Nous n’interviendrons pas dans la polémique. Que Yann Moix ait un prix à payer pour ses erreurs de jeunesse n’est que justice. Qu’il se débrouille avec son passé, sa famille, il s’en est plutôt bien sorti. Qu’il ait fait le chemin inverse de Julien, le salaud de L’Enfance d’un chef de Jean-Paul Sartre, c’est tant mieux. Au moins ne porte-t-il pas la moustache. Qu’il s’excuse de ses mensonges, de ses méfaits, c’est la moindre des choses. Nous avons le sentiment qu’il ne perdra pas beaucoup de ses lecteurs et qu’il survivra à sa « légende noire », comme d’autres, de Céline à Houellebecq. Ce n’est pas là ce qui nous intéresse.
Ce qui nous interpelle, c’est qu’il appelle ces dessins des « bandes dessinées ». Il a utilisé ce terme de nombreuses fois dans cette émission. Or, nous en avons vu quelques-uns, de ces dessins, publiés sur le site de L’Express. Montrant des vieillards édentés, des juifs caricaturés en porcs, ils sont médiocres, conçus pourtant par un adulte de 21 ou 22 ans. En attendant la publication d’une intégrale (après tout, les écrits antisémites de Céline ont bien failli être publiés chez Gallimard...), nous ne voyons pas ici de « bande dessinée ». Ce sont ce que l’on appelle en anglais des « cartoons », en français -et l’on voit bien là où est la gêne de Yann Moix lorsqu’il doit utiliser ce vocable : des dessins d’humour.
Or, nous pensons que la bande dessinée, par sa complexité même, n’a pas ces attributs. La caricature l’a, car il s’agit d’un trait, d’un échappement, au mieux d’une « gaffe pathologique » telle que la définissait René Goscinny décrivant ce genre d’humour noir que l’on ne peut réprimer « devant un cul de jatte affligé de cécité ».
L’honneur de la caricature, la dignité de l’humour, est de s’attaquer aux puissants. Or que fait le bravache Moix de vingt ans, que font les Dieudonné, les Soral et Le Pen adultes quand ils pratiquent l’humour ? Ils s’attaquent à des victimes, à des morts. Ce sont, selon l’expression rendue célèbre par Pierre Vidal-Naquet, des « assassins de la mémoire », des négationnistes.
Cet humour-là, cette jouissance qui consiste à braver l’interdit, requalifié de nos jours de « politiquement correct », cette capacité de s’amuser du mensonge et de l’habiller de mépris, nous le connaissons bien, dans la bande dessinée mais aussi ailleurs, puisque même la politique s’en est saisi : c’est celui du puissant qui, comme dans les cours de récrés de Yann Moix, s’attaque par veulerie aux plus faibles.
« L’humour n’a rien à voir avec l’intelligence. Je connais des imbéciles qui ont beaucoup d’humour » disait encore Goscinny. Et cet humour-là -l’humour des imbéciles- libère les mauvais instincts. Il travestit la bête immonde, lui confère de la sympathie. L’exigence de dignité en est l’antidote.
Voir en ligne : L’ARTICLE DE JEROME DUPUIS DANS "L’EXPRESS"
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photo en médaillon : France 2 - Capture d’écran
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