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Thomas Mathieu : « Mes personnages se rêvent dragueurs prédateurs, mais ça n’est pas le cas »

Par Morgan Di Salvia le 19 juillet 2010                      Lien  
Thomas Mathieu vient de publier son premier album {Les Drague-Misères} dans la collection Shampooing des éditions Delcourt. Rencontre avec un jeune auteur particulièrement doué pour raconter la vie des dragueurs.

Les Dragues-Misères est votre premier album. Est-ce qu’on attend impatiemment un moment pareil dans une carrière ?

Oui. C’est facile de faire des études de bande dessinée, mais finalement peu de gens arrivent à faire des bandes dessinées. Ensuite, c’est une petite course au premier qui sera publié, et qui sera enfin un vrai auteur de BD !

Et dans votre cas, la course a duré longtemps ?

J’ai dû patienter un an et demi. Ce qui n’est pas très long. J’ai envoyé mon projet pour Les Drague-Misères à Allan Barte, qui l’a ensuite fait passer à Lewis Trondheim, directeur de la collection Shampooing. Trondheim m’a répondu assez vite, je n’ai pas eu le temps de l’envoyer à d’autres éditeurs. Et comme j’adore Shampooing, j’étais très content.

Thomas Mathieu : « Mes personnages se rêvent dragueurs prédateurs, mais ça n'est pas le cas »
"Les Drague-Misères"
© Thomas Mathieu - Delcourt

Comment s’est passé le travail avec votre éditeur sur ce premier album. Vous êtes arrivé avec un produit fini ou bien le travail s’est fait avec un suivi régulier et des allers-retours avec l’éditeur ?

A l’origine, j’avais envoyé 30 pages qui ne ressemblent pas aux pages qu’il y a dans l’album fini. Il y avait déjà des strips et des morceaux d’histoire, mais ça n’était pas organisé comme le résultat final. Disons que ça donnait une idée de ce que serait l’ensemble du livre. Lewis Trondheim m’a proposé d’en faire une version de 124 pages, si je m’en sentais capable… J’ai répondu d’un enthousiaste : « Quand tu veux ! ». Trondheim m’a fait quelques critiques et m’a donné quelques directions à suivre au tout début, et puis j’ai eu la chance d’être très libre dans la suite de ce travail de longue haleine qui m’a pris environ un an. Même pour la couverture, ma première proposition a été acceptée.

Le rêve ou alors vous auriez préféré qu’il vous pousse dans vos retranchements ?

Je ne sais pas. Le fait que mon premier album paraisse dans la collection Shampooing, que Lewis Trondheim soit mon premier lecteur, m’avait déjà mis une pression suffisante !

Quel a été votre parcours avant de publier ce premier livre ?

J’ai suivi les cours de bande dessinée à l’Ecole Saint-Luc de Bruxelles, puis à celle de Liège. Durant cette période, j’ai commencé un blog, qui m’a fortement poussé à dessiner et surtout à raconter quelque chose. Ce que je ne faisais pas vraiment à l’école : on se concentrait sur la technique, sur comment faire de belles images efficaces. Le blog m’a obligé à raconter de manière régulière et à réaliser de petites histoires tous les deux jours. Je pense que c’est plus facile de trouver son ton en créant beaucoup de pages.

Donc, dès la sortie de ces années d’études, votre premier projet a été accepté par un éditeur ?

Non, j’ai présenté trois projets qui ont été refusés. En fait, pour mon premier projet, j’avais fait scrupuleusement ce que je pensais que les éditeurs voulaient : quatre pages finies, un peu plus en encrage, un synopsis, des recherches de personnages. Je n’ai eu quasiment aucune réponse en envoyant ce type de dossier, mis à part des lettres types : « Cela ne rentre pas dans nos collections actuellement ». Je me suis donc retroussé les manches pour réaliser quelque chose de plus personnel. D’abord avec un tout petit format à partir d’une histoire du blog qui s’appelait Pipi rouge. Il s’est avéré que ce projet était difficile à éditer, mais comme il y avait plus de pages, j’ai senti beaucoup plus d’intérêt de la part des éditeurs. Ca m’a forcé à concevoir autrement mes projets. De me dire non pas : "qu’est-ce qu’un éditeur veut", mais : "qu’est-ce qui donnerait la meilleure vue de ce que moi j’ai envie de faire".

Les tourments d’un drague-misère...
© Thomas Mathieu - Delcourt

Il y a beaucoup d’humour dans Les Drague-Misères, on y trouve des situations de couple particulièrement bien vues. Est-ce que c’est 100% fiction, inspirés par des amis ou par votre propre vie ?

Alors, c’est très peu de fiction, beaucoup de la vie de mes amis (bien que je sois conscient qu’ils aient peut-être inventé des trucs avant de me les raconter) et des choses que j’ai vécues personnellement. La fiction intervient plutôt dans les gags, qui ont besoin d’être scénarisés pour être drôles.

Comme vous réutilisez des anecdotes d’amis, vous n’avez pas peur que l’un d’eux vous tombe dessus en disant : « J’ai pas trop envie que tu racontes ça » ?

