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Terry Stillborn ("Le Garde Républicain") « le patriotisme n’est pas le nationalisme »

Par Laurent Melikian le 6 janvier 2014                      Lien  
Ne comptez pas sur Actuabd pour révéler qui se cache derrière le pseudonyme de Terry Stillborn (même si c'est un secret de polichinelle). Scénariste et éditeur masqué ne manque ni de courage, ni d’humour. 2013, l’a vu lancer un super-héros tricolore. Un projet étonnant mais fort à propos quand l’époque met à l’épreuve les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, jusqu'à SuperDupont lui-même!

Comment peut-on croire aux super-héros “made in France” ?

Les auteurs du Garde Républicain et moi, nous soucions en réalité peu de croire aux super-héros, nous jouons avec eux, et avec leurs codes narratifs. Le projet consiste à utiliser ces codes et de les transposer dans un contexte français, voir jusqu’où notre culture, notre histoire, nos décors, notre architecture… peuvent se plier au genre.

Cela me permet de retrouver une madeleine de Proust, celle du mensuel Strange avec lequel j’ai grandi. J’ai imaginé ce Garde Républicain lorsque j’avais 15 ans, au début des années 1980, pour un concours de création de personnage lancé par le magazine Mustang (magazine édité par les éditions Lug comme Strange, NDLR) …

En le relançant récemment, je suis passé d’un simple personnage -voire d’un personnage simplet- à un concept plus large. Je me suis rendu compte que ce héros est transposable à des moments-clés de l’Histoire où la France a évolué. Dans mon « bac à sable créatif », j’ai réalisé qu’un des premiers Gardes pouvait être Lafayette, héros de la révolution américaine, républicain et franc-maçon. C’est d’une part un chouette clin d’œil aux super-héros américains et d’autre part une manière d’affirmer que les valeurs républicaines sont au cœur de la série.

À force d’exploration entre 1776 et un futur prospectif, je me retrouve avec une foule de personnages potentiels. Chaque génération aura son Garde. Tout cela est nourri par des designs que m’envoient des amis dessinateurs et que je publie sur la page Facebook du Garde Républicain. Ces visions différentes me nourrissent et génèrent souvent une ligne de narration, un pitch, que j’exploiterai dans le futur...

Terry Stillborn ("Le Garde Républicain") « le patriotisme n'est pas le nationalisme »
Le Garde républicain à trois époques pour trois dessinateurs, de gauche à droite Luca Erbetta, Jean-Jacques Dzialowski et Christophe Hénin
© Mosaic Multimédia et les auteurs

La matraque que manipule le Garde Républicain est plus souvent synonyme de répression policière que de liberté…

Le tonfa n’est pas une simple matraque, c’est une arme liée avant tout aux arts martiaux. Je l’utilise bien sûr en clin d’œil aux forces de sécurité. Il s’agit cependant d’un outil assez récent. Et dans les incarnations récentes du Garde, ce simple tonfa est devenu un véritable concentré de haute technologie. Les tout premiers Gardes n’en ont pas, ils portent le traditionnel sabre. Le Garde Républicain arbore les couleurs françaises non pas d’une manière nationaliste, mais républicaine. Je considère que ces valeurs restent hautement défendables et qu’il convient de les promouvoir et de les expliquer.

Pendant une dizaine d’année, Marcel Gotlib a refusé d’écrire de nouvelles histoires de SuperDupont après que celui-ci ait été utilisé par le Front national. Craignez-vous que le Garde Républicain tombe également dans la récupération nationaliste ?  [1]

D’abord le Garde Républicain est une propriété intellectuelle et une marque déposée. J’ai beau auto-éditer et auto-diffuser la série, il n’est pas question que n’importe qui la manipule et en fasse n’importe quoi, surtout pas le Front National.

Ensuite, je fais une grande différence entre patriotisme et nationalisme. Je prépare à ce sujet un récit où le Garde est opposé à un ennemi appelé la Flamme. Cet épisode marquera l’esprit du personnage, loin des idéaux d’extrême droite. Enfin, la série ne dispose pas encore d’une grande visibilité, alors avant que le FN ne remarque l’existence du Garde Républicain, il se passera quelque temps…

Je profite du parallèle avec SuperDupont pour ajouter que si j’ai choisi de développer le Garde Républicain sur un ton sérieux, c’est parce que dans le domaine parodique, le SuperDupont de Lob et Gotlib est une de mes références évidentes, que j’adore et qu’il est impossible de dépasser.

