Les chauffeurs de taxi sont souvent bavards, quelquefois pas très sympathiques, ni aimables mais ils sont aussi amenés à recueillir les confidences de leurs clients. Regroupés dans une mystérieuse confrérie, un groupe décide de mettre à profit leurs connaissances pour déstabiliser la haute société française. À partir du puissant réseau qu’ils ont su constituer, ils envisagent de renverser l’ordre des choses en s’attaquant à des personnalités, éminences grises et autres hommes d’influence proche du pouvoir.
Zoli, un modeste tatoueur hongrois, réfugié en France vit seul, se tient à l’écart et se réfugie dans une grande discrétion, évitant de soigneusement de suivre toujours le même itinéraire pour rentrer chez lui. Menacé ? Recherché ? L’homme dissimule une part d’ombre que le lecteur découvrira en fin d’album. Malgré lui et toutes ses précautions, il se retrouve mêlé au projet révolutionnaire des taxis à la suite de sa rencontre fortuite avec Laszlo, membre actif de l’étrange confrérie. Loin d’épouser la cause et plus soucieux de rester anonyme, le Tatoueur va se retrouver piégé et contraint de travailler pour les chauffeurs. Comment échapper à cette entreprise ?
Surfant sur une vague complotiste qui fait florès dans les réseaux sociaux en ce moment, le thriller proposé par Matz brouille les pistes, sème le trouble au risque de susciter un curieux malaise chez le lecteur, comme auprès son personnage central, le mystérieux Zoli ! Un héros solitaire, obtus pas franchement sympathique aux prises avec cette curieuse congrégation des chauffeurs de taxis parisiens !
À partir d’un postulat audacieux, surprenant et presque risible : les chauffeurs de taxi comme nouvelle armée secrète, n’importe quoi ? Et pourtant, cette étrange alchimie fonctionne par sa progression totalement maîtrisée, ses zones d’ombre (au sens propre et figuré) qui jalonnent ce récit. On se laisse d’autant plus facilement capter que l’histoire est soutenue par le graphisme efficace d’Attila Futaki. Originaire lui même de Hongrie (tiens, tiens !) , le dessinateur dans une veine semi-réaliste fortement imprégnée de l’imagerie du comics, réussit à partir de jeux d’ombre subtils, de décors urbains froids et souvent vides de présence humaine à restituer un climat inquiétant, trouble, anxiogène. L’accumulation de couleurs froides et de gris colorés en appui de plans souvent très serrés sur sur les personnages renforcent cette impression d’atmosphère lourde et totalement parano.
Pari audacieux que de surfer sur l’air du temps avec ce point de départ abracadabrant , mais pari plutôt réussi. En ces périodes de confinement anxiogène et de complotisme rampant, voilà un one-shot surprenant et troublant qui devrait marquer les esprits.
(par Patrice Gentilhomme)
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Le Tatoueur - Par Matz et Futaki – Édition Grand Angle-Bamboo