Et si la navette de Superman ne s’était pas écrasée près de Smallville dans le Kentucky mais dans un Kholkoze Ukrainien en 1938 ? Et si, au lieu d’être le plus grand symbole de l’Amérique, Superman devenait le leader du Parti communiste après Staline ? C’est ce concept uchronique qu’invente Mark Millar en 2003 avec Superman Red Son.
Depuis, son récit s’est frayé un chemin jusqu’au panthéon des histoires les plus incontournables du comics. Et 17 ans après sa première publication et de nombreuses rééditions, Urban Comics nous en propose une nouvelle dans sa collection Black Label consacrée aux aventures les plus sombres de DC Comics.
Avec un tel concept, il aurait été facile -et peu intéressant- de sombrer dans le poncif. Mais Mark Millar a l’honnêteté artistique et l’audace politique de nous offrir un récit tout en nuances, loin du manichéisme et du patriotisme attendu lorsqu’on oppose bloc de l’est et bloc de l’ouest. Il y démontre son amour sincère pour le personnage et ses symboles, et défend une idée presque absolue de l’idéal qu’est Superman : en Russie ou aux USA, endoctriné au communisme ou fervent défenseur des valeurs américaines, il reste un alien perdu sur une planète qui n’est pas la sienne et dévoué au bien, à tout prix.
On croise également tous les compagnons de route de Superman savamment réinventés : Batman est un leader révolutionnaire pro-anarchie, Wonder Woman reste la seule véritable amie de Superman, pour un temps du moins, et Green Lantern est un colonel américain au cerveau lavé par l’anti-communisme le plus primaire.
Mais c’est surtout Lex Luthor, némésis absolue de Superman, qui brille. Seul être humain pouvant rivaliser avec lui (sur le plan intellectuel du moins), son développement comme dernier rempart narcissique entre l’humanité et le totalitarisme de Superman en fait le véritable héros de l’histoire.
Le tout est servi par des dessinateurs de qualité (Dave Johnson et Kilian Plunkett) qui saisissent parfaitement les points communs entre Superman et les icônes de la propagande soviétique (pas si différents au final). L’icônisation du surhomme qui "prend la pose" à chaque page comme sur une affiche de campagne Stalinienne, les décors dystopiques dignes d’Orwell, les couleurs qui rappellent les films du Parti : on est face à un bijou réussit jusque dans ses moindres détails.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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Superman Red Son - Par Mark Millar, Dave Johnson & Kilian Plunkett - Urban Comics - 17,50€ - 176 pages - 09/10/2020.