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Thomas Astruc et Sébastien Ruchet : « BayDay, c’est la liberté »

Par Jaime Bonkowski de Passos le 27 janvier 2020                      Lien  
BayDay, nous vous en avons parlé le mois dernier, se présente comme une plateforme de diffusion numérique de bandes dessinées qui a pour vocation de révolutionner à la fois le rapport des lecteurs à l’œuvre, mais aussi la relation entre les créateurs et les diffuseurs. Projet ambitieux, il est mené par deux véritables passionnés du 9e art : Thomas Astruc, son fondateur et Sébastien Ruchet, le DG de l’entreprise. L'équipe sera présente cette année au Festival International de la BD d'Angoulême.
Thomas Astruc et Sébastien Ruchet : « BayDay, c'est la liberté »
Thomas Astruc, le fondateur de BayDay.
© Jaime Bonkowski De Passos.

Mettons directement les pieds dans le plat, c’est quoi BayDay ?

Thomas Astruc : L’idée est née il y a longtemps quand, en tant que lecteur, j’ai constaté que l’offre en BD ne me convenait pas. Au niveau du format, de la variété, je n’étais pas satisfait, alors j’ai commencé à imaginer un moyen de combler ces vides, par le numérique. En parallèle, on a commencé à parler de plus en plus du statut désastreux des auteurs, de leur précarisation. Et à mesure que mon idée devenait de plus en plus précise, j’ai réalisé que BayDay pouvait aussi proposer une solution à ce problème.

Sébastien Ruchet : Ce qu’on propose, c’est une plateforme pensée pour les auteurs, pour leur faciliter le travail et leur donner la possibilité de remettre la création au centre de leurs priorités. Ça veut dire les débarrasser de tout le travail administratif d’une complexité sans nom, et ça veut aussi dire leur offrir une rémunération plus digne.

Justement, à propos cette question de la rémunération des auteurs, quel est le modèle que vous proposez ?

T. A : C’est très simple : comme souvent sur Internet, on a une répartition de 70/30. 70 % des revenus générés par la vente d’une œuvre reviennent à l’auteur, et les 30 % restant viennent permettre à la plateforme d’exister. L’avantage du numérique, c’est qu’on n’a pas les frais d’impression, de diffusion, les marges des intermédiaires. Ça laisse donc une part beaucoup plus importante aux créateurs. Et cette répartition, elle se fait sur un prix qui est fixé par l’auteur uniquement. Ça nous semblait très important qu’il puisse décider lui-même du prix auquel il souhaite vendre sa création.

Présentation de BayDay

S. R : Pour en arriver à ce type de contrat, on a beaucoup travaillé avec des avocats spécialisés dans les droits d’auteurs et on a aussi soumis nos propositions au SNAC (Syndicat National des Auteurs Créateurs de BD) et à des auteurs, pour être absolument certain que le modèle fonctionne. Les différents contrats que l’on propose permettent ainsi de couvrir tous les types de profils différents, de l’auteur français à l’auteur étranger, et ils sont le fruit d’une réflexion commune avec les premiers concernés.

Sébastien Ruchet, directeur général de BayDay.
© Jaime Bonkowski De Passos.

Et pour les auteurs, qu’est ce que ça change concrètement ?

T. A : Déjà, ils sont rémunérés mensuellement, en fonction du succès et des ventes de leurs œuvres. Ensuite, c’est eux qui ont le contrôle sur le rythme de parution, le prix de mise en vente, et le type d’œuvres qu’ils veulent proposer. D’autant plus que BayDay n’est pas un éditeur, on n’a aucun jugement, aucun choix à faire. Tout ce qui nous est proposé sur la plateforme, on le met en ligne, on ne refuse rien, tant que ça reste dans la légalité évidemment. Comme YouTube, on offre aux artistes la possibilité de diffuser leurs œuvres, et d’être dignement rémunéré pour ça.

S. R : Et pour ce qui est de la partie administrative, tout est automatisé. Pour les auteurs, ça représente habituellement une grosse charge mentale, toute cette gestion de la paperasse, avec les différentes administrations concernées. Là, c’est nous qui prenons en charge toute cette partie, il ne reste donc à l’auteur plus qu’à s’inscrire, et à créer.

Priorité à la création, c’est votre leitmotiv.