Au contraire : comme j’avais commencé à publier l’histoire sur mon blog, beaucoup de gens venaient vers moi pour me raconter leur histoire ! Si elle n’est pas dans le bouquin, ils sont déçus !

Il y a un paradoxe graphique intéressant dans Les Drague-Misères : tous les hommes sont des animaux, alors que les femmes sont des humaines. Est-ce que c’est parce que vous considérez que les hommes sont des mufles ?

Je voulais que les filles soient jolies. Si j’avais dessiné les filles en chèvres, ça n’aurait pas été possible de les rendre jolies. Je joue aussi avec le fait que les personnages masculins sont des loups ou des crocodiles, alors qu’on se rend vite compte que ce ne sont pas vraiment des prédateurs. Ils se rêvent dragueurs prédateurs, mais ça n’est pas le cas.

Un extrait des "Drague-Misères"
© Thomas Mathieu - Delcourt

Vous jonglez avec les formats puisque dans Les Drague-Misères, il y a des planches BD, des strips et des cartoons en une case. Finalement, qu’est-ce qui vous plait le plus dans cette large palette ?

J’aime le mélange des trois. Disons que c’est dans les planches que j’ai le plus de possibilités, je peux jouer avec les plans, faire des flashbacks, c’est plus riche. J’utilise les gags en une case ou en strips comme des réponses à l’histoire. Ca donne un rythme différent à l’album. Je pense que la lecture du Pinocchio de Winshluss m’a vachement décoincé. Avant, je ne connaissais que Chris Ware qui poussait la logique des planches à son paroxysme. Mais quand j’ai lu cet album de Winschluss, l’originalité dans sa manière de raconter, les libertés qu’il prenait avec le format, ça m’a ouvert les yeux et sans doute des portes dans mon travail.

Un extrait des "Drague-Misères"
© Thomas Mathieu - Delcourt

Je vous cite dans l’album : « Si on faisait une série télé avec les Drague-Misères ça s’appellerait Presque pas de sexe in the city ». Or, avant la parution, vous avez réalisé plusieurs webisodes filmés pour faire du teasing. C’est un travail assez incroyable, est-ce que vous pouvez nous expliquer comment Les Drague-Misères ont été adaptés en film avant d’être publié sur papier ?

Oui, il y a eu 8 petits films. J’avais vraiment envie de faire quelque chose d’original pour la sortie de mon premier album. En ce moment, on voit beaucoup de bandes-annonces pour des BD, mais c’est souvent des travellings sur des cases, avec un peu de musique. Je trouve que ça ne donne pas vraiment envie, c’est de la vague animation. J’ai pensé que si je faisais une bande-annonce, c’était l’occasion d’être créatif. C’est comme ça que me sont venues les idées de fabriquer des masques en papier mâché, de faire des prises de vue en blue screen, puis de dessiner les décors, …

Comment avez-vous trouvé les moyens techniques de réaliser ces petits films ?

J’ai une amie qui vient de terminer des études de réalisation à l’IAD [1]. Elle avait un peu de temps devant elle et avec beaucoup de gentillesse, elle a consacré pas mal d’énergie au projet. Elle avait des contacts avec des comédiens, on a pu bénéficier de la présence d’un éclairagiste, d’un cadreur, d’un preneur de son… Pendant la semaine de tournage, j’ai pu frimer en tant qu’assistant-réalisateur et scénariste dont le portable sonne tout le temps ! (Rires).

Quel effet ça fait d’entendre son texte lu par des comédiens ? C’est une situation plutôt rare pour un auteur de BD…

C’était assez agréable bien sûr. Même si je ne suis pas sûr que ça fonctionne vraiment tout le temps.

Après cette expérience, ça vous tenterait de travailler dans l’audiovisuel en marge de la bande dessinée ?

C’était une expérience plutôt sympathique, mais je ne pense pas. A part si M6 me téléphone pour me dire : « On vire Kaamelott, tu as quelque chose pour nous ? ». (Rires)

Thomas Mathieu à Bruxelles
en juillet 2010

Quels sont vos projets ? D’autres histoires des Drague-Misères ?

C’est pas sûr. Cela dépendra du succès de ce premier livre. Si on me propose d’en faire un deuxième, j’ai de quoi faire. Cela fonctionne un peu comme La Vie Secrète des jeunes de Riad Sattouf : c’est de l’observation et du vécu. Tant que je ne suis pas marié, il pourra y avoir des Drague-Misères ! Sinon, j’ai signé pour un album chez Manolosanctis, qui sera une parodie sérieuse des films de série Z. Le titre de travail c’est Bimbo contre chatons tueurs.

La question rituelle pour conclure : quel est le livre qui vous a donné l’envie de faire ce métier ?

Pour moi le déclic, ce sont les cours que j’ai pris au Centre Belge de la Bande Dessinée. Je me suis rendu compte qu’il y avait des gens qui dessinaient derrière les albums. Enfant, je voyais toujours ça comme un produit fini, je ne pensais pas qu’il y avait quelqu’un qui dessinait Lucky Luke. J’ai cité Lucky Luke, alors ça doit être ça mon déclencheur !

(par Morgan Di Salvia)

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Photos © M. Di Salvia

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[1Institut des Arts de Diffusion, célèbre école belge

 
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