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Spirou : Un cinquantième décevant

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 novembre 2008                      Lien  
Le journal d’un ingénu d’Émile Bravo avait été salué par la critique et les amateurs comme l’une des révélations de l’année, d’ailleurs nominée à Angoulême. La comparaison avec le 50ème album de Spirou signé Morvan, Yann et Munuera, Aux sources du Z ne peut être qu’assassine, tant l’échec est patent.

La réussite de Bravo était d’avoir joué finement la corde de la nostalgie. Certes, les allusions au Spirou de Jijé et du premier Franquin étaient là, sensibles et visibles, mais elles n’était en aucun cas référentielles : elles se suffisaient à elles-mêmes. Il s’agissait d’une comédie classique, formidablement menée, qui alliait la légèreté du ton avec la gravité du propos, à savoir une négociation diplomatique de la dernière chance pour éviter la guerre. L’appel de notes de Bravo tournait surtout autour des origines des aventures du petit groom : pourquoi garde-t-il son costume ? Pourquoi n’a-t-il pas de petite amie ? Comment a-t-il rencontré Fantasio ?

Dans la collection régulière (l’album de Bravo étant dans une collection à part), le 50ème album de Spirou devait être comme une célébration, une sorte de point d’orgue. Malheureusement, les changements successifs à la tête de la direction éditoriale de Dupuis ont insécurisé les auteurs et cela se voit dans ce dernier album poussif et inconsistant. On se souvient que le duo Morvan & Munuera avait pris les manettes de la série à la suite de Tome & Janry. On avait constaté un « coup de jeune » : un dessin lorgnant vers les mangas et des scénarios un peu plus trépidants que d’habitude. En dépit des intentions novatrices des auteurs et une volonté de recoller à la « génération manga », à mon sens tout à fait louable, cette approche avait déstabilisé les observateurs. Il faut dire que le contexte de « l’affaire Dupuis » qui avait vu le limogeage de deux directeurs éditoriaux successifs chez l’éditeur de Marcinelle ne poussait pas à la prise de risque, que du contraire ! Il fallait rassurer à tout prix, quitte à rudoyer les auteurs en place, débarqués brutalement mais finalement autorisés à produire ce 50ème opus. Pour rassurer encore, on joignait au duo le scénariste Yann, excellent écrivain de séquences, comme on sait.

Spirou : Un cinquantième décevant
Spirou 50 : Aux sources du Z, par Morvan, Yann et Munuera
Ed. Dupuis

Hélas, comme le disait Jean-Paul Sartre, quand deux philosophes discutent ensemble, ils sont au plus bas d’eux-mêmes. On peut faire la même constatation dans cet album. Alors que Munuera fait un parcours sans faute, assagissant son trait en se rapprochant davantage de l’orthodoxie franco-belge, ce sont nos scénaristes qui se perdent ici dans un numéro peu convaincant. Le concept consiste à envoyer Spirou dans le temps (une idée de Zorglub, évidemment), afin de ramener des lambeaux de l’histoire du groom à certains moments clés de sa carrière : Le gorille a bonne mine, Z comme Zorglub, La corne du rhinocéros, Quatre aventures de Spirou & Fantasio, La mauvaise tête, Le dictateur et le champignon, jusqu’à Paris sous Seine, sont ainsi convoqués. Comme promesse, on en saurait un peu plus sur le comment et le pourquoi des personnages.

Spirou 50 : Aux sources du Z, par Morvan, Yann et Munuera
Ed. Dupuis

Disons-le tout net : ça ne marche pas. Les aller-retours de Spirou & Fantasio dans le passé et dans le futur sont certes l’occasion de retrouver des séquences qui nous sont familières, mais il n’y reste que le clin d’œil et l’on se fiche totalement du récit. Trop conceptuel, il s’embrouille dans une multitude de détails référentiels sans développer les psychologies des personnages autrement qu’en accentuant la caricature de héros déjà caricaturaux. Le frisson de la rencontre entre le Spirou du passé et le Spirou du futur tombe à plat. Le personnage, déjà paradoxal –car enfin, un aventurier qui court le monde en livrée de groom, ce n’est déjà pas très crédible– se trouve empêtré dans des justifications arbitraires auxquelles le lecteur n’adhère pas un instant.

