Il faut être grincheux pour considérer que c’était une mauvaise idée d’instiller quelques pages de nos bons vieux classiques franco-belges dans l’hebdomadaire qui les a vus naître. Après tout, Le Journal de Mickey ou Picsou Magazine n’ont jamais hésité à republier des BD de Disney conçues par Carl Barks ou Floyd Gottfredson, paix à leurs mânes. Avec cette nuance : seul Disney apparaissait comme signature au bas des planches.
Le journal de Spirou, où se côtoient ces travaux anciens -comme ces Boule & Bill de Jean Roba, un « géant invisible » de la BD belge, et d’autres plus récents, est-il devenu pour autant un patchwork graphique ou émotionnel sans queue ni tête ? Nous avons l’impression que non.
Ainsi, les pages de Ers & Dugomier, Les Démons d’Alexia, s’inscrivent dans la tradition, tout en conservant une facture moderne, ne fut-ce par le thème de ces histoires qui sacrifie à la mode des sorciers de papier impulsée par Harry Potter. Même « effet de tradition » pour la série de Janry & Stuf, Passe-moi le ciel, ou encore Mélusine de Gilson & Clarke, ou encore Seuls de Gazotti & Vehlmann, cette histoire constituant même une espèce de parodie (involontaire ?) d’un mini-récit de Guilmard & Hubuc, Seul au monde paru en 1963. Il n’est vraiment que Papillottes de Thiriet & Steven qui dénote avec ses couleurs rose-bonbon et son graphisme schématique à la Fritz Freleng. Mais dans l’ensemble, la partition entre les anciens et les modernes se fait sans couac.
En revanche, une confrontation plus profonde des styles permet de faire une réflexion sur l’évolution du dessin entre ces deux générations de créateur. Et là, il est clair que les « ancêtres » ont une longueur d’avance sur leurs suiveurs. Les cases du Schtroumpfissime de Peyo, par exemple, sont un modèle de lisibilité. Rien n’est daté, malgré que ces pages aient été dessinées il y a près de quarante ans ! Quant à la trame scénaristique de cet album, l’une des réflexions les plus pertinentes que la bande dessinée ait pu offrir sur le fonctionnement de nos démocraties, elle mériterait d’être étudiée en classe : les élèves découvriraient alors le sens premier de l’action politique, sa finalité dans les relations sociales. Nos jeunes suiveurs n’ont pas cette qualité d’épure. Ils se laissent encore trop souvent séduire par l’anecdote, le private joke, le clin d’œil privatif. Mais ils ont encore beaucoup de temps devant eux pour se perfectionner : Comme pourrait le dire un mauvais imitateur de Tillieux à propos du scénariste de Spirou : « Tome ne s’est pas fait en un jour ! »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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