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Thierry Bellefroid : « Je me laisse porter par la mécanique hypnotique de l’écriture »

Par Nicolas Anspach le 20 avril 2008                      Lien  
{{Thierry Bellefroid}}, journaliste, critique de BD et présentateur du journal télévisé à la télévision belge, plusieurs fois membre du jury pour le FIBD d’Angoulême, est également romancier. {{Catel}} a adapté l’une de ses nouvelles dans {Quatuor}. Il nous parle de ce livre, de ses envies d’écriture, de ses projets consacrés à {{Christophe Arleston}} et à la collection {Aire Libre} chez Dupuis.

Quelle a été la genèse de Quatuor, auquel vous avez contribué ?

Après avoir lu le recueil de nouvelles que j’avais signé aux éditions Luce Wilquin, Zestes Mondains , Catel m’a fait part de son envie d’adapter en BD l’un de mes récits, Le Dos de M.. Je lui avais offert mon livre sans arrière-pensée. J’étais à la fois étonné et flatté par cette proposition… Quelques mois ont passé : Catel terminait un album de Lucie et songeait à Kiki de Montparnasse.
Un jour, lors d’une édition du Festival de la BD d’Angoulême, elle m’a dit avoir parlé de ce projet à Jean-Luc Fromental, l’éditeur de Denoël Graphic . Elle voulait adapter quatre nouvelles dans une seule BD. À vrai dire, je ne me serais jamais douté qu’un de mes textes avoisine ceux d’un prix Goncourt, (Pascal Quignard), d’un acteur (Jacques Gamblin) ou de l’un de mes amis, l’éditeur et romancier (José-Louis Bocquet). Ce voisinage était assez intéressant et a achevé de me convaincre…

Thierry Bellefroid : « Je me laisse porter par la mécanique hypnotique de l'écriture »
Illustration de Catel pour "Quatuor"

Vous n’avez jamais eu envie de réaliser vous-même cette adaptation ?

Cela me turlupinait depuis de nombreuses années. J’avais rédigé une adaptation de mon premier roman, Madame K ou la juste place des choses. Dany l’avait lu et m’avait confié vouloir la dessiner. Mais connaissant ce dessinateur, je sentais que cela n’allait se faire qu’en 2043 (Rires). Olivier Grenson s’est également montré intéressé par ce projet, mais il était fort accaparé par Niklos Koda. J’en avais également parlé à Sébastien Gnaedig à l’époque où était encore éditeur chez Dupuis. Il m’a confié ses remarques : ma narration était trop complexe pour une bande dessinée, et je devais retravailler mon histoire pour la simplifier. J’ai proposé dernièrement un scénario original à José-Louis Bocquet, l’éditeur d’Aire Libre. Il m’a dit que mon histoire était idéale pour un roman, éventuellement pour un roman graphique de 300 pages, mais ne cadrait pas avec la politique éditoriale d’Aire Libre : c’est-à-dire des histoires romanesques, alliant l’aventure avec la littérature. Je lui ai alors parlé de mon envie d’adapter mon premier roman. A priori, il serait preneur. Mais je n’ai toujours pas de dessinateur. Bref, je tourne autour … Mise à part cette histoire originale que j’ai proposée à José-Louis, je n’ai jamais réussi à écrire pour la BD.

Thierry Bellefroid, Catel et José-Louis Bocquet
(c) Nicolas Anspach

Pourquoi ?

Même si j’aime que mes histoires soient les plus originales possible et contiennent de nombreux rebondissements, ce n’est pas la construction de l’intrigue qui m’intéresse dans l’écriture. En fait, mon premier plaisir, lorsque j’écris, c’est de coucher des phrases sur le papier. J’aime pétrir les phrases et les mots, et me laisser porter par cette espèce de mécanique hypnotique que constitue l’écriture. Cela m’entraîne vers un résultat qui diffère de celui qui serait obtenu si je me mettais devant une page blanche en réfléchissant à ce que j’allais écrire. Lorsque je travaille de cette dernière manière pour un scénario de BD, je me rends compte que mes personnages deviennent moins intéressants. En effet, je ne vis pas avec eux. L’écriture d’un roman dure plusieurs mois et mes personnages ne me quittent pas pendant tout ce temps. Ils deviennent des compagnons avec lesquels je suis en osmose… J’aimerais arriver au même résultat avec un scénario de BD.

Illustration de Catel pour "Quatuor"

Concrètement, quel a été votre apport dans Quatuor ?

Pratiquement aucun ! Les choses se sont passées curieusement. Ce projet devait être publié par Jean-Luc Fromental. Malheureusement, cela ne s’est pas fait. L’éditrice de Catel, chez Casterman, s’est montré intéressée et nous avons improvisé une réunion au Festival de la BD d’Angoulême en 2007. Nous avons discuté de la fabrication du livre. L’éditeur a du, ensuite, négocier l’achat des droits d’adaptation des différentes nouvelles. Il y a eu différentes complications, notamment avec mon éditrice, Luce Wilquin, et l’agent de Jacques Gamblin. Ce dernier semblait ne pas être intéressé de négocier un montant si peu élevé, loin des cachets de l’acteur pour ses films (Rires).
À la fin mai 2007, Catel a reçu un appel téléphonique d’un responsable du journal Libération. Après avoir lu Kiki de Montparnasse, ils souhaitaient publier la prochaine histoire de Catel durant la période estivale. La publication devait commencer le 15 juillet, et elle n’avait pas encore dessiné la moindre planche. Catel a donc du adapter et dessiner ces nouvelles dans l’urgence. Malheureusement, compte tenu de cet impératif, je n’ai pas pu participer à l’adaptation. Heureusement, lors d’un week-end passé à Bruxelles, nous avions fait quelques repérages : la Grand Place, le club hippique « Royal étrier », etc. Ma mère est très royaliste et avait conservé toutes les revues et les vidéos du mariage du Prince Philippe de Belgique. Je lui ai envoyé toute cette documentation.
A Uzès, lors d’un festival de BD, nous avons passé quelques heures à discuter du découpage et à faire quelques ajustements. Dans l’ensemble, j’ai été épaté par la manière dont elle rendait l’ambiance de ma nouvelle…

Illustration de Catel pour "Quatuor"

Vous avez donc découvert cette adaptation dans le quotidien Libération ?