Alors que Bravo prenait le temps de construire entre les personnages des relations sensibles et crédibles, Morvan et Yann s’amusent manifestement de leur jeu de références. Mais c’est au détriment du lecteur, hélas. Dommage.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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17 Messages :
  • Un cinquantième rugissant
    17 novembre 2008 16:10, par Benjamin Roure

    Alors, là, pas d’accord du tout. Je trouve ce 50e volume plutôt réjouissant, même s’il laisse une étrange impression : comme si, pour réussir un bon Spirou, il fallait toujours regarder vers le passé. Mais il s’agit de bien plus que cela : ce 50e volume réussit le pari de mêler deux visions d’une même série, celle de Morvan face à celle de Yann. Le résultat n’est pas bancal pour autant et offre une aventure trépidante au final... renversant !

    Voir en ligne : Morvan VS Yann : deux idées de Spirou

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    • Répondu par joel le 17 novembre 2008 à  18:17 :

      est ce qu’on sait qui reprendra la série mère de spirou et fantasio en 2009 ?

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  • Spirou : Un cinquantième décevant
    17 novembre 2008 17:13, par Etienne

    Je suis tout à fait en accord avec votre critique. Ce 50ème album est bien décevant. Tout retombe à plat comme vous dites. L’idée de base était peut-être intéressante, mais on a au final un scénario baclé. Je trouve particulièrement génant le passage sous silence des aventures qui ne sont pas signées de Franquin. Certes c’est l’auteur emblématique de la série mais fallait-il ainsi renier les autres ? Notons au passage que l’idée du voyage dans le temps a déjà été utilisée dans la série principale (et dans un hors série) par Tome et Janry. Ce qui apporte une grande incohérence là même où ce 50ème tome cherche à en amener. Finalement ce dernier album me fait presque regréter "la machine qui rève" que j’avais détesté. De plus, les auteurs se permettent de laisser les personnages dans une bien improbable situation en signant leur dernier opus . Ce qui n’est franchement pas gentleman pour les repreneurs. Serait-ce la fin d’un mythe ? Devrons-nous nous contenter des facécies navrantes et graveleuses du gnome rouge ?

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    • Répondu par nom le 19 novembre 2008 à  11:51 :

      Exact : le filon du retour dans le temps a déjà été exploité par T&J (personnellement j’ai aimé)

      Et si on veut rester cohérent avec les albums " l’horloger de la comète " et " le réveil du Z " , l’opus 50 n’a plus aucun sens.

      chez T & J, c’est le petit neveu de Champignac qui dans le futur va découvrir comment voyager dans le temps.

      Et ici tout d’un coup Champignac et Zorglub savaient comment faire depuis toujours avec une de leur invention ?

      Ce n’est pas la première bourde du genre de Morvan et Manuera : rappelez-vous la trame de " l’homme qui ne voulait pas mourir " et le début de l’histoire. Fantasio y retape la maison qu’il avait héritée de son oncle. Or dans l’histoire de référence l’oncle en question n’avait justement rien légué à Fantasio que "le souvenir de leur aventures" ........

      Bref : no comment !

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  • Le scénario des derniers opus de la série me laisse effectivement sceptique. D’un autre coté, entre MORVAN et BRAVO, il y a une troisième voie, non ? Qu’on continue d’espérer, quoi !

    En tout cas, qu’est ce qu’il est bon Munuera !
    J’avais lu cette histoire dans Spirou et je l’ai racheté pour les dessins supplémentaires qui figurent en début et fin de l’album.

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  • Spirou : Un cinquantième décevant
    17 novembre 2008 19:52, par Vincent

    Et dire que pour le 50ème, ils ont encore joué la carte de la nostalgie sans être capable de s’entendre avec le concurrent pour faire revenir le Marsupilami...

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  • Spirou : Un scénariste décevant
    17 novembre 2008 20:06, par Spirou-man

    Morvan montre là ses limites comme scénariste : il était temps de s’en apercevoir au lieu d’encenser tout le temps ce scénariste à gros effets et gros sabots ! le co-scénariste n’a visiblement pas pu redresser la barre de ce navire qui prenait l’eau !
    dsl mais on n’a pas le droit de rater un Spirou et si on n’a pas la capacité, on ne s’attaque pas à un tel mythe.
    un lecteur très très déçu et qui regrette l’achat !