S. R : Exactement. Quand on discute avec les auteurs, on voit que leur première question c’est : "qu’est ce que je peux créer, c’est quoi les limites de BayDay ?". Nous, on leur répond que concrètement : ils peuvent tout faire.

T. A : Voilà, parce qu’aujourd’hui quand on pense BD, on a tout de suite une image mentale, avec des cases, des bulles, etc, mais on peut imaginer une manière complètement autre de vivre la BD, une narration déstructurée, une aventure dont vous êtes le héros… Par rapport à d’autres plateformes qui vont imposer un format, ou se contenter de balancer un PDF planche par planche, nous on veut donner une liberté totale aux auteurs. Parce qu’on pense que la BD, contrairement aux autres industries créatives comme le cinéma ou le jeu vidéo par exemple, c’est le meilleur endroit pour expérimenter. Comparativement, créer une BD c’est autrement moins cher que créer un film ou un jeu vidéo, même en amateur, donc nous, on veut inciter les auteurs à tenter des choses, de nouvelles manière de faire de la BD. On voudrait que BayDay soit un vivier, un laboratoire.

Les premiers titres de BayDay
© BayDay 2020

Vous avez des ambitions internationales pour BayDay ?

T. A : Tout à fait. Dans le cadre de mon travail sur Miraculous notamment, j’ai beaucoup été invité dans des conventions et des festivals à travers le monde, et à chaque fois, je découvrais la quantité incroyable d’auteurs et d’œuvres qui ont du mal à se faire publier, et à être diffusés. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans le monde de la BD, on a des œillères très étroites parce que c’est dur de vendre ses BD à l’étranger. Et c’est hyper-frustrant de se dire qu’il y a par exemple en Italie, à Hong-Kong, en Pologne, des auteurs fantastiques et des œuvres incroyables, mais que le lecteur français ou portugais n’y a pas accès.

S. R : Nos œuvres seront d’abord mises en ligne et donc accessibles partout dans le monde. Ensuite, l’auteur aura la possibilité, s’il le souhaite, d’ajouter une traduction en anglais par exemple, et d’un coup, c’est tout un nouveau public potentiel qui s’ouvrira à lui. Et nous de notre côté, on accompagnera l’auteur dans ses démarches pour se faire traduire si il en a besoin.

Les bureaux de BayDay, non loin de Bastille, à Paris. Là où la magie opère...
© Jaime Bonkowski De Passos.

On a pu lire sur les réseaux sociaux des commentaires à charge contre votre projet, vous accusant "d’ubériser la BD". Que répondez vous à cela ?

T. A : (En riant) Bah, je répondrais que je suis moi-même un créateur et un auteur, que j’ai déjà des projets qui vont sortir sur BayDay. Je vois pas pourquoi je chercherais à m’arnaquer moi-même ! Le système actuel, beaucoup de gens pensent qu’il fonctionne, mais c’est faux : il place les auteurs dans une précarité extrême et il limite beaucoup la création. On veut résoudre ces deux problématiques, et on considère que chaque œuvre mise en ligne, et chaque centime gagné par les auteurs, c’est déjà une incroyable victoire, au delà de toute question de bénéfice.

S. R : Et puis ce qu’il faut bien voir, c’est qu’on propose un changement important donc forcément, ça génère de la méfiance. Mais on sait qu’à terme, tout le monde en sortira gagnant. Les éditeurs pourront découvrir de nouveaux talents qui pourront alors se faire publier en librairie -parce que nos contrats n’impliquent aucune exclusivité pour l’auteur- et ils pourront expérimenter de nouvelles choses, et toucher un public beaucoup plus large qu’aujourd’hui…

T. A : Et à toutes ces créations originales, il ne faut pas oublier la possibilité pour les éditeurs de mettre en ligne des choses qui existent déjà. On peut tout à fait imaginer par exemple que Les Humanoïdes Associés mettent tous les numéros de Métal Hurlant sur notre site, à quelques centimes le volume, et ça permettrait aux auteurs de repasser sous le feu des projecteurs, aux lecteurs de découvrir des nouvelles choses, et aux éditeurs de gagner de l’argent. On ne se voit pas comme des concurrents d’un modèle déjà existant, mais comme une sorte d’évolution complémentaire.

© Jaime Bonkowski De Passos.

Voir en ligne : Le site de BayDay.

(par Jaime Bonkowski de Passos)

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