Oui. C’était agréable de la découvrir, en vacances, dans un quotidien. Ils ne publiaient que deux pages par jour. J’attendais la nouvelle édition du journal avec impatience. C’était un moment magique…

Vous préparez un livre d’entretien avec le scénariste de Lanfeust, Christophe Arleston…

Il sera disponible en mai prochain. Mourad Boudjellal, le PDG de Soleil, avait apprécié mon travail sur le livre sur les éditeurs. Il souhaitait que je réalise un livre d’entretien avec Christophe Arleston. J’ai directement accepté : Christophe est un homme fin et intelligent. J’étais certain que cet auteur populaire pouvait avoir des choses intéressantes à raconter dans un livre.
Je suis parti à Aix-en-Provence pendant une semaine. Il m’était important d’être dans son univers pour l’interviewer. Christophe est une personnalité très attachante, beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. C’est aussi un homme pudique. Il est sorti de sa réserve pour parler de lui, et pour partager ses réflexions. Il m’a parlé avec franchise… Nous avons été très loin dans le récit de sa vie.

Vous préparez un livre sur les vingt ans d’Aire Libre. Compte tenu des intempéries qu’ont traversé Dupuis, j’imagine que la tâche était plutôt délicate…

Pas du tout. Il n’y a eu aucun problème. Nous avons demandé à Claude de Saint-Vincent s’il était d’accord que j’interroge tous les témoins de cette aventure. Sans aucune exception… Il nous a donné son aval sans le moindre problème. J’ai donc rencontré longuement Claude Gendrot, qui est l’éditeur (vivant) qui a accompagné la création du plus grand nombre de livres chez Aire Libre. J’ai aussi rencontré Sébastien Gnaedig [1] et Jean Deneumostier [2]. Je n’aurais pas pu écrire le « Roman d’Aire Libre » si je n’avais pas eu cette liberté. Cela aurait une hagiographie tronquée. La Pravda n’intéresse plus personne ! J’ai récolté des éléments assez durs, notamment au sujet de Philippe Vandooren [3], que certains admiraient et d’autres détestaient.
J’essaie de transformer tout cela en un roman, en une suite continue et non dialoguée. Je digère tout ce que l’on me raconte pour le retranscrire. José-Louis Bocquet, l’actuel responsable de la collection, a eu l’idée de cette forme…

Illustration de Catel pour "Quatuor"

Vous êtes également journaliste et présentateur du journal télévisée de la RTBF, ainsi que de l’émission littéraire Mille-feuilles. Vous accordez beaucoup d’importance à la BD. Était-ce facile d’imposer ce genre culturel à vos supérieurs ?

Très ! Je n’ai jamais eu de combat à mener pour cela. Lorsque j’ai commencé travailler pour la RTBF radio en 1993, Hugues Dayez parlait déjà beaucoup de bandes dessinées sur l’antenne. Et en télé, je suis loin d’être un pionnier. Francis Buytaers invitait déjà des auteurs dans le journal télévisé de la nuit !
Je n’ai jamais cessé, depuis que je suis entré à la RTBF, de parler de BD à la radio. Lorsque j’ai rejoint la rédaction du journal télévisé, j’ai naturellement présenté des sujets sur la BD. En 1998, lors de la publication d’Azrayen, j’ai réussi à aller avec une équipe du JT à Toulouse pour interviewer Frank Giroud. J’ai expliqué l’axe du sujet à mon rédacteur en chef : « Frank Giroud, le scénariste, est tombé sur les notes prises par son père dans le grenier de ce dernier. Il a mis dix ans à en faire une histoire. Giroud a emmené son père en Algérie en pleine guerre civile  ». Pour que le sujet soit intéressant, il fallait que j’interviewe le père et le fils en même temps. Le rédacteur en chef de l’époque, Michel Konen, a débloqué les budgets pour que j’aille là-bas avec l’équipe ! Nous avons dû être les seuls à exploiter le sujet sous cet angle. C’était courageux car Azrayen n’avait pas la notoriété de XIII ou de Largo Winch !
Depuis, au journal télévisé de 13h de la Une, je reçois régulièrement des invités culturels. J’y incorpore des auteurs de BD. Mais je dois refuser de nombreuses demandes. Je ne peux recevoir que trois invités par semaine. Des chroniqueurs viennent sur le plateau les deux autres jours. C’est finalement assez peu pour parler de bande dessinée, de littérature, de cinéma, de théâtre, de danse, de photographie, etc.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Lire la chronique de Quatuor par David Taugis.

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Illustrations (c) Catel & Casterman
Photos (c) Nicolas Anspach - Reproduction interdite sans autorisation

[1ancien éditeur chez Dupuis, et actuel directeur éditorial de Futuropolis

[2Ancien directeur général de Dupuis

[3Ancien directeur éditorial de Dupuis, qui a conçu avec Jean Van Hamme la collection Aire Libre

 
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