Einstein, Oppenheimer, Feynman, mais aussi Enrico Fermi, Harry Daghlian ou encore Wernher von Braun : des scientifiques de génie, directement impliqués dans l’escalade des recherches militaires durant la Seconde Guerre mondiale. Et réunis, dans l’étonnant comics de Jonathan Hickman, pendant et à l’issue de cette guerre, en train d’explorer des mystères relevant littéralement de la science-fiction. Voilà les "Manhattan Projects", d’où éthique et morale semblent avoir définitivement disparu.
L’idée initiale de faire le portrait de la folie scientifique, hors-sol, livrée à elle-même dans l’unique but de découvrir et de dominer, quelles qu’en soit les conséquences, à travers la caricature grotesque de certaines de ses plus illustres figures, s’avère excellente. On rit, en même temps qu’on tremble, à voir se mouvoir et échanger ces monstres aliénés et d’autant plus terrifiants que complètement déconnectés.
Les personnages d’Oppenheimer et d’Einstein tiennent ici la vedette. Si le second apparaît d’abord dans une suspecte passivité, ce n’est que pour mieux révéler plus tard une fourberie d’une rare étendue. Tandis que le premier se trouve revisité à partir d’un épouvantable postulat de schizophrénie cannibale qui en fait le cœur d’une intrigue déroutante. Au final, tout, dans The Manhattan Projects, relève de l’imposture, alors même que le domaine se réclame de la vérité et de l’exactitude.
D’autant que cela ouvre sur un récit de genre, de science-fiction, décapant et inventif. Les fantasmes et imaginaires scientifiques de la période deviennent là une réalité qu’explorent nos anti-héros avec la suffisance des vainqueurs. Violence et vilénie garanties, pour une critique sans concession de nos aspirations les plus égoïstes.
Un propos soutenu par le dessin expressif et brut, parfois à la limite du grotesque, de Nick Pitarra. Un graphisme qui fait parfaitement ressortir le caractère monstrueux des personnages dépeints. Soulignons également le travail toujours pertinent à la couleur de Jordie Bellaire, avec des contrastes en bleu et rouge au service de la narration.
Reste tout de même un récit relativement étoilé pour ne pas dire décousu. Cela part un peu dans toutes les directions, de manière parfois déroutante, avec une volonté manifeste d’embrouiller les situations pour leur donner un semblant de complexité. Et l’on peine à voir se déployer un fil d’intrigue clair et précis. Pas de quoi surprendre les amateurs du travail de Jonathan Hickman, mais un récit finalement plus exigeant qu’il n’y paraissait initialement.
(par Aurélien Pigeat)
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The Manhattant Projects T1 : "Pseudo Science". Par Jonathan Hickman (scénario), Nick Pitarra et Ryan Brown (dessin), et Jordie Bellaire (couleur). TraductionAlex Nikolavitch. Urban Comics, collection Urban Indies. Sortie le 5 janvier 2018. 472 pages. 35 euros.