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  • Spirou : Un cinquantième décevant
    17 novembre 2008 20:07, par Spirou-man

    l’album de Bravo est cent fois meilleur, à tout point de vue, on est bien d’accord !!!

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  • Spirou : Un cinquantième décevant
    17 novembre 2008 20:25, par Sébastien Célimon

    Bonjour,

    Je partage le sentiment de déception à la lecture de cet album. Le paradoxe temporel serait amusant s’il n’était pas totalement incohérent à plusieurs niveaux : si on en croit les auteurs, Spirou adolescent n’aurait qu’au maximum une dizaine d’années avec Zorglub et Champignac ? Et que dire d’un jeune Spirou adolescent transporté dans le futur : toutes ses aventures ne peuvent pas arriver si il n’est pas là pour les vivre ! Bien sûr on peut jouer sur l’idée des dimensions parallèles, vieux ressort de science-fiction, mais encore aurait-il fallu l’expliciter... Spirou, après 50 albums, est toujours aussi jeune nous dit cet album. Et quid de Fantasio ? Comment ce personnage peut supporter de devenir le grand frère du jeune Spirou ? Comment peut-il accepter que le Spirou de son âge, qui a vécu toutes les aventures au fil des décennies, le laisse tomber pour la première laborantine ambitieuse venue ? A quoi se résume l’amitié de Spirou et Fantasio ! Et Spip, qu’est-il devenu si ce n’est un animal de compagnie débile drogué aux champignons hallucinogènes ? Pourquoi avoir appelé cet album Aux Sources du Z puisque de Z (comme Zorglub, album génial de Franquin) il n’est pas du tout question ? De quelles sources parle t-on ?
    Etrange album en vérité... J’attends avec impatience de lire ou d’entendre ce qu’en disent Yann et Morvan.

    Amitiés à tous,

    SC

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    • Répondu par nom le 18 novembre 2008 à  22:56 :

      L’idée de remonter dans le temps n’est pas mauvaise en soi, mais elle s’avère désastreuse avec Spirou, car comment un personnage qui ne vieillit pas peut-il remonter les années ? 20 ans, 30 ans ou 50 ans avant il a le même âge, et pendant ce temps, Champignac lui devient plus jeune à chaque remontée de temps, il y a une totale incohérence puisque Spirou et Fantasio ont rencontré Champignac déjà vieux en 1950. De plus faire revenir Spirou a de grands moments de sa carrière n’est pas une mauvaise idée, mais on frise le révisionniste quand le Marsupilami est effacé de ces scènes, on n’est plus dans un monde parallèle que le passé, ça ne fonctionne pas du tout. Quand on tripatouille les paradoxes temporels, il convient d’être particulièrement rigoureux pour être crédible, ce n’est pas le cas ici, et le ridicule achevé de la fin n’est que la cerise flétrie de ce gâteau périmé.
      Ce cinquantième anniversaire est totalement raté, le pâtissier s’avérant être un boucher tripier.

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      • Répondu par nom le 19 novembre 2008 à  10:16 :

        Je partage votre avis. Spirou est par essence un personnage intemporel, comment lui donner une histoire et un passé sans lui donner un âge ? Et se confronter à des incohérences telles que vous les relevez.

        Certes le trait du dessinateur s’était assagi, on sentait qu’il avait enfin trouvé sa voie et son juste milieu entre modernité et respect de la série.

        Mais le scénario est le pire de toute la série,
        il détruit totalement le personnage de Spirou et l’esprit bon enfant de la série. Et la fin complètement absurde et ridicule ne laisse entrevoir aucune suite : les successeurs devront ignorer complètement cet album pour reprendre sereinement la série. Si elle a toutefois un avenir.

        Récupérer des extraits des Spirou de Franquin ne suffit pas à s’approprier son génie. Plutôt que de fournir des albums insipides et incohérents avec des morceaux du spirou passé pour plâtrer la jambe de bois, les auteurs héritiers d’un tel personnage doivent lui donner un nouveau souffle qui leur est propre (sans renier son passé) et c’est à mon sens ce qu’avaient réussi Tome & Janry.

