On est souvent subjugués par les graphismes éblouissants d’un Winsor McCay, d’un Feininger ou d’un George McManus, et on a raison de l’être face à des précurseurs qui ont atteint rapidement le sommet de l’art graphique de leur temps. Mais dans le domaine de la bande dessinée réaliste, il a fallu quelques génies comme Harold Foster, Alex Raymond ou encore Roy Crane et Noel Sickles pour écrire une grammaire dont s’inspire bon nombre d’artistes de nos jours. On peut parler de Milton Caniff sur le ton de Boileau dans L’Art poétique : Alors Malherbe vint…
Disciple de Sickles (il partagea son atelier) qui, avec Scorchy Smith va véritablement forger ce style, il va avec Terry and the Pirates, une série entamée le 22 octobre 1934, dominer pendant trente ans le dessin réaliste américain.
Il le doit à un sens inouï de la lumière et des cadrages qui fit l’enthousiasme des premiers historiens de la bande dessinée comme Pierre Couperie : « Utilisant alternativement la plume et le pinceau, Caniff passa maître dans l’emploi des éclairages savants, des clairs-obscurs étudiés, des contrastes violents de blancs et de noirs, donnant à son récit un climat caractéristique qui est aussi celui des films de l’époque… »
À propos de son apport scénaristique, il ajoute : « Excellent conteur, Caniff sut joindre à ses qualités graphiques une incontestable virtuosité narrative. […] Le dialogue, parfois dur, parfois lyrique, parfois plein d’humour présente des qualités littéraires que bien des auteurs dramatiques pourraient [lui] envier comme ils pourraient envier la diversité et l’attrait de ses créatures féminines : de la voluptueuse et implacable Eurasienne, Dragon Lady, et de Burma, l’aventurière à la chevelure éclatante et au cœur d’or, à Normandie Sanhurst, héroïne cornélienne déchirée entre son amour pour Pat Ryan et ses devoirs envers son mari, elles sont tout simplement inoubliables. » [1] On ne peut mieux dire. Couperie considère que Caniff est le fondateur du « style classique de la bande dessinée ». La série dura 12 ans et totalisa jusqu’à 31 millions de lecteurs à travers le monde.
Ce premier volume de 400 pages, dans une nouvelle traduction signée Michel Pagel (quelle lourde responsabilité !) compile les strips des années 1934 à 1936. Il est le premier d’une publication en six volumes réalisée en partenariat avec université d’Ohio State et publiée par l’éditeur IDW. Cette édition réhabilite toutes les Sunday Pages [2] méticuleusement restaurées d’après les originaux.
L’éditeur français ne s’est pas contenté d’une traduction à l’identique de l’édition américaine. Il a recueilli les hommages graphiques de quelques-uns des plus grands auteurs de BD contemporains qui nous expliquent pourquoi Caniff est admirable. Une façon remarquable de montrer à quel point l’influence de Caniff est encore présente de nos jours. Parmi les auteurs de ces hommages inédits, on compte François Boucq, Juillard, Guy davis, Floc’h, François Avril, Nicolas De Crecy…
Bravo !
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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L’album sera publié cet automne et diffusé auprès des libraires par Makassar
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[1] Bande dessinée et figuration narrative, catalogue du Musée des Arts décoratifs, avril 1967, page 65.
[2] « Page du dimanche ». Pleine page paraissant une fois par semaine dans le supplément du dimanche du quotidien, en couleurs, contrairement à la bande quotidienne qui est publiée en noir et blanc.
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