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Tetsuya Tsutsui : "Les jeunes perdent espoir dans l’avenir du Japon"

Par Vincent GAUTHIER le 24 juillet 2012                      Lien  
Tetsuya Tsutsui était l'invité de Ki-Oon à la Japan Expo afin de présenter son nouveau thriller mêlant univers numérique et violence vengeresse, Prophecy. Après avoir multiplié les dédicaces à la joie des fans, il a pu nous expliquer une partie de son travail et quelques idées intervenant dans ses créations.

Tetsuya Tsutsui est presque un auteur maison pour les éditions Ki-Oon chez qui il a publié tous ses mangas. Attaché depuis 2004 à la maison d’édition française, il publie cette année Prophecy dans une veine semblable à ses précédentes réussites, Duds Hunt, Reset et Manhole. Ce projet a été développé directement entre l’auteur et la France sans passer par les grands éditeurs japonais.

Reprenant les trames fondamentales de ses précédents mangas : l’injustice sociale et l’omniprésence technologique, le mangaka nous décrit la révolte d’hommes face à l’humiliation des sans-grades, des oubliés. Ce super-héros des temps moderne aux méthodes archaïques et hyper-sophistiquées, la batte de base-ball et les nouvelles technologies, va devenir un vengeur masqué dirigé sur ses proies par les internautes qui le suivent.

Tetsuya Tsutsui : "Les jeunes perdent espoir dans l'avenir du Japon"
Paperboy presque en chair et en os.
DR


Pourquoi publier directement Prophecy en France chez Ki-Oon ?

Entre les éditions Ki-Oon et moi, c’est une longue histoire. Tout a commencé il y a déjà plusieurs années avec le manga Duds Hunt publié pour la première fois en France avant même d’être publié au Japon. C’est ainsi qu’a commencé cette histoire avec les éditions Ki-Oon. Donc, c’est tout naturellement que les mangas que je publie en France le soient chez Ki-Oon. Mais en ce qui concerne Prophecy, c’est un projet développé particulièrement avec et pour Ki-Oon. En effet, les édtions Ki-Oon m’ont contacté en me disant qu’ils avaient très envie d’éditer un manga original avec moi et comme j’étais sur un nouveau projet et bien, j’ai dit OK ! Et voilà s’est ainsi qu’a débuté cette nouvelle histoire.

Duds Hunt, première publication de Tetsuya Tsutsui.
Éditions Ki-Oon ©


Comment Ki-Oon vous avait découvert en 2004 avec Duds Hunt ?

En 2004, je n’avais pas encore publié un seul manga au Japon en volume relié mais j’avais publié Duds Hunt sur mon propre site. Il y a un site internet japonais qui fait le classement de tous les web-mangas. Duds Hunt faisait partie des plus populaires et je pense que c’est ainsi que Ahmed Agne, ici à mes côtés, qui est un des fondateurs de la maison, a repéré mon manga. Il m’a envoyé un mail pour me dire tout simplement qu’il avait très envie de publier Duds Hunt en volume relié en France.
Ahmed Agne : Internet est effectivement un outil qu’on utilise très souvent pour repérer de jeunes auteurs.

Hormis votre exemple, quel impact pensez-vous que peuvent avoir les nouvelles technologies dans la diffusion des mangas de nouveaux auteurs ?

Trois des personnages marquants de Tetsuya Tsutsui.
DR


À l’époque lorsque j’ai publié Duds Hunt sur mon propre site Internet, il y avait encore très peu de jeunes mangakas qui avaient l’idée d’y publier leurs mangas. Je faisais partie des premiers et donc j’ai été repéré assez vite, mais aujourd’hui beaucoup de mangakas font ça ; c’est donc un peu difficile de sortir du lot. Alors, je souhaite beaucoup de courage aux jeunes arrivants, l’important c’est de toujours garder intacte sa personnalité.

Reset de Tetsuya Tsutsui publié en 2006
Éditions Ki-Oon ©


Vous dépeignez dans vos mangas un Japon malade : de son économie, de sa technologie voire de sa politique et de sa justice. Vous servez-vous d’une certaine sorte de révolte personnelle pour créer vos histoire ?

En français : « Je crois que oui. » (rire)

Vous vous attachez à des personnages qui sont des victimes même si certains essaient de se révolter. Pourquoi s’intéresser à des personnages de « losers » alors que la société s’attache plutôt aux gens qui réussissent ?

Je suis un fervent lecteur de Dostoïevski, et notamment j’adore son livre Crime et Châtiment dans lequel les personnages principaux sont tous des déclassés, des moins-que-rien. C’est vrai qu’ils ne sont pas beaux, ils sont assez horribles, ce ne sont pas du tout des « winners  » mais ils ont une certaine personnalité. Ils sont beaucoup plus intéressants que ceux qui réussissent tout et c’est pour ça que je pense que le fait de décrire ces gens-là, ces déclassés, ça donne beaucoup plus de force et de passion à mes mangas que de décrire la vie des gens pour qui tout va bien. C’est vrai que le manga est moins propre, que l’univers dans lequel baigne mes personnages est moins joli, mais il y a beaucoup de choses pas jolies à voir.

