Peu de films d’animation furent aussi attendus que Steamboy, le dernière création de Katsuhiro Otomo, géniteur du manga Akira et réalisateur de son adaptation en long métrage animé. Par l’engouement qu’il suscita et l’ouragan qu’il provoqua dans le paysage culturel de l’époque, Akira, cette épopée de science-fiction adulte et sombre fut un précurseur majeur de la grande vague manga et japanimation du début des années 90. Il n’est donc pas étonnant que pour le public chaque nouveau travail de l’artiste soit auréolé d’un grand A. Poids somme toute pesant mais qui n’a finalement qu’imperceptiblement atténué le succès d’estime qu’ont reçus ses travaux ultérieurs, à l’image de l’excellent Canon Fodder, court métrage du recueil Memories, considéré par beaucoup comme une très belle leçon de cinéma et d’animation.
Avec Steamboy, l’ambition du réalisateur était clairement affichée : faire oublier Akira et atteindre les sommets internationaux d’un Princesse Mononoke du studio Ghibli. Le projet a nécessité pas moins de 10 ans d’élaboration pour un budget de prés de 20 millions d’euros, une somme astronomique comparée à l’enveloppe moyenne d’un film d’animation nippon. Otomo a choisi le style Steampunk pour planter le décor de ce film : un monde parallèle flirtant avec le néo-rétro et une action qui prend place plus particulièrement dans une Angleterre victorienne où la vapeur est la source principale d’énergie. Un jeune garçon, génie de la mécanique à vapeur, se voit remettre la dernière invention de son savant de grand-père : une boule métallique contenant une forme de vapeur hyper-compressée, énergie surpuissante et inépuisable. Cet artefact est bien sûr un objet de convoitise aux yeux de tous, et en particulier aux yeux d’un groupe industriel misant sur la vente d’armes de guerre. Impliqué dans cette sombre machination, le propre père de notre héros semble dévoré par une obsession du pouvoir aussi insatiable que destructrice...
Il peut y avoir deux façons de regarder Steamboy.
Dans le regard d’un amateur aguerri d’animation japonaise, ce film pourrait donner l’image d’un véritable OVNI. En effet, Steamboy est à la croisée de tous le chemins : une épopée entre Jules Vernes et Miyazaki avec un soupcon de Faust ; un héros principal, fruit du croisement réussi mais peu original du fougueux Pazu de Laputa (Le Château dans le ciel) et de l’ingénieux Jean tout droit sorti de Nadia et le secret de l’Eau bleue ; un ton généralement grave et sombre, interrompu par des scènes burlesques impromptues souvent décalées ; et un manichéisme omniprésent teinté de négationnisme aigu à l’égard de la science. Le plus gênant est surtout cette sensation persistante et amère d’un film portentiellement de l’envergure d’un Akira, mais volontairement recadré et dénaturé pour satisfaire aux normes d’un marché mondial et d’une accessibilité tout public.
Mais à travers un regard candide, vierge de toute référence, aux antipodes de cette prétendue omniscience dont les fans (à tics) et les critiques pédants aiment tant se targuer, Steamboy se savoure comme un met de choix au parfum d’évasion et à la saveur du grand divertissement. Le rythme mené crescendo laisse peu de place aux temps morts, jusqu’à la scène finale, véritable apothéose orgasmique où destruction rime avec magnificence. La réalisation n’est pas en reste et la symbiose animation traditionnelle / 3D plonge le spectateur dans une tornade enivrante d’effets visuels et de voltiges de caméra.
Steamboy fut annoncé comme un raz de marée. Faute de véritable révolution, le film s’avère plus proche de la simple vague que du tsunami, mais c’est un rouleau superbe sur lequel notre imaginaire peut surfer avec délectation.
(par Anh Hoà Truong)
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