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Sylvain Ricard ("Biribi") : "Pour mettre en scène l’évasion d’un camp comme celui-là, il y a peu de marge de manœuvre."

Par Thierry Lemaire le 27 juin 2012                      Lien  
Sylvain Ricard, scénariste prolifique qui a déjà écrit sur l'univers carcéral, s'attaque avec {Biribi} à un des plus terribles lieux d'emprisonnement français. Avec comme but ultime pour ses héros, parvenir à s'en évader.

La nouvelle série concept initiée par David Chauvel parle donc d’évasion, dans des lieux et des circonstances forcément incongrues, décalées ou . Biribi, le premier tome de la série, dessiné par Olivier Thomas, entraîne le lecteur au milieu de nulle part, dans le désert marocain. Bienvenue en enfer avec Sylvain Ricard.

Qu’est-ce que c’est exactement Biribi ?

C’est un bagne militaire, qui accueillait le plus souvent des soldats qui faisaient leur service aux Bataillons d’Afrique, dans lequel étaient envoyés un certain nombre de droits communs, de repris de justice, de voyous. Donc c’était déjà une population qui était un peu triée sur le contexte social. Et quand ils faisaient des faux pas dans les Bat d’Af’, on les envoyait à Biribi. C’est l’appellation générale et populaire des bagnes militaires qui étaient répartis tout au Nord de l’Afrique.

Dans l’album, le camp n’est pas très grand. C’était de petites structures ?

A priori, c’était des structures équivalentes à celles qu’on montre. Dans les rares photos ou documents qu’on a pu consulter, ça ressemble à ça. Avec, grosso modo, le même nombre de prisonniers.

Sylvain Ricard ("Biribi") : "Pour mettre en scène l'évasion d'un camp comme celui-là, il y a peu de marge de manœuvre."
Le camp qui accueille Ange Lucciani

C’était des durs à cuir en arrivant aux Bat d’Af, qui en plus avaient été condamnés. Condamnés pour quoi d’ailleurs, insubordination ?

C’est ça. Insubordination, désobéissance, tentative d’évasion, désertion… Tout ce qui contrevenait à la loi martiale était susceptible d’emprisonnement. A la fin du XXème siècle, pendant son service militaire, on pouvait faire du trou. C’est le même principe.

Comment avez-vous eu vent de cet endroit ? C’est beaucoup moins connu que Cayenne par exemple.

Je suis tombé là dessus en écoutant une émission de 2000 ans d’histoire sur France Inter. Il y avait Dominique Kalifa qui venait présenter son livre et qui parlait de ces fameux camps. Je ne connaissais pas du tout. Il se trouve qu’à ce moment là, je m’intéressais pas mal aux conditions carcérales en France, je travaillais sur 20 ans ferme, et ça m’a titillé. Je me suis documenté sur la question en achetant les livres de Kalifa, Georges Darien et Albert Londres. Et David Chauvel est venu me proposer de travailler sur La grande évasion et ça tombait relativement bien (rires).

Quand ces camps ont-ils commencé à fonctionner ?

A partir du milieu du XIXème jusqu’au milieu du XXème. Avec une prise de conscience des pouvoirs publics et des Français, suite au livre d’Albert Londres sur le sujet, des exactions qui s’y produisaient. Le régime s’est donc beaucoup assoupli.

Et comment ça s’est passé pour votre documentation ?

Très peu de photos. J’ai cité ces trois livres dans lesquels il y a quelques photos. Dans Les vrais, les durs, les tatoués, il y a une iconographie très importante sur les tatouages des bagnards, qu’on appelait des bouzilles. Et après, sur Internet, on ne trouve pas grand chose. Il y a un film, que je n’ai pas pu voir. Une chanson d’Aristide Bruant, qui s’appelle A Biribi. Ça se résume à ça.

Alors comment ça s’est passé pour déterminer ne serait-ce que l’apparence du camp ?

Il y a une partie qui est imaginée (la structure du camp, le nombre de tentes, etc) et ce qui est plutôt authentique (la forme des tentes, les miradors, la baraque des chaouches). Pour cette dernière, c’est d’après photos. Et tous les tatouages sont véridiques.

Car dans le camp, il y a un piqueur.

Oui, c’est lui qui faisait les bouzilles, les tatouages. En général, d’ailleurs, ils étaient déjà tatoués en métropole. Le tatouage a une fonction sociale, dans l’organisation des groupuscules criminels. Il y avait beaucoup d’anarchistes. "Tout me fait rire" est une devise anarchiste. A cette époque, le tatouage est l’apanage des mauvais garçons.

Des exemples de tatouages

Le héros de l’album, Ange Lucciani, un Corse, est un sacré provocateur. Les autres baissent la tête, lui non.

Oui, c’est une forte tête qui n’a peur de rien. Ange est particulièrement tête brûlée. Il y avait pas mal de Corses, car de nombreux proxénètes de Paris étaient corses.

La discipline était stricte, certes, mais les punitions étaient absolument abominables. Vous en avez rajouté ?

Non, ce sont des punitions authentiques. La crapaudine, la crapaudine rouge, le silo, le tombeau, ce sont des punitions qui existaient, sous la forme décrite dans le livre. Ça ne rigolait pas. Il y avait ça et les alourdissements de peine. A partir du moment où on faisait des histoires au bagne, on ajoutait 5 ans, 6 ans, 10 ans. Du coup, il y en avait qui allaient jusqu’à tuer un de leurs camarades ou un gardien pour se faire envoyer à Cayenne. Qui était plus souple. Un peu plus vivable, paraît-il. Il y avait en tout cas moins de torture.

A un certain moment, l’officier qui commande le camp est tellement sauvage avec les prisonniers qu’il pourrait être à leur place.

