Le monde vit son dernier effondrement écologique. La Vermine s’insinue partout, dans la chair et la terre, dans le sang et dans l’air. La cité de ForenHaye, dernier bastion humain du royaume de Talion, lutte péniblement contre la violence de cette maladie du vivant. Et tandis qu’au-dessus du nuage de pollution, à la cime de la citadelle, les nobles survivent grâce à l’eau dépolluée, dans les bas-fonds des quartiers Racines, les plus démunis peinent à s’approvisionner en eau potable, jusqu’à en perdre l’esprit.
Fille privilégiée des régentes des Racines, Billie, intrépide, aide les laissés-pour-compte en détournant les ressources réservées à une noblesse décadente qui attend impatiemment la mort de son roi Sirius Talion, monarque éteint d’une dynastie frappée d’infamie. Dans le même temps, Tadeus, un vagabond mystérieux, arpente continuellement les ruines souterraines de l’ancienne cité, menant des expériences pour la création d’un remède au mal qui ronge l’environnement. La rencontre de ces deux âmes complexes, entre espoir et culpabilité, pourra-t-elle permettre de trouver une issue à ce monde condamné à l’autodestruction ?
Dès le premier tome des Métamorphoses 1858, trilogie parue chez Delcourt en 2019, nous avions été frappés par la puissance du graphisme et l’innovation narratrice de Sylvain Ferret. On se demandait si le jeune auteur allait poursuivre sur cette lancée, et le moins que l’on puisse dire, est que l’on n’a vraiment pas été déçus, car il a encore poussé plus loin sa réflexion sur le médium.
Une prise de position qui s’affirme dès la couverture. Ce Talion écrit verticalement sur fond brumeux, affiche un look manga que l’on retrouve clairement dans diverses séquences de l’album, surtout dans les scènes d’action. Mais cantonner Sylvain Ferret à ces références orientales serait réducteur ! Il y a également du comics dans ses planches, autant que du franco-belge bien entendu. Mais on y retrouve surtout une volonté de multiplier les mises-en-page hardies afin de toujours trouver une adéquation entre la forme et le fond. Gaufrier, double-page, code dans les phylactères, personnages en surimpression des cases, page de gauche en miroir de celle de droite, etc. C’est bien simple, sur les 64 planches que contient ce premier tome, difficile de trouver une composition identique à une autre !
Aucune gratuité dans ces procédés : l’objectif est d’allier la forme au fond. Et en effet, le propos de cette « cyberpunk gothique » est très ambitieux. Dès l’introduction, le lecteur perd progressivement ses repères, conduit par des citations issues d’un ouvrage inconnu, puis par les réflexions d’un personnage qui ne se présente pas. Certes, l’on comprend que d’horribles créatures sont attirées par l’eau claire, mais difficile d’en saisir davantage le sens pour l’instant. Et le premier chapitre qui suit est de la même teneur : beaucoup de données, peu de clés de décryptage. Il faut donc lire, entrer dans le récit, par bribes, pour saisir les codes et les usages de ce monde futuriste.
D’un certain côté, Talion rappelle d’ailleurs Les Eaux de Mortelune, par son engagement graphique, les prises de position presque théâtrales de certains personnages et le travail des dialogues ; chaque mot compte ! Mais la violence est davantage présente dans Talion. La vie tient à un fil, celui de l’eau, un peu comme dans Neige où le sel est le seul remède du Mal d’Orion. Comme dans la série de Convard & Gine, Ferret intègre à plusieurs reprises de pleines pages avec de mystérieux témoignages écrits du passé, sans aucun dessin, conférant à son univers une épaisseur complémentaire.
Toutes ces informations transitent par des dialogues très travaillés, des personnes qui s’apostrophent parfois par leur nom, leur titre ou leur prénom, de sorte qu’une lecture unique ne vous permet pas, sans une constante attention, de comprendre la totalité du récit. Il ne nécessite pas de retour en arrière dans l’album, mais bien une seconde lecture, de bout en bout, pour mieux en découvrir les secrets et l’implication de son auteur dans une construction très fouillée.
Un travail consciencieux qui se remarque également dans le soin apporté aux décors. La profondeur de certaines scènes donne le tournis, surtout que Sylvain Ferret a prolongé sa minutie dans les couleurs, volontairement ternes, pour conférer à son atmosphère une ambiance de fin de monde, de désespoir. Mais cela ne l’empêche pas de soigner les nuances pour renforcer le réalisme de l’ensemble.
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Du même auteurs, lire :
Talion T. 2 - Par Sylvain Ferret - Glénat
"Les Métamorphoses 1858" : pour lecteurs exigeants
Participez à la discussion