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Spirou fête "normalement" son numéro 4000

Par Charles-Louis Detournay le 10 décembre 2014                      Lien  
Faut-il y voir une fine allusion à la "présidence normale" du président Hollande ? Quoiqu'il en soit, Spirou propose un numéro anniversaire "normal" de cent pages, animé par le Groom bien sûr, mais également une pléiade d'anciens et de nouveaux héros bien connus des lecteurs. Son rédacteur-en-chef nous en dévoile les coulisses...

Fondé par l’éditeur Jean Dupuis le 21 avril 1938, Le Journal de Spirou a traversé la guerre et bien des époques, pour parvenir à l’exploit d’être encore publié aujourd’hui. Il le doit bien entendu à des grandes signatures comme celles de Franquin, Jijé, Morris, Peyo, Cauvin et bien d’autres.

Cette longévité est également le fruit du travail des rédacteurs-en-chef successifs, véritables piliers du journal, mais également dénicheurs de talent ou catalyseurs de futures grandes séries : citons entre autres Jean Doisy, Yvan Delporte, Alain de Kuyssche, Thierri Martens, Thierry Tinlot, Patrick Pinchart et l’actuel Frédéric Niffle qui nous dévoile justement les coulisses de ce numéro anniversaire :

« Un numéro spécial comme celui-ci est évidemment l’occasion de mettre en vitrine l’ensemble des auteurs et des séries actuelles du journal. On a donc cherché à ce que tous les auteurs (qui le veulent bien) soient présents. Mais si on annonce en couverture que ce numéro est "normal", c’est bien sûr à prendre au second degré (le maire porte les habits de Fantasio, ce qui donne un indice) car ce numéro est tout le contraire de normal puisque toutes les rubriques, toutes les histoires déraillent complètement ! »

Spirou fête "normalement" son numéro 4000
Tandis que Tamara se bat avec les retouches sur Photoshop, de curieux personnages apparaissent en bas de pages, clins d’oeil à d’autres utilisations de ces marges du journal.

« Pour le dire en bref, continue Niffle : C’est le bug du n°4000, comme il y a eu le bug de l’an 2000. On a demandé aux auteurs de proposer quelque chose qu’ils s’interdisent de faire dans leurs séries habituellement, le temps d’un numéro. Une sorte de « jour des fous ». Quelques exemples : dans une histoire de "Spirou" de Yoann & Vehlmann en six planches, tous les rôles des personnages sont échangés ; dans "Le Royaume" de Feroumont, la famille Royale de Belgique remplace les personnages principaux ; on montre le vrai visage de Choc ; Vehlmann fait une page de "Seuls" tout seul ; Chen embrasse Cédric ; Tamara se retrouve en personnage réel ; Les Nombrils interviennent dans "Ralph Azham", la série de Trondheim ; on découvre l’envers du décor de "Marzi" ; les interviews des rubriques partent en vrille et le Professeur Spéculoos a visiblement écrit son article raide bourré, etc. Il y a même une page blanche ! »

Pas de cadeau ?

Ce délire n’a qu’un but : que les auteurs s’amusent de leurs personnages autant que leurs lecteurs. Si un tel numéro ”normal” (avec des séries au long cours comme Lady S) répond à un évident objectif de promotion un peu téléphoné, il devrait séduire autant les anciens que les nouveaux lecteurs, présentant autant d’anciens personnages comme Lucky Luke que de réussites plus récentes comme Les Nombrils, Telle est la "normalité" de Spirou aujourd’hui : un mélange de vintage, de tradition, de recherche, d’action, de séries à suivre, de gags et d’humour.

Si le contrat est donc pleinement rempli avec ce contenu aussi détonnant qu’inhabituel, on reste un peu déçu de l’absence de cadeau-gadget complémentaire. On se souvient d’un numéro spécial Schtroumpf accompagné d’un 45 tours, ou du numéro 3000 qui mettait le Petit Spirou à l’honneur avec un CD. Alors que c’est justement Frédéric Niffle qui remit le supplément à l’honneur dans le journal, on aurait pu attendre par exemple un DVD proposant des dessins animés dans lequel on retrouverait tous les personnages de Spirou qui sont passés au grand et au petit écran, ou un recueil d’animations proposées précédemment ou sur le style internet dans le Spirou Z...

