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Thomas Campi ("Les Larmes du Seigneur afghan") : "Ce qui compte, c’est que le lecteur soit dans un flux narratif."

Par Yohan Radomski le 7 mai 2014                      Lien  
"Les Larmes du Seigneur afghan" nous permet d'approcher au plus près le quotidien de la grand reporter Pascale Bourgaux lors de la réalisation d'un documentaire en Afghanistan en 2010. Thomas Campi, dessinateur italien marchant sur les traces de Marco Polo, vit à Hangzhou. Il nous explique sa façon de travailler.

Vous habitez depuis longtemps en Chine ?

J’ai d’abord passé trois années à Shanghai, de 2006 à 2008, puis je suis parti à Sidney avant de revenir en Italie, où ma femme a donné naissance à mon fils.

En 2011, on est revenus en Chine, à Hangzhou cette fois. Cela fait donc six ans en tout ici. Mais en septembre, je vais aller vivre à Sidney…

Thomas Campi ("Les Larmes du Seigneur afghan") : "Ce qui compte, c'est que le lecteur soit dans un flux narratif."
Vue de Lujiazui en 2008 © Campi

Pensez-vous que le fait d’habiter ici influence votre travail ?

Je ne crois pas, pas vraiment. Peut-être dans les couleurs, car depuis que je suis ici, il y a plus de rouge dans ma palette…

Mais le rythme de vie est en phase avec mon travail. Tout change si vite ici, c’est stimulant. Et puis j’aime beaucoup voir les visages, j’adore marcher seul, observer, faire des croquis...

Les croquis, c’est quelque chose que je fais beaucoup quand je voyage : regarder les visages, comment les gens marchent, s’assoient. Il faut être rapide, et c’est un bon exercice.

Votre vie à Hangzhou est différente de celle que vous meniez à Shanghai ?

A Shanghai, j’avais une vie assez insouciante. J’avais beaucoup d’amis, je sortais, je me promenais. Je travaillais aussi à l’époque pour Bonelli sur la série "Julia".

Une planche de Julia, la série parue en Italie © Campi, Bonelli Editore

J’ai aussi fait une adaptation de "Guerre et Paix" avec Frédéric Brémaud. Cela faisait partie d’une collection de livres commandée par l’Unesco. Les livres ont été distribués un peu partout dans le monde, mais pas en librairies.

Et ce qui a changé, c’est que je suis devenu père, et que j’ai commencé à travailler pour la France. A Hangzhou, la vie est très tranquille, et je suis le seul étranger du quartier. C’est parfait pour travailler.

Comment avez-vous rencontré Vincent Zabus ?

Il m’a contacté après avoir vu mon travail sur mon site. En fait, je ne l’ai rencontré que pendant deux heures, mais on discute beaucoup sur Skype, et on arrive très bien à travailler ainsi.

Il m’a proposé « Les Petites Gens », qui est ensuite sorti au Lombard. Cela me changeait du travail avec Bonelli. Je me sentais beaucoup plus investi et libre. Et j’y prenais énormément de plaisir.

L’atelier de Thomas Campi à Hangzhou

Vous sortez « Les Larmes du Seigneur afghan ». Comment ce projet a-t-il démarré ?

Je ne sais pas exactement comment s’est passé la rencontre entre Vincent Zabus et Pascale Bourgaux. Quand on m’a parlé de cette histoire, cela m’a intéressé tout de suite car je n’avais jamais fait ça. C’était beaucoup plus proche de la réalité, du documentaire.

Vous êtes allé en Afghanistan ?

Non, mais je n’ai pas eu trop de problèmes pour la documentation. Pascale m’a fourni des photos et des vidéos, et j’ai trouvé aussi beaucoup de choses sur Internet.

Le problème a parfois été d’avoir la responsabilité de dessiner des personnes réelles. Ce n’était pas facile. Même s’il y a de légères différences entre ma représentation et ces personnes.

Comment mettre un hijab © Campi

Combien de temps avez-vous mis pour réaliser cet album ?

Environ quinze mois, mais à la fin, j’ai réalisé dix-sept pages en un mois ! L’expérience avec Bonelli m’a habitué à une certaine cadence de travail.

Pendant ces quinze mois, je réalisais aussi le soir des dessins pour un art book et j’ai fait une dizaine d’illustrations et la couverture d’un roman pour adolescents.

Storyboard de la page 58 "Les Larmes du Seigneur afghan" © Campi, Zabus, Bourgaux

Comment avez-vous travaillé à distance avec Vincent Zabus ?

Il me laissait beaucoup de liberté. A partir du scénario, j’ai fait un storyboard, et c’était l’étape la plus importante. On échangeait ensuite par emails ou par Skype pour modifier certaines choses dans le storyboard.

Parfois, je faisais un croquis que je lui montrais directement en ligne. Il changeait aussi parfois son texte en fonction de mes propositions.

Le storyboard est ce qui le plus difficile à faire pour moi. J’ai besoin d’être seul, de me concentrer. C’est vraiment l’étape fondamentale.

page 58 "Les Larmes du Seigneur afghan" © Campi, Zabus, Bourgaux

Et ensuite, comment procédez-vous ?

J’imprime le storyboard, et j’utilise une table lumineuse pour encrer directement. Je ne passe pas par une étape de crayonnés poussés avant d’encrer. Le storyboard me suffit. Puis je passe à la mise en couleurs sous Photoshop.

Comment avez-vous défini la palette de couleurs que vous utilisez dans l’album ?

Les couleurs ne sont pas réalistes. J’essaye d’avoir une atmosphère réaliste, les effets de lumière sont réalistes. Mais je choisis simplement les couleurs parce que je les aime, ou pour exprimer des émotions.

Un dessin nocturne © Campi

Que cherchez-vous dans le dessin ?

Je cherche un dessin narratif. Même si je fais des petites erreurs, ce n’est pas important. Ce n’est pas nécessaire de dessiner tout un tas de détails. Ce qui compte, c’est que le lecteur soit dans un flux de narration.

Vous avez lancé une souscription pour un art book intitulé "Nocturne". Vous pouvez parler de ces dessins ?

Je les fais le soir, après ma journée de travail. J’ai encore de l’énergie et c’est une façon pour moi de la sublimer. Et puis d’expérimenter, de m’amuser, de me relaxer.

J’ai réalisé 75 dessins, et mon objectif est d’aller à 100. Il y a une souscription pour financer le livre et aussi des tirés à part, des cartes, etc.

Une vidéo sur la réalisation d’un dessin de la série "Nocturne"

Sur quoi travaillez-vous à présent ?

Je dessine une histoire de Vincent Zabus intitulée « Macaroni ». On y parle d’un Italien qui a émigré en Belgique pour travailler dans les mines. Son petit-fils demeure avec lui et c’est l’occasion de lui raconter sa vie.

Le format du livre est différent, plus petit. Je travaille sur un découpage en trois bandes, assez simple. Cela devrait paraître en 2015.

Recherches pour le personnage d’Ottavio sur le projet Macaroni © Campi et Zabus
Planche encrée et mise en couleur de "Macaroni" © Campi

(par Yohan Radomski)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Visiter le site et la page de la souscription pour "Nocturne" de Thomas Campi

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