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Thierry Gloris (Aspic) : « En tant que scénariste, je trouve que les personnages sont toujours plus importants que l’intrigue »

Par Charles-Louis Detournay le 18 octobre 2013                      Lien  
Après une premier enquête aussi fantastique que rythmée, les drôles de Détectives de l'étrange de l'agence Aspic sont revenus dans le Paris de la Belle Époque pour notre plus grand plaisir. Analyse de ce second diptyque avec son scénariste.

Le lecteur a du patienter un petit peu afin de découvrir le début de ce troisième tome. Fallait-il vérifier le retour du public avant de remettre la machine en marche ?

Le laps de temps entre deux albums dépend essentiellement de l’emploi du temps de Jacques Lamontagne qui dessine deux séries de front : Aspic et Les Druides. Pour Aspic, le retour public a été très bon dès le premier tome. Nous étions en rupture à peine trois semaines après sa sortie. Actuellement, je suis au découpage dialogué de la page 15 du tome 4.

Thierry Gloris (Aspic) : « En tant que scénariste, je trouve que les personnages sont toujours plus importants que l'intrigue »
Le duo s’impose dans cette nouvelle enquête

Après le diptyque introductif, on entre dans le vif du sujet avec les premières affaires de l’Agence Aspic, menée par un duo finalement assez inattendu. Faut-il des personnages aux antipodes pour doper votre intrigue ?

L’agence de détectives Aspic est créée autour d’une femme forte et moderne : Flora Vernet. Nous la qualifierions aujourd’hui de féministe. Pour son époque, elle est juste rebelle et avant-gardiste. Elle s’associe avec Hugo Beyle, un étrange dandy qui possède des accointances privilégiées avec le monde des esprits. La facilité dans cette série aurait été de créer un binôme entre Dupin, le vieux détective, personnage littéraire né sous la plume d’Edgar Allan Poe et notre héroïne. Nous serions revenus alors à un schéma traditionnel : celui du maître et de l’élève. Mais j’ai préféré explorer une nouvelle voie.

Vos deux détectives s’entendent comme chien et chat...

Oui, la série s’amuse à jouer avec les codes. La relation Dupin-Flora est dans une dynamique de rivalité, celle existant entre Flora et Hugo, dans la complémentarité. Or, ces deux personnages sont de caractères très différents. Flora est intelligente et réservée. Hugo est instinctif et jouisseur. Mais tous deux développent au fur et à mesure de leurs aventures des relations que je qualifierais de fraternelles. C’est vrai qu’ils sont comme chien et chat, toujours prêts à s’égratigner. Et pourtant, ils sont solidaires l’un et l’autre face à une société qui les rejette. Flora est beaucoup trop libre, Hugo beaucoup trop excentrique. Alors au final, ce sont leurs différences face à la société qui les unit plus qu’elles ne les séparent.

Le dossier en fin d’album regorge de croquis, d’inédits et de confidences sur la série

Dans le contexte actuel, les personnages principaux ont-ils autant voire plus d’importance que l’intrigue elle-même ? On a ainsi pu redécouvrir le détective Dupin et son acolyte dans ce tome 3, alors que vous ne pensiez pas les placer initialement dans ce second diptyque...

En tant que scénariste je trouve que les personnages sont toujours plus importants que l’intrigue. Je pense que la course à l’originalité est une course à l’échalote sans grand intérêt. Certes une dramaturgie doit être une mécanique bien huilée, mais l’essentiel est dans les émotions ressenties par le lecteur. Et pour cela, il faut des personnages crédibles ou du moins logiques avec eux-mêmes. Ainsi, le lecteur peut entrer dans un processus d’identification, ou au moins en empathie. Nos personnages de papiers doivent "vibrer" à travers le dessin qui les anime et entrer en résonance avec les propres aspirations du lecteur.

Mon souci avec Dupin, c’est que sous le dessin de Jacques, il a acquis un charisme que je n’avais pas prévu. Au niveau du script original, il était la figure paternelle et conservatrice qui s’oppose à l’indépendance de Flora. Il devait réapparaître de temps à autre comme un mentor un peu agaçant ayant la science infuse, un Deus ex machina providentiel, lors d’enquêtes particulièrement retorses. Après le premier diptyque, j’ai décidé de travailler plus à fond la thématique père-fille, qui s’est imposée entre Flora et Hugo. Alors, si nous avons bien le duo Flora-Hugo menant l’aventure, les relations inter-personnages s’établissent sur une dynamique en trio avec Dupin. Situation classique, si la romance n’y était pas absente.

