Interviews

Thomas von Kummant ("Gung Ho") : "En Allemagne, la bande dessinée est une telle sous-culture qu’elle ne s’enseigne pas."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 octobre 2013                      Lien  
Le dessinateur de Gung Ho (Ed. Paquet) est sans nul doute un des graphistes les plus en vue et les plus habiles de la scène allemande. Travaillant à la tablette graphique, il a su bâtir un univers particulièrement dynamique qui ne devrait pas restés longtemps ignoré des lecteurs francophones.
Thomas von Kummant ("Gung Ho") : "En Allemagne, la bande dessinée est une telle sous-culture qu'elle ne s'enseigne pas."
Gung Ho T1 : Brebis galeuses - Par Benjamin von Eckartsberg & Thomy von Kummant
Ed. Paquet - Couverture de l’édition de luxe grand format (3000 ex) comportant des bonus

Né le 27 mars 1972 à Munich, Thommy von Kummant vit en Bavière à Dachau, une ville tristement célèbre pour son camp de concentration, mais aussi appréciée par les artistes en raison de son climat agréable, sa lumière et de ses paysages. Il travaille à Munich dans un studio nommé "Die Artillerie" (calembour improbable et typiquement bavarois jouant avec le mot "Art") où résident neuf autres artistes prêts à conquérir le monde.

Racontez-nous vos débuts...

Je suis arrivé à la bande dessinée assez tard, à l’âge de 23 ans, car auparavant, je me destinais à une carrière de joueur de foot professionnel. Je me débrouillais pas mal mais, à un moment, vers l’âge de 19 ans, j’ai lâché prise. Je voulais vivre ma vie, arrêter de m’entraîner de longues heures tous les jours et puis surtout, ma première fille est venue au monde à ce moment-là. Confronté à devoir gagner ma vie, je me suis inscrit dans une école de mode où j’ai rencontré un excellent professeur de dessin, Werner Meyer.

La biographie de Goethe par Friedemann Bedürftig (Textes), Christoph Kirsch, Thomas von Kummant et Benjamin von Eckartsberg (Dessins)
Éditions Ehapa Verlag

Il m’a appris à rendre un dessin vivant, à créer sur le papier un volume en trois dimensions avec une simple ligne. Il m’a vraiment ouvert les yeux. Dans le foot, j’avais appris l’importance de l’entraînement et de la discipline, combien il faut parfois travailler dur pour atteindre un objectif. J’ai donc beaucoup travaillé mon dessin, tous les jours, tout le temps. Ce qui fait qu’à la sortie de l’école, j’ai immédiatement trouvé un job dans une agence de publicité. Ensuite j’ai commencé à travailler pour des magazines, puis comme storyboarder pour le cinéma.

"Die Chronik der Unstenblichen" de von Kummant et von Eckartsberg d’après Wolfgang Hohlbein
Ed. Ehapa

Ce qui me fascine, c’est de pouvoir raconter des histoires avec mon dessin, mais aussi de trouver pour chaque histoire le graphisme, le ton et les harmonies qui lui conviennent. Si vous regardez mes albums, vous vous apercevrez que je change complètement mon dessin d’un album à l’autre.

Comment avez-vous réussi à vous faire publier ? Le marché allemand ne doit pas vraiment vous offrir beaucoup d’opportunités...

C’était vraiment difficile, en effet. J’ai publié mes premières pages pour le catalogue du Salon de la bande dessinée de Munich. Michel Waltz, éditeur chez Ehapa [1] les remarqua et m’offrit quelques temps plus tard d’illustrer une Vie de Johan Wolfgang Goethe pour le Goethe Institut. Cela a été ma première entrée en matière dans ce métier. J’ai dû réaliser tout l’ouvrage en quatre mois seulement, ce qui était vraiment un peu trop rapide pour que je revendique ce travail aujourd’hui.

Thommy von Kummant à Solliès-Ville en août 2013.

Plus tard, Waltz me demanda si cela m’intéressait d’adapter en BD un ouvrage de Wolfgang Hohlbein, un romancier très connu en Allemagne dans le domaine de la Fantasy. Certains le surnomment "le Stephen King allemand". Il vend énormément et écrit tout autant, ceci expliquant sans doute cela... J’ai relevé le gant après avoir lu ses ouvrages. Je voyais surgir des images en le lisant ! Un premier livre fut édité et présenté à la Foire du Livre de Francfort, ce qui m’a valu quelques propositions d’éditeurs francophones.

