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Stanislas (« Le Perroquet des Batignolles ») : « Mon image s’est enrichie de leur travail sur le son. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 juin 2011                      Lien  
« Le Perroquet des Batignolles » est une des bonnes surprises de l’année 2011. Un feuilleton créé pour la radio par Jacques Tardi et Michel Boujut il y a onze ans, aujourd’hui dessiné et mis en scène par Stanislas. Avec une extraordinaire réussite.
Stanislas (« Le Perroquet des Batignolles ») : « Mon image s'est enrichie de leur travail sur le son. »

Comment ce livre est-il arrivé jusqu’à vous ?

C’est un feuilleton radiophonique de Jacques Tardi et Michel Boujut diffusé sur les ondes de France Inter il y a une bonne dizaine d’années et qui a eu pas mal de succès à l’époque. Naturellement, on a du proposer à Tardi de le mettre en bande dessinée, parce c’est une bonne histoire et, parce que sans doute à Tardi lui-même, ça a dû lui traverser l’esprit...

Il était très proche de Michel Boujut, le grand spécialiste de cinéma disparu récemment.

Oui, ils étaient copains et tous les deux et ils se sont bien amusés à l’écrire. Or, Tardi n’avait pas le temps et, comme il me l’a dit lui-même, il n’aime pas dessiner ce qu’il voit de sa fenêtre. C’était une histoire contemporaine et il prend du plaisir à dessiner des histoires se situant dans le passé. Par conséquent, il me l’a proposée...

C’est lui qui vient vous chercher ?

Oui, il m’a téléphoné, il y a onze ans. Je le connaissais un tout petit peu, on avait été membres de jury à Bruxelles. J’ai su qu’il aimait bien mon travail. Comme moi, j’adorais son travail, ça aide pour le contact. À l’époque, j’étais en plein Victor Levallois [La série de Stanislas parue aux Humanoïdes Associés. NDLR] et j’y croyais encore. Il m’avait dit : « Il faut que tu arrêtes ta série car Batignolles, c’est un gros boulot, il y en a pour cinq albums. » J’ai du lui refuser la mort dans l’âme. Depuis, j’ai fait Victor Levallois, La Vie d’Hergé, le Donjon, des tas de trucs, comme une Vie de Simenon que m’avaient proposés José-Louis Bocquet et Jean Luc Fromental qui ne s’est pas faite ou ces deux projets de Spirou chez Dupuis, l’un sur un scénario de Frank Le Gall, un autre sur un scénario de Lewis Trondhteim qui ne se sont pas faits non plus…

Et comme j’aime bien avoir des gros projets qui m’occupent l’esprit, une bonne série, j’ai repensé à cela. J’ai donc rappelé Tardi pour savoir si la proposition tenait toujours. C’était le cas. On s’est vu tous les trois chez Tardi. Il avait perdu le scénario, heureusement, Boujut en avait toujours une copie ! J’ai donc rencontré ces deux personnages hauts en couleurs, avec un très grande culture de cinéma, de littérature de polar, de musique de jazz et puis ce côté anar très ancré en eux, des bons anars, des vrais, sympathiques !

On sentait qu’ils avaient pris du plaisir à faire ce feuilleton sous la méthode du cadavre exquis : ils se refilaient le truc tous les cinq épisodes à peu près. Il y a 110 épisodes écrits !

Stanislas, chez lui, en juin 2011
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Comment se passe l’adaptation ?

Tardi ayant perdu le scénario, Boujut arrive avec celui-ci dans une valise. Je reçois les 110 fascicules qui correspondent aux 110 épisodes quotidiens du feuilleton. Ils me donnent tout. Ils me donnent carte blanche pour les adapter. Ils me disent : « Tu fais vraiment ce que tu veux. Tu trouves l’éditeur, si tu n’y arrives pas, j’en parle à Casterman. »

J’avais un trésor dans les mains. J’en dessine les premières planches et je leur soumets. Ils trouvent cela très bien. Je leur trouve l’éditeur : Philippe Ostermann chez Dargaud. C’est une maison qui fait des choses très intéressantes comme la collection Poisson Pilote. Cela s’est fait très rapidement.

