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T’Zée - grandeur et décadence d’un autocrate africain

Par Christian MISSIA DIO le 20 mai 2022                      Lien  
Il y a 25 ans, le 17 mai 1997, le règne de Mobutu prenait fin dans la débacle la plus complète. Isolé politiquement et malade, le vieux léopard a choisi le chemin de l'exil au Maroc, où il mourra quelques mois plus tard. Triste fin pour celui qui était l'un des leaders africains les plus importants du 20ᵉ siècle. En s'inspirant de la tragédie de Racine, "Phèdre", les auteurs Appollo et Brüno revisitent la chute du maréchal Mobutu à travers un récit crépusculaire, puissant et subtil, qui frappe notre imaginaire. "T'Zée" est un roman graphique qui nous rappelle que "la vie est une tragédie quand on la regarde de près. Mais avec un peu de recul, c'est une comédie" (Francis Dannemark).

On l’appelait “l’homme-léopard”, “l’aigle de Kawele”, “Papa Maréchal” ou plus simplement le “roi du Zaïre”. Autant de surnoms pour désigner l’homme politique africain Joseph-Désiré Mobutu, qui a régné sans partage sur l’ex-colonie belge, la République démocratique du Congo, au lendemain de l’Indépendance.

À partir de 1965, Mobutu prend le pouvoir et s’autoproclame “maréchal”. Il impose à partir de 1971 une politique de décolonisation culturelle et de retour à l’authenticité à travers le mouvement de la zaïrianisation : les noms du pays, de la monnaie et du fleuve deviennent Zaïre et la capitale Léopoldville est débaptisée au profit de Kinshasa. Le pantalon et la perruque sont bannis pour les femmes qui portent désormais le pagne et le port du costume-cravate est interdit aux hommes au profit de l’abacost (à bas le costume), une tenue d’inspiration maoïste. Enfin, il supprime les prénoms chrétiens et occidentaux et ordonne le recours aux noms congolais. Mobutu donne d’ailleurs l’exemple : fini “Joseph-Désiré Mobutu”, place dorénavant à Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga (littéralement “Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne puisse l’arrêter”).

C’est une période faste de grandeur pour le Zaïre qui se veut être un pays africain émancipé, fier de ses racines et la locomotive économique de l’Afrique dans la course à la modernité. L’un des temps forts de cette période est l’organisation en 1974 du légendaire “La baston dans la jungle” (The Rumble in the Jungle) qui a permis à Muhammad Ali de reconquérir le titre de champion du monde poids lourd lors d’un combat de boxe dantesque contre George Foreman. Cette victoire de l’icône des Droits civiques, Mobutu l’érige en apogée du mobutisme.

T'Zée - grandeur et décadence d'un autocrate africain
T’Zée

Ça, c’était pour le côté pile. Le côté face en revanche, était beaucoup moins reluisant, car Mobutu est à la fois un leader lucide et un tyran aveugle, adepte du culte de la personnalité et à la magie noire. Il transforme son pays en kleptocratie : son clan et lui ponctionnent systématiquement les caisses de l’État et la trésorerie des entreprises nationales. Et tandis que la crise économique guette, le sang coule à nouveau au pays de Lumumba. D’abord celui des opposants politiques et plus tard celui des étudiants lors des manifestations de février 1989. Assurément, le Zaïre de Mobutu est un géant aux pieds d’argile et cette fragilité éclate à la face du monde avec la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide. En effet, Mobutu était considéré par les Occidentaux comme un rempart à la progression des Communistes en Afrique centrale. Mais la déliquescence de l’URSS a rendu l’utilité du “Lider Maximo africain” discutable aux yeux de ses parrains les Américains. Le génocide au Rwanda et la naissance de la rébellion à l’Est du pays sonna le glas du règne de Mobutu. Reclus dans son palais de Gbadolite - considéré comme le Versailles de la jungle - et affaibli par un cancer de la prostate, le vieux léopard doit fuir et opte pour l’exil. Il meurt quelques mois plus tard au Maroc, où son corps repose toujours 25 ans après.

C’est cette période précise de la chute de Mobutu que les auteurs Appollo et Brüno ont choisi de mettre en scène dans leur roman-graphique T’Zée. Un récit construit sur le modèle de la célèbre tragédie de Phèdre, écrite par Jean Racine.

Tout comme dans Phèdre, T’Zée repose sur la mimèsis, c’est-à-dire non pas une simple imitation du réel, mais un réel retravaillé par la création poétique. Les noms des personnages et des lieux sont modifiés tout en gardant une proximité avec la réalité. Le scénariste s’émancipe de la rigueur historique pour nous proposer un récit puissant qui, étrangement, nous permet de nous connecter à l’ambiance de cette fin de règne. Il chapitre les cinq actes de cette tragédie par des citations tirées des romans de grands auteurs africains que sont les Congolais Sony Labou Tansi et Emmanuel Dongala, du Camerounais Mongo Beti, du Malien Amadou Hampaté Bâ et de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma. Le style graphique épuré du talentueux Brüno quant à lui colle comme un gant au scénario concocté par Appollo. Grâce à son côté brut, il nous plonge directement dans l’ambiance de ce récit théâtral et fantasmagorique.

T’Zée est assurément une des sorties BD majeures de ce printemps 2022. Nous ne pouvons que vous conseiller l’achat de ce roman graphique de haute volée.

T’Zée
Appollo & Brüno © Dargaud

Voir en ligne : Découvrez le roman graphique "T’Zée" sur le site des éditions Dargaud

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782205089752

À lire sur ActuaBD.com :

T’Zée, par Appollo & Brüno, éditions Dargaud (Hors Collection Dargaud). Album paru le 6 mai 2022. 160 pages, 22,50 euros.

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