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Spirou, quelle histoire !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 janvier 2013                      Lien  
Né en 1938, Spirou fête ses 75 ans en 2013. À l'occasion de ce jubilé qui va faire l'objet d'un bon nombre de manifestations cette année, les éditions Dupuis publient le premier volume d'une somme, "La Véritable Histoire de Spirou", qui porte sur ses années de création : de 1937 à 1946, c'est à dire l'année où Franquin entre en scène...
Spirou, quelle histoire !
Un calendrier signé Rob-Vel
(c) Dupuis

Ses auteurs, Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault avaient déjà commis auparavant une autre biographie,Yvan Delporte, réacteur en chef (Dupuis), autour du timonier mythique des années d’or du Journal de Spirou dans les années 1960. Ce travail leur a donné de l’appétit et ils y ont trouvé, chemin faisant, mille et une anecdotes savoureuses sur une aventure éditoriale devenue mythique au point d’inspirer les auteurs de bande dessinée (cf. Gringos Locos de Yann & Schwartz). Aussi n’a-t-il pas fallu pousser beaucoup Serge Honorez et José-Louis Bocquet, les directeurs éditoriaux de Dupuis et plutôt bons connaisseurs de cette histoire.

"À la mémoire de Jean Dupuis et Jean Doisy", telle est la dédicace de l’ouvrage, et elle dit tout : les auteurs sont dans la réhabilitation du véritable créateur de Spirou : Jean Dupuis (1875-1952), imprimeur-éditeur à Marcinelle, ville-banlieue de Charleroi en Belgique, qui eut l’idée d’adjoindre un magazine jeunesse aux titres Les Bonnes Soirées (1922), un journal familial "féminin" bien pensant et Le Moustique (1924), son pendant masculin centré sur l’humour et la caricature, et Jean Doisy (1899 - 1955), romancier de la veine des Stanislas-André Steeman et autres Georges Sim, qui trouvera dans la rédaction en chef de Spirou l’emploi de sa vie.

La force de cet ouvrage réside dans ses documents : Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault sont allés fouiller les archives familiales des personnalités qui ont porté Spirou sur ses fonds baptismaux. Cartes d’identité, photos de jeunesse, correspondances,... les documents défilent, tracent la généalogie, composent la famille jusqu’à la création de Spirou par Jean Dupuis qui en établit la ligne éditoriale et qui en choisit le nom sur une liste soigneusement reportée sur son calepin.

Jean Dupuis, fondateur de l’entreprise et créateur de Spirou

C’est un dessinateur français né en Belgique, Robert Velter, déjà mis en vedette par le Journal de Toto, qui est sollicité pour créer le héros-vedette du journal. Il s’inspire d’un groom qu’il avait croqué alors qu’il naviguait sur L’Île de France dont les mousses de sonnerie qui apportaient messages et cigarettes, étaient costumés de rouge.

Mais la principale influence est la BD américaine dont Velter s’inspire et particulièrement le personnage de Perry Winkle de Martin Branner, connu en France sous le nom de Bicot, un dessinateur croisé sur un transatlantique et qui offrit à Velter d’être son assistant pendant deux ans à New York. Un hommage croisé entre Velter et Branner est d’ailleurs reproduit dans l’ouvrage.

Les aventures du personnage (nous en reparlerons car une intégrale est publiée en même temps que le présent volume) reproduisent les poncifs de leur époque. D’abord orienté vers la Belgique, le journal est royaliste, catholique et conservateur, et fasciné par les États-Unis qui est alors la Mecque de la bande dessinée de l’époque. D’ailleurs, aux côtés de production d’artistes débutants (le Tif & Tondu de Dineur), les planches de Chester Gould (Dick Tracy), Franck Buck (Ramenez-les vivants), Fred Harmann (Red Ryder) ou encore Siegel & Shuster (Superman) viennent apporter la touche de modernisme dont l’hebdomadaire avait bien besoin.

La Véritable Histoire de Spirou par Christelle & Bertrand Pissavy-Yvernault. Éditions Dupuis.

Trois papas et une maman

L’une des trouvailles de ce livre est d’établir la paternité complexe de la création du groom. Inventé par Jean Dupuis, son destin graphique n’est pas moins original, la modernité est au rendez-vous puisque Spirou est le produit, si l’on inclut Jean Dupuis, de trois papas et d’une maman ! Rob-Vel en est le dessinateur et son épouse, l’illustratrice liégeoise Blanche Dumoulin, en est sans doute la coscénariste avec son mari. Mais un assistant du nom de Lucien Lafnet, un peintre liégeois qui signe ses illustrations sous le pseudonyme de Davine, intervient dès la première planche et est même représenté sur celle-ci en train de créer le personnage du groom !

Lafnet décède en septembre 1939 en ayant lui-même assuré la réalisation de quelques planches de Spirou signées Davine, à ce moment un pseudonyme commun avec Blanche Dumoulin ?, sans que l’on sache exactement si elle intervint graphiquement sur les dessins. En avril 1939, dans une dédicace à Jean Doisy, Blanche Dumoulin signe encore du nom de Davine... Le mystère reste entier.