Vous avez trouvé un tempo de dessin plus rapide ?

Non, c’est de la BD « lourde. » Leur travail sur le feuilleton semble être un travail rapide, un « cadavre exquis » qui fonce à toute allure, avec des rebondissements tout le temps. Mais j’ai pris le parti de le dessiner de façon très sérieuse comme dans une bonne BD classique comme que je les aime de plus en plus aujourd’hui.

Il y a un côté Rouletabille. C’est émaillé de citations.

Oui, car ils sont très cultivés, ils aiment la culture populaire. Il y a plein de citations, cela va de Tintin à Louise Michel. Moi, de mon côté, je ne me gêne pas pour faire la même chose graphiquement comme les Frères Jacques que j’ai rajoutés parce que c’est une bande dessinée qui parle d’une époque où le son prédominait. Il n’y avait pas d’images. Or moi je fais du son avec des images. C’est curieux parce que ce sont des séquences visuelles.

"Le Perroquet des Batignolles" de Stanislas, Boujut et Tardi - Ed. Dargaud

Dans le feuilleton de Tardi et Boujut, le son fait image, précisément.

Quand on écoute une locomotive à vapeur, on la voit. Quand on la dessine, on l’entend. C’est lié, malgré tout. Mais comme ils ont écrit pour que cela devienne du son, ils se sont intéressés à tout ce qui pourrait être phonique. Il y a des petites musiques, des décors bruyants, « audio ». Mon image est enrichie par leur travail sur le son.

On découvre avec votre dessin un style « daté », une Ligne claire qui va de Saint-Ogan à Hergé et Chaland, et qui est appliquée à des décors contemporains. Cela marche à merveille !

Je crois que Chaland l’aurait fait s’il avait eu le temps. Swarte, Ted Benoit ont fait des trucs modernes aussi. Ce qui est pratique, c’est que quand je descends dans la rue, le décor est là, je n’ai plus qu’à prendre des photos. Dans la planche 27, c’est l’école de mes enfants. Ailleurs, cela se passe à Garches où travaillait ma femme. À chaque fois, j’utilise des décors que je connais. À la fin, l’un des personnages les plus intéressants, Étienne, le beau-père d’Oscar, habite Montreuil, tout comme moi. J’aime cette ville, comme les décors de banlieue. Quand je vais à la Maison de la Radio pour faire du repérage, je prends la ligne 9 au métro Croix de Chavaux et je descends à Ranelagh, chez les bourges. Quand Oscar qui travaille à la Maison de la Radio part pour aller chez son beau-père à Montreuil, il prend la même ligne. Cela m’a amusé de dessiner ces deux stations de métro.

"Le Perroquet des Batignolles" de Stanislas, Boujut et Tardi - Ed. Dargaud

Dont les décors parfois sont moches « comme dans les films de Bertrand Blier » dit l’album.

Oui, quand j’ai lu cela, je me suis rendu compte que je m’étais fait la même réflexion.

On voit des personnages qui existent comme José Arthur, Jean-Luc Hees…

Dans le deuxième tome, il y aura Bertrand Tavernier.

Et puis, il y a cette libraire qui parle de la surproduction des livres…

Oui, il y aura de plus en plus ce genre d’incursions que j’appelle « extra-scénaristiques ». Ce sont des personnages qui ont un rôle très secondaire, ce sont presque des figurants, mais qui ont leur mot à dire. Cela va de la cantatrice qui parle de ses problèmes avec les agents artistiques ou un apiculteur qui donne toute l’explication de la pollinisation par les abeilles, au retoucheur de photo dont le métier se fait aujourd’hui à l’informatique et qui est proche du faussaire, comme l’énigmatique Monsieur Schmutz.

Les textes de sépisodes conservés par Michel Boujut
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Les couleurs de cet album sont particulièrement réussies.

Il s’agit de Dominique Thomas avec qui je travaille depuis longtemps qui m’a recolorié les trois premiers Victor Levallois, qui m’a fait mon quatrième, mon Donjon et puis celles du père de ses enfants, Frank Le Gall, notamment la collection des Théodore Poussin.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

Une vidéo réalisée par Geert de l’association Les amis de Freddy Lombard

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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