L’une d’entre elles m’a parue plus sympathique que les autres. Elle émanait d’un petit éditeur suisse : Pierre Paquet. Il m’avait envoyé un mail très enthousiaste et joliment tourné. Nous nous sommes rencontrés et cela a été immédiatement le coup de foudre. J’avais certes la deuxième partie de ma BD à fournir mais, comme vous l’avez dit, le marché allemand est très petit. Par voie de conséquence, ce job payait mal. L’avance entière sur l’ouvrage ne me permettait de vivre qu’un mois ou deux. C’est pourquoi j’ai mis un an et demi à le réaliser., et un tel laps de temps entre le premier et le second volume... C’est le moment où Pierre Paquet me rencontre et il a mis les moyens nécessaires à ce que je termine le deuxième ouvrage rapidement. Cela a été une expérience mitigée car, en dépit du succès de l’ouvrage et plusieurs demandes d’adaptations audiovisuelles, tout passait finalement par le créateur de l’œuvre originale.

C’est très différent pour Gung Ho que je développe avec Benjamin Von Eckartsberg. C’est l’histoire de deux ados un peu paumés. Gung Ho est un terme qui désigne une action que l’on fait sans penser à rien, sans penser tout court. Ce genre de chose que vous faites en réalisant, après coup, que vous auriez mieux fait de ne pas le faire. L’action se passe quelque part dans le futur, on ne sait trop où, et d’ailleurs cela n’a pas d’importance. Nous sommes dans un petit village entouré de murs. L’environnement est tellement dangereux que tout le monde est appelé à respecter scrupuleusement les règles de sécurité. Ce qui est particulièrement gonflant pour nos deux teenagers... Cela courra sur cinq volumes de 90 pages.

Gung Ho T1 - Par Benjamin von Eckartsberg & Thomy von Kummant
(c) Paquet

Vous travaillez essentiellement à la tablette graphique.

Effectivement. J’adore travailler la couleur à la gouache ou à l’acrylique mais cela va bien plus vite à la tablette graphique.

Votre style de dessin est un mix des tendances internationales : BD, manga, comics, avec l’apprêt du dessin de mode...

Vous pensez cela ? OK, ça me va. Toutes ces influences sont conjointes. Aucune n’est supérieure à l’autre. Enfant, je n’étais pas un grand lecteur de bandes dessinées. J’ai dû lire Donald Duck et Astérix comme tout le monde, mais c’est à peu près tout. Rappelez-vous : ma passion, c’était le foot avant tout. Mon influence graphique vient plutôt des grand films d’animation, japonais, américains ou français, Miyazaki, Pixar, Chomet..., et les grands peintres. Je suis un artiste, je prends tout ce que je peux pour réaliser mes histoires, dans un style de dessin et une manière de raconter qui me soient propres.

Gung Ho T1 - Par Benjamin von Eckartsberg & Thomy von Kummant
(c) Paquet

En publiant en France, vous avez découvert un marché très différent de clui de l’Allemagne...

Ma première séance de dédicace se déroulait à Bruxelles. Quelqu’un m’a parlé du musée de la BD qui s’y trouvait [Le Centre belge de la BD. NDLR]. Hein ? Quoi ? Un musée de la BD ?!? J’y ai découvert des réalisations incroyables, ainsi que des travaux d’élèves qui sortaient d’écoles de bande dessinée. Je voyais des gens discuter du trait du dessin, évoquer des références savantes sur la BD... Je n’en revenais pas ! En Allemagne, la bande dessinée est une telle sous-culture qu’elle ne s’enseigne pas. C’est comme si je venais d’entrer au Paradis ! Cela dit, dans le même temps, je prenais conscience de la concurrence, de la qualité des artistes avec lesquels je devais rivaliser. Mais c’est un challenge passionnant !

Gung Ho T1 - Par Benjamin von Eckartsberg & Thomy von Kummant
(c) Paquet

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Lire la chronique du tome 1 sur ActuaBD

Commander cet album chez Amazon ou à la FNAC

[1L’un des plus grands éditeurs de bande dessinée d’Allemagne, filiale du groupe Egmont. Cette maison édite notamment les personnages de Disney, Astérix ou Lucky Luke.

 
Participez à la discussion
1 Message :
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Agenda BD  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD