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Sylvain Savoia : Cap sur l’Europe !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 juin 2004                      Lien  
Il y a des auteurs qui savent jongler avec l'air du temps. Jean-David Morvan et Sylvain Savoia sont de ceux-là. À peine le parlement de l'Europe des 25 était-il sorti des urnes qu'ils racontaient en visionnaires la constitution d'une Europolice destinée à remettre un peu d'ordre dans la Babel communautaire. Une aventure passionnante autant qu'instructive pour l'avenir.

Sylvain Savoia : Cap sur l'Europe !  Cette série te permet un retour à Bruxelles où tu as fait une partie de tes études à l’école de bande dessinée de Saint-Luc.

-  Oui, c’est une ville que Jean-David Morvan et moi aimons beaucoup, très animée, très riche.

-  Le choix de l’école de BD de Bruxelles est géographique. Jean-David et toi venez de Reims, et Bruxelles est plus proche qu’Angoulême.

-  Oui, c’est pour cela, c’était plus simple. C’est aussi moins cher qu’Angoulême, Lyon ou Paris.

-  Tu as aussi, comme Jean-David, découvert la BD dans la librairie tenue à Reims par l’épouse de Benoit Sokal ?

-  Non. J’ai un oncle qui était passionné de BD et qui me l’a fait découvrir très très jeune. J’ai habité Bruxelles pendant trois ans, dans le quartier de l’école à Saint-Gilles, rue de la Victoire puis rue de Roumanie. Mais même en habitant tout près, j’étais souvent en retard.

-  Qui sont tes profs à Saint-Luc ?

-  Les deux profs principaux de l’atelier encore aujourd’hui : Pierre Pourbaix et Marc Sevrin. Ça se passe plus ou moins bien avec eux. Rien d’extraordinaire, en fait. C’est pour cela que je n’ai pas continué jusqu’au bout. Et puis, grâce à Jean-David Morvan, nous avons rencontré un éditeur, Jacques Collin chez Zenda, à qui j’avais montré des pages que je faisais dans l’atelier. Ils m’ont proposé un projet. J’ai tenté de commencer ma carrière professionnelle en parallèle avec l’école, mais celle-ci m’a sommé de choisir. J’ai donc choisi la carrière professionnelle.

Un regard objectif sur la Communauté.

Al’ Togo
par S. Savoia et J-D. Morvan (Editions Dargaud)

- Cette nouvelle série, Al’ Togo, avec Jean-David Morvan, dont le deuxième tome vient de sortir, a un héros black. Ce n’est pas courant. C’est pour la faire politiquement correct ?

-  On ne peut pas dire ça. On l’a fait pour deux raisons : Parce que déjà, c’est très rare en BD et on voulait sortir du cliché du héros classique habituel ; la deuxième raison, très importante pour nous, c’est que cette histoire se passe en Europe et que notre projet est de nous balader dans tous les pays de la Communauté. C’était intéressant d’avoir un personnage français mais qui en même temps avait des origines extra-européennes. Ses parents à lui sont des immigrés installés en France. Cela nous permettait d’avoir un regard qui autorise un peu de recul.

-  Ça se passe en 2010, si l’on en croit le dossier de presse.

-  On n’a pas donné de date. Dargaud a communiqué sur ça. Pour nous, c’est un futur très proche parce que l’Europolice n’existe pas vraiment. Ce pourrait être une version améliorée d’Interpol. On n’a pas voulu situer notre album précisément dans le temps. On est resté très évasif en évoquant les aspects politiques par exemple, pour ne pas être daté.

-  Vous aviez prévu l’Europe à 25 ?

-  On savait que l’Europe allait s’agrandir de toute façon. Le prochain album se passe en Pologne et cela avait été décidé bien avant l’élargissement.

-  Quel est le projet de la série ?

-  Nous avons voulu mettre ensemble des personnages très différents dans des situations qui provoquent des chocs de culture, qui permettent d’évoquer les différentes facettes de la Communauté, de montrer qu’il n’y a pas un mode de vie qui prime, même si chacun pense détenir le bon. Cela donne des confrontations amusantes, cocasses, dramatiques aussi, des rapports humains inattendus.

-  La logique veut dès lors que vous commenciez votre tour d’Europe à Bruxelles.

-  Tout à fait, Bruxelles est la capitale européenne. Il fallait asseoir notre départ sur une base solide.

-  Cette « europolice » est surpuissante, bien organisée...

-  Pour l’instant, on n’a vu qu’une partie très légère. Nous voyons un des groupes d’intervention, alors qu’il y en a plusieurs. Derrière eux, il y a énormément de gens qui travaillent.

-  On a une image de l’Europe qui est plutôt bureaucratique. Un politicien français la qualifiait de « géant paralytique. » Les Européens d’ailleurs s’en préoccupent peu. Cela ne se reflète pas dans votre histoire.

-  Normal. On n’allait pas ennuyer nos lecteurs. Et puis c’est évoqué dans les albums, cette police est là aussi pour servir de « vitrine » de l’entente européenne. On leur donne beaucoup de moyens, ils sont mis en avant, on en parle... C’est aussi le moyen de changer cette image, de mettre l’Europe au diapason des citoyens.

-  C’est un fantasme pour Sarkozy, ce truc-là !

-  Je ne sais pas si j’ai très envie que l’on dise cela. Il reste un côté bien sûr un peu naïf de notre personnage qui a décidé, entre les méchants et les gentils, de choisir les gentils. Je ne pense pas que l’on donne une image répressive de la police. C’est une vision positive d’un groupe de policiers, plutôt humains, sympas. On ne parle pas de toutes les polices non plus. On verra d’ailleurs dans le troisième album que toutes les polices ne se valent pas, n’ont pas le même potentiel de sympathie.

Al’ Togo
Le tome deux commence dans la Gare du midi à Bruxelles. (Editions Dargaud)

Un récit contemporain

-  Pour Jean-David et toi, c’est un grand saut depuis votre précédente série, « Nomad » ?

Nomad
Une collaboration avec Philippe Buchet et Jean-David Morvan. Aux confins ddu Manga. (Editions Glénat Manga).

- Oui. A plusieurs niveaux. Au niveau du format d’abord, car les albums de Nomad faisaient énormément de pages, mais c’est ce qu’on voulait au départ. Ici on travaille plus dans l’ellipse. C’est un grand saut aussi au niveau du dessin, de l’univers. Mais j’avais envie de faire quelque chose de contemporain après cette série de science-fiction.

-  « Nomad » est une tentative de faire du manga à l’européenne. Les Japonais ont-ils été convaincus ?

-  Je ne pense même pas qu’ils soient au courant.

-  Comment, ce graphisme proche du leur ne les pas interpellés ?

-  Je pense que s’ils publiaient des auteurs européens, ce serait des choses très différentes de ce qu’ils savent faire de toute façon mieux que nous. Ce n’était pas notre but de faire de la BD de style manga. Avant, j’avais fait un western. Je n’ai pas du tout une culture manga. A l’époque j’avais seulement lu Akira et Ghost In The Shell. Ça s’arrêtait à ça. Comme Jean-Claude Camano s’occupait à la fois d’Akira et de nous, il a trouvé intéressant de faire cette série qui était une jonction entre les deux univers, avec beaucoup de pages, un rythme de parution rapide et une équipe qui tournerait à fond là-dessus. Comme j’ai travaillé avec Philippe Buchet qui était un fan absolu de cette culture et que la série avait ce côté très technique avec ses vaisseaux spatiaux, on a pensé à la BD japonaise. Cela m’amuse toujours que l’on me dise que j’ai un style manga. Je pense que mon style est plutôt celui de la BD franco-belge.

-  C’est plus le choix des moyens qui crée la convergence.

-  Oui, le format, le travail en équipe et le thème de la Science Fiction.

Nomad
"Je pense que mon style est plutôt celui de la BD franco-belge." (Editions Glénat manga)

Le prolixe Jean-David Morvan

-  Comment se passe la relation avec Jean-David Morvan, un scénariste multiforme, une sorte de « pieuvre » créatrice. Il t’envoie les planches une à une, comme Jean-Michel Charlier ?

-  Cela va faire vingt ans qu’on se connaît, Jean-David, mon coloriste Christian Lerolle et moi, que l’on travaille ensemble, depuis l’âge de nos quinze ans ! On travaillait pour un fanzine à l’époque, on dessinait tous les trois. Jean-David relisait mes scénarios, réécrivait des séquences, puis il a fini par écrire des scénarios en entier. Comme ce qui l’intéressait, c’était de raconter des histoires et que les dessiner, ce n’était pas assez rapide, il les a fait dessiner par d’autres. On a fait notre premier album, un western, chez Zenda, et on ne s’est plus quitté. On habitait ensemble à Bruxelles et quand on est revenus, à Reims, on a créé un atelier. On discute d’abord un bon moment du sujet de l’album. Les idées se mettent en place. Il les écrit. On se voit régulièrement pour commenter certaines séquences et puis il produit les pages au fur et à mesure. J’ai toujours une dizaine de pages d’avance.

-  Ce n’est pas un Charlier qui les livre au compte-goutte.

-  J’ai la chance de l’avoir sous la main. Je ne tombe jamais en panne. Comme on se connaît très bien, je sais ce qu’il va écrire. Et si j’ai une idée qui me vient, je change le scénario. On a une façon de travailler qui est vraiment très libre.

Retour à Bruxelles

-  Comment es-tu revenu sur tes pas à Bruxelles ?

-  Déjà, en travaillant avec Dargaud Benelux, j’y reviens régulièrement. J’ai des amis qui habitent encore à Bruxelles et qui constituent pour moi un point de chute régulier. D’ailleurs Al’ Togo habite à Bruxelles l’immeuble que nous habitions, Jean-David et moi, rue de Roumanie. La boulangère a vraiment existé, même si elle n’avait pas ce physique. Je suis revenu prendre des photos pour des détails tout bêtes, comme les cabines téléphoniques, par exemple. Pour le tome deux, nous avions besoin de savoir comment se structurait la Gare du midi. Nous avons donc contacté, par l’intermédiaire de Dargaud, les autorités, qui nous ont fait visiter les coulisses et leur salle de commande pendant une après-midi. C’était vraiment super intéressant, cette gare très souterraine.

-  Le prochain album se déroule donc en Pologne ? Pourquoi ce choix ? C’est un coup de foudre ?

-  En quelque sorte : oui, puisque ma compagne est polonaise, originaire de Stalowa-Wola. Nous y allons le mois prochain pour y faire du repérage.

Propos recueillis par Didier Pasamonik le 4 juin 2004.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Sylvain Savoia. Photo : D. Pasamonik

 
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