Les années précédentes, nos personnalités de l’année, dont l’action a marqué le monde de la bande dessinée, étaient en chair et en os : en 2010, Jean Van Hamme, assurait la succession de XIII et de Thorgal et marquait les esprits en lançant simultanément les adaptations audiovisuelles de XIII, de Rani et de Largo Winch ; en 2011 : Fanny Rodwell parce que deux ans après avoir inauguré à ses frais le Musée Hergé, elle concrétisait le rêve de son premier époux de voir Tintin porté à l’écran par Spielberg ; En 2012 : Albert Uderzo, changeant subitement d’avis, décidait de passer la main sur Astérix et de vendre sa maison d’édition à Hachette...
Cette année, en consultant les différents membres de notre rédaction, c’est Spirou qui marquait les esprits. Le personnage créé par Rob-Vel fêtait ses 75 ans et les éditions Dupuis se sont arrangées pour nous le rappeler toute l’année, avec constance et talent. Nous avons considéré que cette action sur la construction d’une marque forte et le déploiement d’une stratégie de communication aussi marquante était exemplaire pour la profession.
Pourtant, l’affaire n’était pas évidente. En matière de jubilé, ce sont les 50 et les 100 ans qui sont célébrés. Lors des 50 ans de Spirou, en 1988, le personnage était en pleine crise et les éditeurs pensaient sincèrement que fêter cet anniversaire allait souligner que le personnage était "trop vieux". Aujourd’hui, la marque propriétaire des éditions Dupuis est mieux assumée. Il faut dire que depuis que Tome & Janry, puis Jean-David Morvan, Munuera, Ooshima et bien d’autres l’ont pris en main, les choses ont bien changé.
Jusque là, Spirou était une statue de commandeur, une marque-maison et on ne touche pas à une marque. Son usage était précautionneux : on avait écarté Fournier pour son prétendu régionalisme, Broca et Cauvin pour qualité insuffisante, Yves Chaland parce qu’il était trop nostalgique... Spirou était devenu le label réservé à Tome & Janry. Pourtant, ceux-ci ont très vite senti que pour inscrire Spirou dans la modernité, il lui fallait un soupçon de distance, d’approche déconstructrice : ce sera la création du Petit Spirou, version fluideglacialesque du groom, dont les ventes dépassèrent bien vite celles de la version originale. Elle fait actuellement l’objet d’une série de dessins animés de 78 épisodes de 7 minutes qui passe sur M6Kids, comme ce fut le cas naguère pour la série-mère.
Ce sont les mêmes qui, en 2005, déclenchent la révolution en décidant de passer la main sur la série régulière. On a beaucoup critiqué Munuera et Jean-David Morvan pour avoir "cartoonisé" Spirou, et surtout ce dernier pour sa version manga d’un Spirou ado dessinée par Hiroyuki Ooshima, mais cette démarche facilita par la suite la prise en charge du personnage du groom par toute une série de dessinateurs et de scénaristes dans une collection "Spirou par..." qui offrait une relecture décalée de l’univers du groom (on a tous en mémoire la grande réussite du Spirou d’Émile Bravo qui travaille d’ailleurs sur une suite à son premier album avec ce personnage), tandis qu’elle servait de banc d’essai aux nouveaux titulaires de la série : Yoann & Vehlmann. C’est fort de ces succès, commerciaux et critiques, que se profilait le 75e anniversaire personnage emblématique des éditions Dupuis, seul personnage de BD, avec Mickey (1934), à publier continûment un hebdomadaire en kiosque depuis 1938.
"L’année Groom" se concrétisa d’abord par un documentaire sur Arte (que vous pouvez voir intégralement ci-dessous), annonciateur d’une Véritable Histoire de Spirou par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, la réédition des Spirou de Rob-Vel, puis un méga-anniversaire à l’Atomium de Bruxelles, un Spirou-Tour où les auteurs de Spirou firent le show dans un bon nombre de grandes villes (Liège, Bruxelles, Lille, Paris, Lausanne, Lyon, Montpellier, Bordeaux, Nantes, Rennes), soutenu par des numéros spéciaux du journal, des expos à Bruxelles, Paris, Angoulême, Versailles, Nérac et même Istanbul !... Aucun autre personnage de bande dessinée, même Tintin !, n’a eu droit à un anniversaire aussi fastueux !
La conclusion de ces efforts est l’annonce d’un Parc à thème Spirou, consécration dont seuls Disney et Astérix sont les bénéficiaires dans l’Hexagone.
D’autres jubilaires
Si l’on devait le comparer à un autre jubilaire qui fêtait ses 75 ans cette année-ci, le fringant Superman que DC Comics célébrait en le faisant dessiner par Jim Lee, tandis qu’un film, Man of Steel, sortait en salle, l’homme d’acier -qui avait fait ses débuts en français dans Spirou entre 1939 et 1947 sous le titre de "Marc, Hercule moderne" et fut même un temps dessiné par Jijé !- a une figure bien pâle.
Il n’est pas jusqu’aux 75 ans de Raoul Cauvin qui ne viennent prolonger l’anniversaire avec une biographie signée Patrick Gaumer qui est une espèce d’écho à celle de l’hebdomadaire de la bonne humeur. Des ouvrages comme Franquin et les Fanzines ou encore les rééditions de la Rubrique auto de Starter, les Spirou nostalgiques de Chaland et Alec Severin publiés cette année sont également de prodigieux prolongements.
Seul regret dans ce concert de louanges : les jumeaux astraux de Spirou, le glabre et le barbu Tif & Tondu, nés pourtant le même jour, sont passés un peu sous silence. Heureusement que, grâce à Colman & Maltaite, le maléfique Monsieur Choc, du regretté Maurice Rosy qui a tant fait pour le rayonnement du magazine, s’est rappelé à notre souvenir.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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