Pour Japan Expo, comme pour tous vos confrères de l’événementiel, cette crise sanitaire doit être assez terrible.
Thomas Sirdey : Oui terrible, c’est le bon mot. Parce qu’on a pas plein de produits toute l’année. On a deux événements par an, un à Marseille et un a Paris, et quand ça n’a pas lieu, on perd notre gagne-pain de l’année. Mais en même temps, on a une certaine résilience : en 2005, Japan Expo n’avait pas eu lieu et on est toujours là !
Dans nos « scénarios-catastrophes », nous avions déjà anticipé ce genre de situation. Donc oui, c’est terrible, mais il ne faut pas s’arrêter à ça. On va se débrouiller pour faire en sorte que la prochaine édition fasse oublier le fait qu’il n’y en ait pas eu cette année.
Combien de personnes sont au chômage technique dans votre équipe ? On imagine que ça doit entrainer beaucoup de contraintes administratives, de la paperasse...
Ça concerne 35 personnes chez nous. Et évidemment il y a une paperasse assez terrible qui va avec, même si on a une équipe assez impliquée au niveau administratif qui fait en sorte que ça se passe au mieux. Et globalement dans le grand tout de l’univers, l’accompagnement par l’État est plutôt bien mené, pour nous en tout cas. Notre banque joue aussi bien le jeu pour nous aider à trouver des solutions pour l’avenir. Donc, pour ça, on n’a pas trop à se plaindre. Le plus problématique, c’est évidemment le virus mais on n’y peut rien... Pour le moment, nous n’avons pas de gens contaminés dans notre entourage. On touche du bois ! « So far, so good ! »
"L’après" est donc reporté à juillet 2021, mais cette crise risque de complètement changer les mentalité des gens ? Japan Expo est un événement réputé pour réunir un grand nombre de personnes au centimètre carré... Les fameux « free hugs » qui faisaient la réputation de la manifestation, tout ça c’est fini, selon vous ?
Je ne crois pas. Je pense qu’intrinsèquement l’humanité a envie de se retrouver, ensemble. Et la communauté geek autour de la culture japonaise est hyper-soudée et a envie de se retrouver et de passer du temps ensemble. On va attendre de voir ce qu’ils nous indiquent au niveau de la préfecture pour ne pas mettre les gens en danger, évidemment. Quand il y a eu les attentats en 2015, on a mis un système de contrôle aux entrées qui a été très efficace, donc on est très à l’écoute des recommandations de ce type. On est capable de s’adapter à tout.
Aujourd’hui le problème, c’est qu’on a juste pas le droit d’y être ! Mais je pense qu’au delà de ça, les gens en auront besoin, et on a besoin nous aussi de se retrouver, de s’amuser, même si on aura évidemment toujours une arrière-pensée et une inquiétude. Mais cela a été la même chose pour la menace terroriste par exemple, et ça n’empêche pas les gens de passer du bon temps.
Et comment réagissent vos interlocuteurs japonais ? On imagine que les stars japonaises qui vous rendent habituellement visite auront peur de sortir, non ?
De toute manière, ils en ont pas le droit pour le moment, donc ça résout le problème ! Après, on échange avec les managers et les artistes, et on voit bien que dans l’ensemble il y a une volonté de bienveillance, de positivité, quelque chose qui va vers l’avant. On a pas eu de commentaire genre : « avec tout ce qui se passe, on ne sortira plus de chez nous », ni de la part des artistes ni des agents. Et même si rien n’est finalisé pour savoir qui va venir et qui ne viendra pas aux prochaines éditions, les discussions partent sur des bases très positives.
La Japan Expo brasse beaucoup de choses : le cosplay, les jeux vidéo, le sport, la mode, les arts culinaires, le tourisme, la chanson, les animes... Pour les éditeurs de mangas, thème qui nous concerne, c’est une perte lourde ?
Bien sûr, et c’est déjà là la preuve que l’on sert à quelque chose ! Après, on a la chance, je trouve, d’être dans un marché de sérialisation. Ce qui se perd aujourd’hui se retrouvera demain, même si le fossé qui se creuse en ce moment ne sera jamais réellement comblé. Aujourd’hui, les éditeurs s’inquiètent plus du fait que les librairies soient fermées plutôt que du manque à gagner de la Japan, ce qui sera au final rattrapé la fois suivante.
L’autre facette de ce problème, c’est que la Japan Expo, c’est un écosystème, avec des saisonniers, des prestataires... Chaque année, on brasse entre 12 000 et 15 000 personnes qui ne travailleront pas cette année, et là il y a des conséquences humaines qui sont pour nous un vrai crève-cœur.
Pour l’année prochaine, vous avez déjà annoncé une édition exceptionnelle. Sans trop en dévoiler, vous pouvez nous donner un avant-goût ? Qu’est ce qui rendra le 21e impact de la Japan Expo si incroyable ?
C’est trop tôt pour le dire, mais comme on va avoir un an et demi devant nous, on va vous mijoter ça vraiment bien, et on pourra bien se venger de cette édition annulée. Ça sera aussi une question d’atmosphère, je pense. Les éditeurs, les boutiques, les visiteurs qui se sont pas exprimés cette année vont se vouloir rattraper. On le voit beaucoup sur les réseaux, les gens préparent déjà leur Japan 2021. Ça sera un gros retour in your face !
Propos recueillis par Didier Pasamonik et retranscrits par Jaime Bonkowski De Passos.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD). En médaillon : Laurent Melikian.