Ahmed Agne, l’éditeur de Ki-Oon et Tetsuya Tsutsui lors de Japan Expo 2012
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Dans vos mangas, Prophecy, Reset, Duds Hunt, vous faites une sorte de chronique de l’échec de l’intégration sociale de la jeune génération, celle qui est arrivé après le boom économique japonais des années 1990. Quelle analyse faites-vous de la non-insertion des jeunes dans la société japonaise, de ce presque rejet ?

Il y a tout d’abord un calcul tout à fait mathématique, tout à fait logique : À cause du marasme économique, il y a moins d’emploi, donc il y aura forcément toujours des gens qui ne trouveront pas leur place dans la société. Mais plus que ce calcul purement économique, cette comptabilité, je pense qu’à cause des hommes politiques, du personnel politique japonais qui est assez affligeant qualitativement, les jeunes n’arrivent pas à voir l’avenir avec optimisme. Ils perdent espoir dans l’avenir du Japon.

Paperboy
Tetsuya Tsutsui, Éditions Ki-Oon ©


On ressent justement dans vos mangas une sorte d’engagement politique, en avez-vous un au Japon ?

Je n’ai pas d’engagement politique au Japon. Et d’ailleurs, je tiens avant tout à ma liberté, à mon indépendance, donc je ne veux pas me lier à un parti politique ou à un groupe d’opinion. Je voudrais toujours être dans une position qui me permet de regarder les choses avec objectivité.

Tetsuya Tsutsui face à l’énorme attente de ses lecteurs.
DR


Vos mangas font la part belle aux nouvelles technologies. Les gens sont toujours connectés, ils ont toujours un lien et pourtant on ressent chez à peu près tous vos personnages, policiers ou sociopathes, une grande souffrance due à une grande solitude, pourquoi mettre cela en avant ?

En fait, ce n’est pas sciemment que j’ai voulu mettre en avant le thème de la solitude, mais c’est vrai que mes personnages sont souvent de grands solitaires. Pour en revenir à la thématique de l’Internet,c’est vrai que c’est un outil qui semble rapprocher les êtres mais quand on y regarde de plus près, il ne s’agit pas d’un vrai lien entre les gens. Il ne s’agit pas de communication véritable parce que sur Internet, sur les réseaux sociaux, on a une vision très manichéenne des gens. Soit vous voulez que les autres ne voient que les choses positives de vous donc vous ne mettez que les informations qui vous arrangent, ce n’est donc pas vraiment une information, ni un échange, ça n’apporte pas grand chose. Les gens qui réagissent à ces informations, qui partagent, on ne peut pas dire qu’ils communiquent avec vous.

Une dédicace pour nous !
DR


D’autre part, je le constate que sur certains sites, des gens se font complètement démolir alors qu’ils disent des choses finalement pas si graves que cela. Dans la vraie vie, cela ne se passe pas ainsi. On ne peut pas dire que la communication, les échanges qui ont lieu sur Internet puissent être qualifiés de vraie communication. Donc, comme mes personnages sont souvent sur internet et qu’ils sont toujours en train de « communiquer », ce sont peut-être effectivement de grands solitaires.

Vous êtes ici dans le plus grand salon dédié à la culture japonaise en France [Japan Expo], à l’inverse, avez-vous des références artistiques françaises qui vous ont marqué ?

Oui, je peux citer comme référence pour moi de la culture française Moebius qui est malheureusement décédé il y a quelques mois. Pour moi, c’est un grand dessinateur.

(par Vincent GAUTHIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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    "Tetsuya", "Tetsuya" et "Tetsuya".

    Merci !

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    • Répondu par lebon@skynet.be le 24 juillet 2012 à  14:33 :

      Organiser la promotion permanente de ces produits Japonais alors qu’eux font du protectionnisme crapuleux avec notre BD, me semble participer du saccage de notre culture BD et de ses artistes. Cette attitude, ce n’est pas avoir l’esprit ouvert c’est juste céder à la mode.

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      • Répondu par Vincent GAUTHIER le 25 juillet 2012 à  08:30 :

        Il n’est ici pas question d’"organiser la promotion de produits" mais de découvrir en partie le fonctionnement d’un auteur de talent. Il me semble que le saccage de "notre" culture BD passe largement par une majorité de produits BD actuels qui n’ont rien avoir avec l’édition de manga de qualité. Quand au fait de céder aux modes, il en est qui sont parfois bonnes à suivre.
        J’es père tout de même que vous irez ouvrir ce volume afin de pouvoir juger sur pièce de l’originalité de cet auteur et ainsi ne pas rejeter en bloc, par peur surement, cette culture qui a donné quelques-uns des plus grands auteurs de BD.

