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Tintin au pays des Soviets re-re-réédité (1)

Par Patrick Albray le 20 août 1999                      Lien  
Il fut un album mythique, que s'arrachaient les collectionneurs. "Tintin au Pays des Soviets", qu'Hergé refusa de rééditer durant des décennies, fut sans doute le livre le plus recherché de toute l'histoire de la bande dessinée. Pas vraiment pour ses qualités graphiques ou narratives. Pas vraiment, non.

Il y a 70 ans, donc, le supplément "Jeunesse" du journal catholique belge "Le XXe siècle" publie les deux premières pages qui va entraîner un nouveau personnage au pays de toutes les terreurs.

"Le Petit XXe", toujuors désireux de satisfaire ses lecteurs et de les tenir au courant de ce qui se passe à l’étranger, vient d’envoyer en Russie soviétique un de ses meilleurs reporters :
Tintin !
Ce sont ses multiples avatars que vous verrez défiler sous vos yeux chaque semaine."

L’écriture est malhabile. Comme l’est le dessin. Personne ne pourrait imaginer que le petit reporter aux traits grotesques, habillé d’un costume à larges carreaux qui rétréciront deux pages plus loin deviendra le phare de la bande dessinée européenne.

 C’est le patron d’Hergé, alors homme à tout faire du journal, l’abbé Wallez, plus catholique que le Pape comme on dit en Belgique, qui lui a demandé ce "reportage". Il espère ainsi montrer à la jeunesse belge combien le communisme, le péril rouge, constitue un immense danger. Il lui passe "Moscou sans voiles", le témoignage d’un diplomate qui ne fait pas vraiment dans la dentelle sur les exactions des bolcheviques. Hergé y puise des séquences entières, qui ne laissent aucun doute sur le comportement diabolique de ces sauvages.

Le jeune public accroche. Au fil de l’histoire, le dessin prend de l’assurance. Le récit, lui, se contente de multiplier des anecdotes, sans véritable fil rouge, en prenant garde à amener un suspense toutes les deux pages. C’est que le récit est publié à raison de deux planches hebdomadaires et qu’il faut que les lecteurs soient suffisamment appâtés pour acheter le numéro suivant. Hergé a une semaine pour tenter de trouver un moyen de sortir Tintin de la situation rocambolesque dans laquelle il l’a plongé. Cela fonctionne.
138 pages - et donc 69 semaines - plus tard, Tintin revient à la gare du Nord de Bruxelles. Quelques centaines d’enfants l’attendent.
Tintin est devenu réalité. Le succès est au rendez-vous. Hergé va prodigieusement bien le gérer et faire de son petit personnage le phénomène que l’on connaît depuis.

"On ne le rééditera jamais !"

Jusqu’en 1974, c’était clair. Cet album était trop atypique par rapport à l’oeuvre d’Hergé. Trop malhabile. Trop naïf. Trop primaire. Toutes les raisons étaient bonnes pour ne pas le rééditer.
La seule façon de se le procurer était d’attendre une vente aux enchères où de rares exemplaires étaient vendus à des prix prohibitifs.

 Pourquoi cette rareté ? C’est que l’album n’avait connu qu’une seule édition. Une seule, de dix mille exemplaires seulement, en 1930. Dont 500 exemplaires encore plus rares. Les 500 premiers, qui avaient été numérotés.

En 1934, Casterman reprend les droits d’édition du personnage. Il réédite les albums parus jusque là. Sauf les "Soviets". Des films ont été abîmés, d’autres manquent déjà. L’affaire est remise à plus tard.
Durant la guerre, Hergé s’attelle avec Edgar-Pierre Jacobs au remaniement des albums noir et blanc, qu’il remonte entièrement pour réduire le nombre de pages afin de permettre leur édition en couleurs. Sauf les "Soviets".

En 1969, pourtant, les Studios Hergé éditent, en cadeau pour les relations de l’auteur, un tirage numéroté et limité à 500 exemplaires seulement. Le grand public doit encore attendre. Plus très longtemps.

Si l’éditeur n’est pas très chaud pour rééditer un album aussi naïvement anti-communiste (on disait "primaire"), Hergé, lui, insiste.
Casterman refuse. Mai 68 n’est pas loin et un scandale est très possible.
Les pirates, eux, en profitent. Sous forme de cahiers photocopiés, mal imprimés, les exemplaires se vendent sous le manteau. Mais des éditions pirates sont plus professionnelles. C’est ce qui décide finalement Casterman.

En 1973, le premier et gros volume des "Archives Hergé" paraît. Il reprend les premières oeuvres d’Hergé : Totor et les trois premiers Tintin. Les Soviets y figurent. Avec, même, une planche qui avait disparu dans l’édition originale. On se l’arrache : 45.000 exemplaires la première année. 175.000 depuis lors (il s’en vend 1.200 exemplaires chaque année, selon "Livres Hebdo").

Mais ce n’est toujours pas l’album tel que les collectionneurs le recherchent. Celui-là, on le trouve en fac-similé parfait chez les pirates (800 exemplaires, dont 400 cousus).

 C’est, sans doute, ce qui pousse finalement Casterman à faire de même.
En 1981, paraît un magnifique fac-similé, cousu, de l’édition originale. Y manque la même planche que dans le tout premier album (entres les pages 98 et 99). Tiré initialement à 5.000 exemplaires, il s’en vend 85.000 la première année. Un demi-million ont été vendus.
L’édition des 70 ans, si elle n’a rien d’un fac-similé, sera tirée à autant d’exemplaires.

(par Patrick Albray)

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