Les deux premiers fascicules de la série. Des couvertures signées Eric Powell et Laurent Leufeuvre
© Mosaic Multimédia et les auteurs

Comme Batman récemment, le Garde Républicain est accompagné d’un “sidekick” (un faire-valoir) issu d’une minorité visible, Marianne alias Alima…

Dès le début des années 2000, lorsque Le Garde a refait une apparition (sous forme de Caméo dans Homicron) , j’avais en tête une première histoire du Garde Républicain où il était déjà doté d’un sidekick. Il m’avait semblé évident de l’accompagner d’une Marianne. Tant qu’à travailler sur les clichés, autant en jouer à fond ! J’ai décidé qu’une « beurette » incarnerait Marianne, en hommage à des amies « beurettes ». Simplement. J’ai toutefois du mal à penser que quelqu’un issu de l’immigration africaine appartienne à une « minorité ». Pour moi, Alima est d’abord française, je suis plus intéressé par son comportement que par ses origines.

Par ailleurs, comme on le voit dans le deuxième fascicule, le Garde n’est pas toujours secondé par un sidekick. Dans ma petite mythologie, il existe une autre Marianne pendant la Seconde Guerre mondiale. Et quelques autres, selon les époques…

Tiré à part du premier fascicule du Garde Républicain : Le héros et son sidekick Marianne dessinés par Juan Roncaglio Berger et mis en couleur par Svart
© Mosaic Multimédia et les auteurs

Pour faire une autre analogie aux super-héros américains, y-aura-t-il un Garde Républicain noir comme Superman ?

J’ai déjà songé à un tirailleur sénégalais qui deviendra Garde à une époque donnée (Première ou Seconde Guerre mondiale). Un homme de valeur, quel que soit son origine ou sa couleur de peau peut naturellement incarner un Garde Républicain. Si c’est au passage un moyen d’éloigner le spectre de l’extrémisme que l’on peut prêter au propos, tant mieux !…

Vous avez annoncé récemment l’arrivée de Jean-Yves Mitton parmi les dessinateurs du Garde Républicain. Comment s’est opéré ce rapprochement ?

Cela s’est produit très naturellement. Je connais Jean-Yves Mitton depuis longtemps. Pour le Garde, j’espérais qu’il réalise une illustration ou un design. Cela aurait été déjà formidable. Il m’a demandé plus d’informations, jusqu’à collaborer à un récit de 46 pages… Pour commencer !

Gamin, je dévorais Blek, Mikros dessinés par Mitton, sans parler des Strange dont il réalisait les couvertures. J’ai l’impression de travailler avec un de mes héros. Je suis un gosse avec des étoiles dans les yeux !

Design de Jean-Yves Mitton
© Mosaic Multimédia et les auteurs

Vous fonctionnez selon le principe de la microédition. Les dessinateurs collaborent-ils avec vous sur une base bénévole ?

Je ne me prends pas au sérieux, mais j’aime faire les choses sérieusement. Je n’accepte pas le principe du travail non rémunéré. Les dessinateurs et les coloristes des pages intérieures des fascicules reçoivent une rétribution. Bien entendu, cela rend cette aventure très périlleuse financièrement. D’autant plus que je fonctionne en auto-diffusion, le Garde Républicain n’est aujourd’hui vendu que sur les Festivals où je suis présent ou par correspondance en retournant le bon de commande figurant sur la page Facebook.

Le Garde Républicain selon Charlie « Walking dead » Adlard
© Mosaic Multimédia et les auteurs

Beaucoup disent que derrière le pseudonyme Terry Stillborn se cache un responsable éditorial bien implanté chez un grand éditeur français. Qu’est-ce qui vous pousse vers une aventure aussi prenante que le Garde Républicain ?

Ha ha ! La réponse est presque dans la question. Je viens d’avoir 50 ans. J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours professionnel. C’est une bonne et suffisante raison à mes yeux pour vouloir sortir de ma zone de confort, de me confronter aux réalités d’un auteur, moins faciles que ma position d’éditeur.

J’ai souhaité passer à autre chose que l’adaptation de séries étrangères, et cela s’est d’abord matérialisé par l’écriture d’un livre, “Comics, Les Indispensables de la BD Américaine”, chez Huginn&Munnin. Parallèlement est venue l’envie d’être à l’origine de la création d’un projet de bandes dessinées. Depuis la lubie de produire un petit fascicule avec un personnage, ce projet a grossi de manière très organique, comme un monstre, chaque élément s’imbrique dans les autres en me permettant de collaborer avec des jeunes auteurs et d’autres très confirmés, comme Charlie Adlard ou Eric Powell qui ont signé des illustrations. Cet aspect des choses rejoint mon alter égo professionnel qui fréquente des auteurs de toutes nationalités, belges, américains, italiens, argentins, etc… En toute logique : les idées républicaines n’appartiennent pas qu’à la France !

Propos recueillis par Laurent Melikian

(par Laurent Melikian)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Médaillon : Photo par Lauren Kingson, retouche masquée par Laurent Lefeuvre

La Page Facebook du Garde Républicain

[1Ces propos ont été recueillis avant que nous n’apprennions la contrefaçon de Superdupont par Alain Soral. NDLR

 
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