        Comment Dupuis, à qui appartient ce personnage fabuleux peut-il laisser faire un tel désastre ? N’y-a-til aucun éditeur qui lit et approuve les sénarios ?
        ou est-ce que les nouveaux éditeurs, n’ont-il donc aucune connaissance culturelle du patrimoine de Dupuis pour avoir le bon sens le le préserver ???

        Triste.

        (un lecteur de Spirou depuis son enfance)

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        • Répondu par nom le 19 novembre 2008 à  23:15 :

          Par le passé, Dupuis était infiniment plus intrusif dans les albums, ils avaient interdit à Franquin de reprendre Zorglug dans QRN sur Bretzelburg alors qu’il avait commencé son histoire. Entre cette main-mise castratrice et le laisser faire actuel, il y a un juste milieu que Dupuis devrait trouver au plus vite (sous peine de mort de la série).

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          • Répondu par François Pincemi le 22 novembre 2008 à  00:44 :

            Pourtant, j’éprouve beaucoup de tendresse et de nostalgie pour ce personnage-phare de la BD francobelge. Je me faisais donc une joie de lire ce cinquantième opus au coin du feu ; j’avais allumé un joli feu de joie dans la cheminée de mon salon, j’avais même sorti une bouteille de vieux Cognac pour mieux déguster l’évènement.
            Hélas, trois fois hélas ! Pour un cinquantième anniversaire, j’attendais bien mieux que cela. Il a fallu tant de temps à deux scénaristes de renom associés pour l’occasion pour nous écrire ce livre ? J’ai reconnu la verve de Yann (digne héritier de Greg) dans certains dialogues, mais l’intrigue, c’est du n’importe quoi !! Sans vouloir revenir à Franquin, il me semble que Tome et Janry faisaient beaucoup mieux dans l’hommage subtil et la bonne intrigue. Le projet a sans doute été approuvé par les éditions Dupuis et leur directeur de collection, pourtant cet album donne dans le faussement moderne bancal. Tant qu’à faire, je préfère largement le Spirou d’Emile Bravo, fait avec bien plus de finesse et de profondeur. Avec humilité, Emile Bravo avait choisi de rendre hommage à l’époque du Spirou de Robert Velter, auteur pourtant moins apprécié que le génial Franquin. Mais le résultat était aussi étonnant qu’émouvant.

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  • Spirou : Un cinquantième décevant
    6 décembre 2008 16:58, par tungstene

    pas du tout d’accord avec vous les gars ! j’en lis plein qui se pleignent que ce 50eme et décevant etc. Ben pour moi pas du tout ! Je dirais même enfin ! enfin, On découvre une ame humaine à spirou, enfin il s’interesse aux filles ! enfin il tombe amoureux, il était temps ! on y avait crue un moment avec luna fatale, presque aussi avec machine qui réve, et enfin voila siprou en veritable homme ! 50 ieme, ça merité bien ça ! et en plus j’aime beaucoup le style graphique. Pour les suivant, je ne doute pas d’une pirouette pour rectifier le tir.

    Voir en ligne : Moi je le trouve tres bien.

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  • la dictature des biens penseurs
    4 janvier 2009 15:08

    Mais bon sens arrêtez la nostalgie du spirou "c’était mieux avant".
    Il faut faire evoluer le personnage sinon c’est sa mort assuré (tintin ) ou sa décadence (astérix).
    Perso, le trait de munuera me convient parfaitement, moderne, intégré dans le style actuel. La où le bas blesse c’est effectivement le scénario, c’est pas crédible. Pourquoi avoir voulu sabordé le duo Munuera/Morvan alors qu’il aurait juste fallut dire au scénariste, tu arrêtes ton délire spirou c’est un monument de la BD ça se respect.
    Là où je suis pas d’accord du tout c’est le spirou de bravo, si ça peut contenter les "anciens" je ne pense pas que le jeune lectorat aient adhéré. Encore moins à la morale dégagé de l’album propre à la Belgique. Alors que peut-être il s’agit juste d’un clin d’oeil mais ça doit en rester là. Tout le tapage fait autour de l’album m’insupporte un peu.

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