Oxel Kärnhus traine sa disgrâce entre une piaule miteuse et des quartiers poisseux. C’est que le bonhomme est atteint d’acromégalie, maladie dégénérative ayant déformé son visage et modifié sa voix. Devenu privé et ayant coupé les ponts avec sa vie d’avant, il a mis son physique hideux au service de son nouveau métier.
Jouant de sa laideur et de la pitié qu’elle inspire, plutôt que de la terreur qu’il pourrait nourrir, il suscite ainsi une forme particulière d’empathie chez ceux avec qui il s’entretient et qu’il amène à se confier à lui. Il mène pourtant une existence solitaire, entre boisson et prostituées.
Jusqu’au jour où il est contacté par un amour de jeunesse, Stephanie Brink, qui lui demande d’enquêter sur la mort de son fils. Celui-ci s’est suicidé deux mois après que son meilleur ami a mis lui aussi fin à ses jours. L’occasion pour le détective de se replonger dans un pan ancien de son existence tout en explorant le passé des deux adolescents afin de comprendre l’origine de leur geste et d’en mesurer la portée.
John Arcudi, connu pour The Mask ainsi que pour sa participation à l’univers d’Hellboy de Mike Mignola, notamment sur B.P.R.D., s’inscrit ici pleinement dans la veine du polar américain dont il reprend de nombreux codes. Mais il les revisite intelligemment par l’invention d’un personnage d’exception, un monstre qui ne cesse de témoigner de sa profonde humanité, faisant montre tour à tour, de façon touchante et désarmante, de sa mélancolie et de ses espoirs, de ses rêves et de ses angoisses.
Le trait de Jonathan Case exprime d’ailleurs de manière particulièrement habile les errements et états-d’âme d’Oxel, ménageant tout au long de l’enquête de subtils glissements entre faits et hypothèses, réalité et fantasmes, acquis et projections, actions et récits.
Déjouant les attentes, l’intrigue se trouve bâtie sur une série de faux-semblants et nous embarque au final dans une itinérance dont on pressent le dénouement désabusé. Mais l’engagement du détective nous entraîne vers la terrifiante résolution, déployée sur un fond de neige lucide, d’une enquête qui ne manquera pas de hanter le lecteur.
(par Aurélien Pigeat)
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The Creep. Par John Arcudi et Jonathan Case. Traduction Hélène Dauniol Remaud. Urban Comics, collection "Urban Indies". Sortie le 5 décembre 2014. 144 pages. 15 euros.