Autre figure fondatrice : Jean Doisy. Il semble qu’il n’ait pas eu d’influence sur le choix des bandes dessinées, domaine réservé du jeune Charles Dupuis. C’était un rédacteur en chef qui n’en eut jamais le titre, signant la plupart des rubriques du journal, dont celle du Fureteur. On lui doit la création du personnage de Valhardi.

La guerre va bouleverser le destin de Spirou. Mobilisé sur le front, Rob-Vel se repose sur son épouse qui a du mal à assurer les livraisons. Un certain Van Straelen assume l’intérim jusqu’à ce que Joseph Gillain ne reprenne le personnage avec brio à partir du 20 octobre 1940. Avec l’arrivée de la guerre, Jean Dupuis rejoint l’Angleterre avec toute sa famille, laissant son fils Charles gérer Spirou...

Très influencé par Hergé, Jijé va le dépouiller de son côté naïf et grotesque et lui imprimer une ligne éminemment moderne. Il devient l’homme-orchestre de l’hebdomadaire de la bonne humeur. Catholique assumé, il sauve la trésorerie de l’entreprise avec une biographie de Don Bosco qui est un succès de librairie, ceci en dépit d’une interdiction provisoire du journal par l’occupant.

La Libération arrive enfin. Le père-fondateur revient de Londres et Jijé, croulant sous le travail, rétrocède Spirou, entre-temps racheté par Dupuis à son créateur, à un jeune auteur venu du dessin animé : André Franquin.

La Véritable Histoire de Spirou par Christelle & Bertrand Pissavy-Yvernault. Éditions Dupuis.

Tintin dans Spirou ?

Le 16 octobre 1945, Paul Dupuis a rendez-vous avec Hergé. L’enjeu ? Publier Tintin dans Spirou. Tout le monde connaît l’implication de son créateur dans Le Soir Volé et les poursuites à son encontre pour "incivisme", c’est à dire pour collaboration. Mais un curé ami des Dupuis avait insisté pour que la rencontre se fasse. Jean Dupuis et son fils Paul considèrent que c’est une aubaine. Mais Charles Dupuis qui a prit du galon pendant la guerre refuse net. Lors de son rendez-vous, Paul Dupuis fait part de la décision à Hergé : ce sera non.

Un autre épisode de l’histoire de la bande dessinée belge commence alors...

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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La Véritable Histoire de Spirou par Christelle & Bertrand Pissavy-Yvernault. Éditions Dupuis.

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7 Messages :
  • Spirou, quelle histoire !
    16 janvier 2013 14:35, par Philippe capart

    C’est un ouvrage très informatif et ultra-passionnant. Les auteurs décrivent l’imprimerie familiale Dupuis de ses débuts à son développement. Rob Velter, Davine, Luc Lafnet, Doisy, Paul Dupuis échappent enfin aux portraits stéréotypés que l’on faisait d’eux. On y découvre aussi les dispositifs de propagande de la maison et le rôle des marionnettes !

    Juste un détail par rapport à l’article ci-dessus : Spip est une création Velter et Fantasio est une création Doisy (que Jijé va transformer en un farfelu aux six cheveux indomptables).

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 janvier 2013 à  14:46 :

      Effectivement, nous corrigeons l’article.

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      • Répondu par Bertrand Pissavy-Yvernault le 16 janvier 2013 à  17:25 :

        Une précision : Luc Lafnet -qui signait par ailleurs bon nombre d’illustrations sous le nom de Davine- n’a pas dessiné de planches de Spirou sous ce pseudonyme. C’est curieusement l’épouse de Rob-Vel, Blanche Dumoulin, qui a utilisé ce pseudo pendant la guerre, alors que son mari était prisonnier... A cette époque, Luc Lafnet était déjà décédé. Il y a eu un véritable imbroglio Rob-Vel/Blanche Dumoulin/Lafnet, que nous nous sommes attachés à clarifier. Bertrand Pissavy-Yvernault.

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  • Spirou, quelle histoire !
    16 janvier 2013 18:17, par Geraud

    Félicitations à Christelle et Bertrand (dont je viens d’apprécier les intros des intégrales "Olivier Rameau").

    En combien de volumes est prévue cette colossale entreprise ?

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    • Répondu par Bertrand Pissavy-Yvernault le 16 janvier 2013 à  18:57 :

      Nous sommes partis pour trois volumes... Mais à ce train-là, où en serons-nous au terme dde ces trois tomes. A suivre...

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      • Répondu par joel le 16 janvier 2013 à  20:28 :

        un tome tout les 2 ans ? et le 3 pour les 80 ans ?
        moi je vais le prendre vendredi j’ai hate !

        Répondre à ce message

  • et oui, effectivement, c’est à la suite de ce refus que Monsieur Hergé (et non RG, comme on le surnomma parfois à la Libération), frustré de publication hebdomadaire, rencontra Monsieur Leblanc, qui lui proposa de lancer un hebdomadaire belge au nom du sympathique reporter à houppette. Moins épaisse, mais mieux imprimée que l’hebdo Spirou, semblant s’adresser à un public sage et bien élevé, cette revue allait engendrer une formidable émulation entre Spirou et Tintin.... d’où la formidable créativité de la BD belge dans les années cinquante et suivantes.

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