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        • Répondu par lebon@skynet.be le 25 juillet 2012 à  13:46 :

          je vous remercie pour votre avis et vos conseils, mais j’aimerais quand même qu’on aborde le problème du protectionnisme Japonais. Qui, a décidé d’ouvrir les fenêtres à cette concurrence qui en plus de saccager notre culture, la méprise au point de la refuser chez elle ? ( Je parle du secteur de la BD)
          Nous ne sommes que des zones commerciales ?

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          • Répondu par Vincent GAUTHIER le 25 juillet 2012 à  23:40 :

            Je ne connais pas exactement la politique du Japon en terme d’importations de produits culturels mais il me semble que les auteurs japonais influents ou ayant eu un poids dans l’histoire du manga : Taniguchi, Urasawa, Tsutsui (voir la dernière question) et bien d’autres, ont tous cité à un moment ou un autre des références bédéistiques franco-belges ce qui tend à prouver que la BD que vous défendez (ce que je fais également mais pas de la même façon) est tout à fait disponible au Japon.
            De plus, le livre étant un commerce, les règles s’appliquent pour tous de la même façon, OMC oblige, et le Japon ne doit pas faire une exception de son secteur culturel. Après si "notre" BD n’intéresse pas le lecteur japonais, ce que je ne crois pas, c’est aussi à nos auteurs et éditeurs de se demander pourquoi.

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          • Répondu par Walter le 26 juillet 2012 à  11:05 :

            Il n’y a pas de protectionisme contre la BD au Japon ,la vérité est beaucoup plus cruelle que ça ,les éditeurs Japonais ne sont pas intéressés par éditer de la BD occidentale (dans un volume comparable au manga en France),les comics US commencent un peu à percer (dans le sens ou ils sont vendus un peu partout) à cause des films avant il n’y avait presque rien de disponible cependant il existe des gens qui essaient de publier (euromanga )ou faire connaitre la BD ( JD Morvan) mais l’intérêt du public reste limité ,il faut comprendre que le manga n’a pas la même position dans la société japonaise que la BD en France ,ici ( au Japon) c’est un véritable média ,c’est quelque chose d’énorme complètement hors de proportion par rapport à ce que représente la BD le travail que représenterai, la production la distribution de BD franco-belge au Japon est un investissement certainement pas assez rentable c’est dommage mais le seul moyen de faire en sorte d’intéresser le public japonais pour la BD ce serait une sorte pont de la France vers le Japon (’inverse ne se fera probablement pas )qui regrouperait plusieurs éditeurs qui feraient un tirage en Japonais au cul de ceux fait pour la France pour rationaliser les coûts . Pour finir le manga n’a jamais été publié par des Japonais en France du moins pas au départ ,"l’invasion" vient des éditeurs français traitres vendus à l’anti-france qui ont répondus à la demande d’un jeune public (à l’époque) qui se retrouvait pas dans la BD .

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            • Répondu le 26 juillet 2012 à  13:51 :

              "éditeurs français traitres vendus à l’anti-france".
              J’espère que ce n’est qu’un problème d’expression de votre pensée car ce genre de phrases avaient sa place en 1941, pas en 2012 !

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              • Répondu par Walter le 26 juillet 2012 à  14:50 :

                AHAHAH je vois que personne n’a lu SuperDupont depuis longtemps, c’est assez étrange de prendre tout au premier degré .

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            • Répondu par lebon le 26 juillet 2012 à  13:55 :

              Comme d’autres j’ai été obligé d’accepter le format d’un manga et surtout son sens de lecture,j’en conclu qu’au japon les lecteurs ne sont pas capable de faire un effort sur la forme. En fin de compte, Est-ce que vous ne niez pas une évidence quand je vous parle d’un protectionnisme forcené, voire raciste ?

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              • Répondu par Walter le 26 juillet 2012 à  15:20 :

                Les lecteurs japonais fan de BD acceptent le sens de lecture à l’occidental vu que l’on a de toute façon les deux dans la vie quotidienne ,il acceptent les BD hors de prix et le reste ,le seul problème qui n’a rien à voir avec le racisme c’est que la majorité des gens en ont à rien à faire de la BD ,pas de complot c’est plus banal que ça ,que les éditeurs Japonais ne soient pas intéressés commercialement à investir dans la BD ne veut pas dire racisme ou autre chose ,les Japonais n’ont aucun problème à importer quelque chose qu’ils peuvent vendre chez eux pour faire un profit ce serait même l’inverse,il suffit de se promener dans une galerie marchande pour voir le nombre d’enseignes étrangères et de produits de toutes sortes importés ,ils raffolent de la nouveauté, le problème de la BD ici ne vient pas des Japonais qui seraient contre mais de la BD en elle même comme objet, je ne sais pas pourquoi les gens n’accrochent pas mais c’est un fait ,j ’ai vu la manière dont les japonais lisent les mangas et c’est presque un flip book ,le rythme est vraiment différent ,c’est rapide ,ils ont peut être du mal à comprendre un album de 46 pages,de plus la lecture se fait dans les transports ou à l’extérieur ,les gens se baladent avec leur manga en poche une BD est trop différente de leur habitude ,il y a une communauté de lecteur de BD ici, juste pas assez pour en faire un marché .

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