Certaines absences prennent d’autant plus d’importance au moment des retrouvailles. Et c’est exactement ce que l’on ressent, en entamant cette nouvelle aventure de Théodore Poussin. Rappelons que son auteur Frank Le Gall a imposé son héros grâce au rythme soutenu de dix tomes en dix ans (de 1987 à 1997) [1], avant d’espacer un peu plus les tomes suivants.
Le précédent opus, intitulé Les Jalousies comportait un bel équilibre entre l’aventure et les sentiments auxquels sont confrontés les personnages, la marque de fabrique de la série. Nous conseillons d’ailleurs au lecteur de savourer son plaisir en relisant cette douzième aventure, pour mieux profiter de la nouveauté.
L’aventure débute effectivement dans un bouge malfamé de Singapour. Condamné à céder son île et sa florissante plantation de cocotiers au Capitaine Crabb dans Les Jalousies, Théodore Poussin, accompagné de ses amis, traverse une mauvaise passe. Mais se lamenter n’est pas dans la mentalité de notre héros, et il décide de tout tenter pour reprendre son bien, quitte à engager les plus étranges racailles échouées dans cette ville du bout du monde.
Soutenu par la publication de cette aventure en différents cahiers monochromes, ce nouvel album profite également d’un nouveau format, plus grand, afin de mieux profiter des dessins de Frank Le Gall. L’éditeur a d’ailleurs réédité les précédents albums dans cette nouvelle mouture plus élégante, un effort exceptionnel alors que la série avait déjà bénéficié d’une intégrale.
Du découpage au dessin, tout l’art de Frank Le Gall se place au service de son récit, et surtout de ses personnages. Chacun d’entre eux semble d’ailleurs résolu à en finir, à aller jusqu’au bout pour étancher sa soif de vengeance, comme l’indique le titre Le Dernier Voyage de l’Amok, même si l’auteur joue sur les mots en baptisant ainsi le bateau qui ramène ses personnages sur leur île.
Une fois de plus, la magie opère : le charme des personnages, l’aventure orientale de l’entre-deux guerres, et surtout la personnalité de Théodore Poussin, toujours équilibrée par celle de Barthélémy Novembre, séduisent. Grâce à ses soixante-deux pages, le récit se permet de présenter d’attachants ou mystérieux personnages secondaires, comme cette intrigante dominatrice, ou ce malais mi-terrifiant, mi-amusant.
Après une succession de scènes et de répliques tantôt sensibles, tantôt pleines de second degré ou de sous-entendus, mais toujours placées sous le signe de l’humour, le récit s’accélère dans une conclusion dont personne ne sort indemne. Surtout pas le lecteur !
L’on craint un moment que cet opus ne signe la fin de la série... Mais heureusement, Frank Le Gall annonce déjà un prochain tome, avec un retour en Europe. On sait maintenant qu’il ne faudra pas l’attendre dans les mois qui viennent, alors on cède finalement à l’envie de relire toute la série : non seulement pour mieux profiter des références glissées dans ce dernier récit, mais aussi et surtout parce que Théodore Poussin demeure unique en son genre, tout simplement.
(par Charles-Louis Detournay)
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A propos de la même série, lire :
Théodore Poussin, l’aventure selon Frank Le Gall
Théodore Poussin - T12 : « Les Jalousies » - Par Frank Le Gall - Dupuis
[1] La série Théodore Poussin débute en 1984 dans Le Journal Spirou avec les premières pages du Capitaine Steene.