Mais le rédacteur-en-chef a un autre point-de-vue : « Il s’agit d’un numéro double de 100 pages qui ne coûte que 50 centimes de plus. Sur le plan du budget du journal, 48 pages supplémentaires, c’est un beau cadeau. D’autant que le numéro de Noël de la semaine suivante, qui a beaucoup de liens avec ce n°4000, est également un numéro double. On offre déjà une cinquantaine de suppléments par an à nos abonnés, ainsi qu’un gros cadeau de fidélité. Des idées qui coûtent cher, je n’en manque pas ! J’avais pensé par exemple à une impression en thermochromie (des choses apparaissent et disparaissent avec la chaleur), mais ça coûte un porte-avions ! Il faut comprendre que je dois faire attention à l’économie du journal si l’on veut qu’il continue à exister. On pouvait "jeter l’argent par les fenêtres" beaucoup plus auparavant, mais ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, mais alors vraiment plus du tout ! Croit-on que les journaux sont éternels ? Faut-il rappeler la longue liste des journaux BD qui ont disparu ? »

Ralph Azham succombe aux armes fatales des Nombrils

Spirou en scène

Si ce numéro s’adresse aux jeunes lecteurs qui y retrouveront nombre d’allusions à leurs séries fétiches, les plus fidèles lecteurs n’ont pas été non plus oubliés. Outre les bandes "historiques", une double page s’adresse en clin d’œil à ceux qui ont lu le Spirou 2000. Ainsi, sont exposées des couvertures emblématiques du journal, une par an, en écho à ce qui était déjà proposé il y a 38 ans ! Alors que d’autres journaux aujourd’hui disparus souffraient de ne plus faire apparaître leur vedette de façon récurrente, ce numéro 4000 comprend quant à lui 16 planches de Spirou sous différentes formes.

« Le journal est une famille, mais Spirou est un fil rouge essentiel à son identité !, explique Frédéric Niffle. « Et cette notion de continuité est clairement au cœur de la formule du journal : reprendre les bonnes idées du passé tout en proposant de nouvelles choses, poursuivre les séries qui ont fait le succès de "Spirou" tout en amenant de nouveaux auteurs. La cohésion entre les anciens et les modernes fait que le journal traverse les époques et les générations sans rupture. Beaucoup de journaux BD ont disparu parce qu’ils incarnaient une époque, une génération, une modernité, et une fois celle-ci passée, le journal ne trouve plus sa raison d’exister. C’est assez clair avec "Métal Hurlant", ou avec "(A Suivre)" qui ont été remplacés par la nouvelle dynamique des albums. Mais c’est également le cas pour "Tchô !" qui a disparu récemment. »

Spirou participe au délire.
Notez les petits détails de la case, dans cette version du journal qui ne lui appartient plus vraiment.

Bande décimée

Effectivement, outre le Journal de Mickey qui fêtait en 2009 son numéro 3000 (il faut dire qu’il avait fait un "reboot" en 1952) et Fluide Glacial qui approche des quarante ans, Le Journal de Spirou fait office de survivant dans le domaine de la « bande décimée » qu’est devenue la presse jeunesse.

Son rôle de laboratoire, employant un nombre conséquent de jeunes auteurs, est d’autant plus important qu’avec le grand nombre de nouveautés, il est extrêmement compliqué à un nouvel arrivant de montrer d’emblée et efficacement la qualité de son univers. En proposant des sujets à des auteurs extérieurs au giron de l’École de Marcinelle, Niffle est donc parvenu à insuffler une modernité et un nouvel élan bien salutaires à l’hebdomadaire de la bonne humeur.

« Avec la surproduction actuelle et la difficulté pour les albums d’exister en librairie, le journal joue à nouveau un rôle important : celui de permettre à une série d’être vue, confirme Niffle. Pour lancer une nouvelle série, la prépublication dans le journal est clairement un atout. On l’a vu avec "Zombillénium" ou "Louca", et ce sera sans doute le cas également avec "Dad" dont le premier album sortira en mars. Une étude du CIM [Centre d’Information sur les Médias. NDLR] nous crédite de 480 000 lecteurs, qui sont autant de consommateurs de BD. Quel autre support propose une telle vitrine, aussi bien ciblée ? Par ailleurs, "Spirou" doit rester un journal familial, que l’on doit pouvoir lire à tout âge, ce qui rend le travail de création assez difficile. En ce qui concerne l’avenir, il est sans doute davantage dans l’interaction avec les lecteurs. Nous sommes moins attachés qu’avant à posséder des choses : nous voulons davantage vivre des choses... »

Depuis Gaston, le Journal de Spirou a l’habitude de se mettre en scène.
Dans ce numéro anniversaire, c’est le rédacteur-en-chef qui en fait les frais !

Bourré de clins d’œil, d’humour, de délires et d’autodérision, ce numéro historique joue avec les codes et sa propre histoire. En raison de ces artifices, la plupart des pages de ce numéro-anniversaire ne seront certainement jamais publiés en album, ce qui en fait un collector évident. Quand on l’interroge sur le cadeau de fidélité habituellement destiné en fin d’année aux abonnés, Frédéric Niffle répond malicieusement par ce mot étrange : « Zombillénium ! »

(par Charles-Louis Detournay)

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Le Journal de Spirou est disponible en kiosque et en librairie dès aujourd’hui.

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