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Spiegelman : autoportrait en amateur de BD

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 mars 2008                      Lien  
De « Breakdowns », on avait un vague souvenir. Un album du Spiegelman de sa période Underground distribué en France par Futuropolis. Rares étaient ceux qui avaient vu la perle. En fait, il manquait la parure, que Spiegelman nous offre ces jours-ci, dans un écrin.
Spiegelman : autoportrait en amateur de BD
Breakdowns de Spiegelman
Ed. Casterman.

« Malheur à l’homme d’un seul livre » disait Saint-Augustin. Il parlait de la Bible et s’adressait aux Chrétiens qui refusaient de s’ouvrir à d’autres enseignements. Pour l’amateur de BD Lambda, Spiegelman est l’homme d’un seul livre : Maus, son chef-d’œuvre qui raconte le dialogue entre un fils et son père rescapé de la Shoah. Mais Saint-Augustin a raison : réduire un homme à une seule œuvre condamne à passer à côté de la vérité de la Parole, de l’expérience proprement humaine de la foi. De même, croire que Spiegelman est venu de nulle part pour nous donner un livre définitif sur la Shoah, c’est à la fois déprécier Maus, ne pas en comprendre la vraie portée, et en même temps passer à côté d’un parcours qui constitue une vraie réflexion, intelligente, toujours en mouvement, et foncièrement moderne sur le 9ème Art.

Breakdowns - La couverture originale
Ed. Casterman

Breakdowns devait être au départ une simple réédition du premier album de Spiegelman que personne (à part quelques esprits éclairés) n’avait vu passer. Mais Spiegelman a eu l’idée parfaitement originale de le contextualiser en lui attribuant un appareil critique… en bande dessinée ! Cela donne un livre gigogne qui opère, comme le dit l’artiste, « un véritable travail de mémoire ». Spiegelman revient ainsi sur son obsession de raconter l’expérience traumatisante de son père, un rescapé d’Auschwitz, présente dès ses premiers travaux comme dans Prisoner on the Hell Planet (Prisonnier sur la planète Enfer) (1972, dans Short Order) où l’auteur se représente lui-même en déporté plusieurs années avant les premières versions de Maus. Le dessin est noir, anguleux, utilise la carte à gratter. Spiegelman est bien un élève de l’underground, un disciple de Crumb qui creuse dans la matière palpable et douloureuse de ses angoisses la substance de ses récits.

"Breakdowns", un jeu référentiel.
(c) Casterman

Plus loin, c’est la découverte de Mad qui intervient comme une cardinale référence. La revue d’Harvey Kurtzmann institue en 1952, et pour de longues années, les canons d’une impertinence graphique et éditoriale qui fera école jusqu’à Marcinelle (avec le Spirou de Delporte) et à Neuilly-sur-Seine avec la création de Pilote récupérée par Dargaud. « J’étudiai Mad comme d’autres garçons de mon âge étudiaient le Talmud  » fait observer Spiegelman pour mieux souligner la sainteté de la référence.

Prisoner on the Hell Planet, un récit anonciateur de Maus
Ed. Casterman

L’album fourmille de jeux visuels et narratifs. Ce qui saute aux yeux, c’est que rien n’a vieilli. Parce que ce jeu référentiel éminemment moderne est avant tout une thérapie. Avec la bande dessinée, le dessin et toutes les autres lectures, Spiegelman arrive à calmer la douleur qui est la sienne, cette longue dépression qui sourd en lui. Dans Shadow of No Towers (À l’ombre des Tours mortes - Casterman) , l’appel de notes aux ancêtres de la BD américaine relève du même procédé.

Dans Raw, cette revue d’avant-garde que publie Spiegelman avec sa compagne Françoise Mouly, dont les pages accueillent Tardi, Munoz, Ever Meulen, Swarte, Doury, Burns, etc. et qui accompagne Maus dans sa mue finale, nous sommes dans une thérapie de groupe.

Un strip parodique de Spiegelman. Un jeu permanent avec le graphisme
Ed. Casterman

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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