Absolument. C’était aussi des Corses qui étaient envoyés pour administrer le camp. Les Corses étaient réputés pour être très durs avec les prisonniers. Les sous-officiers qui avaient la direction opérationnelle des camps, c’était souvent des Corses.

C’était sauvage, mais de l’autre côté, il devait y avoir de sacrés numéros.

A mon avis, il devait y avoir beaucoup de gens qui n’avaient pas fait grand chose. Quand on parle de Cayenne, il y en a beaucoup qui ont été condamnés pour des choses qui nous paraissent aujourd’hui insignifiantes. Ce n’était pas des vrais durs. Ça pouvait certainement être le cas de ceux qui avaient fait une bêtise, qui se retrouvaient aux Bat d’Af’, et puis là bas qui volaient à manger parce qu’ils avaient faim. Celui qui accompagne Ange dans l’histoire, c’est un petit peu ça.

L’officier commence à se déchaîner

C’était des camps de travaux forcés ?

Ils faisaient des routes dans les colonies. Ils cassaient des cailloux en fait. Des travaux de force pour les occuper et les fatiguer.

La difficulté supplémentaire de ces camps, c’est qu’ils sont en plein milieu du désert. Un soleil de plomb, une nuit glaciale.

C’est un peu le principe de l’armée, de casser les hommes pour qu’ils soient obéissants.

Ce sont des conditions idéales pour une bonne prison. On sait s’il y a eu des évasions réussies ?

Je n’ai pas connaissance d’évasions réussies. Il y a eu des tentatives, et notamment des émeutes. Ils se regroupaient à 10 ou 20 pendant qu’ils cassaient des cailloux dans les champs. Mais apparemment, ce n’était pas monnaie courante. Ils devaient être particulièrement sous-alimentés, fatigués et donc faibles. Et puis il y avait tout l’environnement hostile du désert. Et les autochtones qui touchaient des primes pour dénonciation.

D’ailleurs, on voit au début de l’album, que pour arriver jusqu’au camp, c’est déjà un roman.

Même les camps des Bat d’Af’ étaient paumés au milieu de nulle part.

L’arrivée au camp

Finalement, cet album qui se place dans une série sur les évasions est partagé à peu près moitié moitié entre la description du camp et le récit de l’évasion en elle-même. C’était obligatoire pour montrer les motivations des fuyards ?

Ce qui était obligatoire, c’est que l’évasion prenne au moins la moitié de l’album. Il se trouve que je voulais quand même parler des camps de Biribi. Expliquer quelles étaient les motivations de Ange et des deux petits vieux pour partir. Présenter le contexte.

C’est plus intéressant ce qu’il y a dans le camp que la fuite en elle-même qui est une course-poursuite dans le désert. Vous n’avez pas eu la tentation d’en mettre un peu plus sur Biribi ?

Non, j’ai mis grosso modo ce que je voulais mettre. C’est vrai que mettre en scène l’évasion d’un camp comme celui-là, il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre. J’ai pris une option particulière qui est celle que les évadés suivent leurs poursuivants. C’est une forme d’originalité. Mais ils sont obligés de s’enfuir à pieds. Il n’y a pas de véhicule, pas d’animaux. Ils ne peuvent pas creuser un tunnel. Qu’est-ce qu’ils peuvent faire à part s’en aller à pieds ? Ils n’ont pas vraiment le choix.

Quand on pense bagne, évasion, forcément on pense à Papillon. Est-ce que ça a été une influence ou au contraire, est-ce que vous avez absolument voulu vous en détacher ?

Je n’y ai pas pensé un seul instant. J’ai vu le film quand j’étais ado. Je n’y pensais plus du tout. En plus ce n’est pas le même contexte. Il n’y a eu aucune interaction entre le roman de Henri Charrière et ce que j’ai écrit.

J’ai un petit bémol sur cette histoire, c’est la toute fin que j’ai trouvée un peu abrupte. Est- ce que la contrainte du nombre de pages vous a un peu gêné sur la fin ?

Alors, il y a cette contrainte bien évidemment et puis il y a le fait que c’est bien si ça va un petit peu plus vite sur la fin. Il faut dynamiser ce genre de bouquins. Ce sont des one shots. On reste sur quelque chose d’un petit peu fort, avec de la tension, du suspense. De l’action sur les dernières pages.

C’est surtout l’épisode final des deux petits vieux que je trouve un peu rapide.

Oui, je suis d’accord, j’ai regretté de ne pas avoir une page ou deux de plus.

Pour finir, quels sont vos projets pour les mois qui viennent ?

Il y a les suites. Le tome 2 de Motherfucker en janvier, je crois. Le tome 2 de Stalingrad l’année prochaine aussi. Je suis en train de faire un livre avec Daniel Cazenave, chez Futuropolis, qui s’appelle Toi au moins tu es mort avant. C’est l’histoire d’un communiste grec, condamné à mort à 16 ans, qui a passé 27 ans dans les geôles grecques sous les différentes dictatures. Une histoire incroyable, sur un engagement d’une force phénoménale. Je travaille aussi avec James sur un polar qui va sortir chez Ankama et qui s’intitulera Jeudi noir pour col blanc. Un thriller qui se passe dans le milieu de la banque et du terrorisme. Je travaille également sur diptyque qui sortira chez Dupuis et qui raconte l’histoire d’un petit groupe de naufragés, réfugiés dans un phare en pleine tempête, qui va se trouver confronté à une enquête policière. C’est une adaptation d’un script d’Olivier Megaton. Et puis La revue dessinée, bien sûr, qui est un gros projet [NDA : dont nous parlerons dans les prochains jours].

(par Thierry Lemaire)

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