Après le décor de théâtre des tomes 1 et 2, on se retrouve dans celui des foires dans ce tome 3, avec leurs attractions si fascinantes pour le public de la Belle Époque. Désiriez-vous mettre en avant cette période historique par les divertissements plus spécifiques qu’elle proposait au public ?

Cette fin XIXe siècle est pour moi le véritable écrin pour les aventures de l’agence Aspic. J’ai donc envie de montrer cette époque sous tous ses aspects, autant matériels que sociaux. Le fait d’avoir plus spécifiquement traité les divertissements sur ces trois premiers tomes tient, soit du hasard, soit de mon inconscient. En effet, outre les relations complexes qui animent les personnages, Aspic est avant tout un divertissement grand public. Une lecture pop-corn, comme j’aime à la qualifier.

A la différence du premier diptyque, la fin de la première partie, donc ici les dernières pages du tome 3, proposent une vraie chute, tout en ouvrant la porte à une seconde intrigue qui prendra toute son importance, suppose-t-on, dans la suite. Ce temps d’arrêt, cumulé à un cliffhanger, s’imposait cette fois ?

La narration d’Aspic fonctionne sous forme d’enquête. Le risque est de réitérer ad nauseam une même recette album après album. J’ai donc décidé de mettre en place un MacGuffin [1] afin de surprendre mes lecteurs. Le quatrième album qui conclura notre enquête réservera encore de nombreuses surprises et retournements de situations. Bien malin le lecteur qui prévoira où nos héros se rendront !

Ce tome 3 propose également un très beau cahier graphique qui explique votre univers. Un cadeau de l’éditeur pour prouver son attachement pour votre série ?

Le cahier graphique est surtout un cadeau aux premiers lecteurs de notre série qui nous sont fidèles. C’est Jacques et moi qui l’avons voulu. Certes, il est également la preuve d’un attachement de notre éditeur à la série, mais je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à faire du point de vue marketing pour la promouvoir...

Un mot sur votre collaboration avec Jacques Lamontagne ? Comment compensez-vous l’éloignement de vos domiciles ? Je peux supposer que les nouvelles technologies participent à la complicité qu’on peut ressentir en lisant vos pages ?

Nous fonctionnons essentiellement avec Internet et le téléphone. C’est une méthode que j’ai éprouvée avec quasiment tous mes collaborateurs étant donné que je vis à la campagne. Donc, même si Jacques vit au Québec, il n’y a guère de différence pour lui, hormis le décalage horaire. Le plus important dans ce boulot, c’est une bonne entente, le reste n’est que matériel. Avec Jacques, j’ai la chance de travailler avec un dessinateur de grand talent et un ami.

Certaines de ses cases sont très explicites, comme issues de cartes postales. Lui proposez-vous parfois des documents lorsque vous lui soumettez votre découpage ou lui laissez-vous trouver ces informations lui-même ?

Lors de mes découpages, je fais souvent appel à de la documentation photographique et des sources historiques. En revanche, je ne livre à Jacques qu’un découpage écrit assez léger afin qu’il s’approprie le script à sa manière. Ainsi, sauf si Jacques se trouve face à une impasse, je le laisse entièrement établir sa documentation et ses plans. C’est une question de confiance, née à travers les années de collaboration. Ceci dit, il arrive très souvent que, bien en amont du travail sur la planche, nous échangions des photos d’époque ou des gravures afin d’être sur la même longueur d’onde.

Le premier diptyque est paru sous forme d’intégrale l’année dernière

Avez-vous déjà bien entamé le tome 4 d’Aspic ?

De mon côté, j’ai découpé la moitié de l’album. Le dénouement est en vue d’ici quelques semaines. Jacques devrait commencer le dessin début 2014. Donc une sortie fin 2014, ou pour Angoulême 2015 je pense.

Un mot sur vos autres projets et prochaines sorties ?

Pour Delcourt, je prépare plusieurs albums mettant en scène des batailles historiques. Il s’agit d’albums thématiques qui auront comme sujet central " l’identité ", questionnement qui revient dans nombre de mes albums. Mes prochaines sorties seront Isabelle, la louve de France tome 2, fin du diptyque avec Jaime Calderon et Marie Gloris, début 2014. Je finalise également pour 2014 un thriller politico-économique avec une pointe de fantastique pour les éditions Casterman, une série qui se nommera NSA.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire également notre article : Thierry Gloris, la diversité scénaristique

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[1Prétexte au développement d’un scénario. Terme forgé par Alfred Hitchcock. NDLR.

 
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