puis, insatisfait de cette expérience, il a dessiné pendant cinq ans et sans interruption une bande à l’humour grinçant et au non-sens affirmé, créant un univers à la fois absurde et étonnamment cohérent - du moins dans son esprit.
Mais Soudan l’univers prend fin, précisément le 31 décembre 2015. Après avoir dessiné ses strips quotidiennement, le Canadien abandonne ses créatures, les laissant voguer dans leur monde étrange. Il aura entre temps donné naissance à 1 825 strips, travail d’une ampleur digne des plus grands dessinateurs nord-américains familiers des publications dans la presse. Cette série, intitulée The Dialies et déjà partiellement publiée outre-Atlantique par Conundrum Press, même si d’après le dessinateur nous n’étions "pas censés voir ces strips", est donc reprise par les Éditions çà & là, pourtant peu habituées aux recueils de strips [2].
Soudain l’univers prend fin est le premier des deux livres prévus, le second, totalement inédit au format papier, étant programmé pour septembre 2018. L’ensemble formera une somme impressionnante, témoignant du talent de Dakota McFadzean, qui a par ailleurs travaillé pour le mythique Mad Magazine, ainsi que pour The Best American Comics et Funny or Die. Il a également publié son premier ouvrage en 2013 et travaille actuellement comme storyboarder pour les studios Dreamworks.
Les strips de Dakota McFadzean sont assez simples, voire minimalistes à certains moments. Mais son trait précis et souple masque un esprit tortueux, à l’imagination tantôt burlesque, tantôt pessimiste. Peuplé de monstres inspirant davantage de pitié que de frayeur, d’enfants aussi bien victimes que bourreaux et de messieurs plus que désabusés, son univers se moque de la logique terrestre et remet le surréalisme à l’ordre du jour.
Si l’absurde domine largement dans ces strips, quelques réflexions sur la marche du monde et sa désespérante continuité ne sont pas exclues. Les oiseaux se font philosophes et les chiens doués de paroles - mais qu’ont-ils à nous dire ? Dinosaures, lutins, lapins et canards sont convoqués et souvent sacrifiés sur l’autel de l’humour. Même ce bon vieux Père Noël et Dieu en personne - mais est-ce si différent ? - y passent.
Indépendants les uns des autres, les strips peuvent aussi se lire en longues séquences, grâce à l’apparition de personnages récurrents et, parfois, à la construction d’épisodes formant des sortes d’arcs narratifs. Mais le mieux reste peut-être de piocher au hasard dans ce recueil dense et drôle, sombre mais coloré : la santé mentale du lecteur pourrait vaciller à la suite d’une plongée trop profonde dans le royaume ubuesque de Dakota McFadzean.
Voir en ligne : Le site de l’auteur
(par Frédéric HOJLO)
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Titre original : Don’t get eaten by anything (2015) - traduit de l’anglais (Canada) par Philippe Touboul - 18 x 25 cm - 304 pages couleurs - couverture cartonnée, relié - parution le 14 septembre 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.
Consulter le site de l’auteur.
[1] Ces premiers strips ne sont pas repris par les Éditions çà & là.
[2] Les Points de Vues (2005 & 2006) de Peter Kuper étant une exception.
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