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Tito Topin : « Navarro aurait pu être un flic de BD »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 octobre 2005                      Lien  
Tito Topin est un nom devenu quasi inconnu pour les lecteurs de BD aujourd'hui. Deux bandes dessinées sur scénario de Jean Yanne chez Casterman à la fin des années soixante, une courte collaboration avec Rochette et une autre avec Loustal, et c'est tout. Ce n'est pas ce qu'on peut appeler une notoriété. Pourtant, à la télé, c'est une célébrité : C'est lui qui a créé le personnage de Navarro joué par Roger Hanin.

À l’occasion de la parution de son livre de souvenirs, Le Système Navarro, nous lui avons demandé d’évoquer sa (courte) carrière d’auteur de BD.

À Monaco, vous avez retrouvé Gérard Lauzier dans le jury du Prix de la Meilleure BD adaptable au Cinéma ou à la Télévision. Car vous vous connaissiez...

J’ai rencontré Gérard Lauzier à Rio de Janeiro alors que tous deux nous arrivions au Brésil pour y faire notre vie. Nous avions le même âge, les mêmes ambitions, mais notre rencontre a été brève. Il est parti vers le nord, à Bahia. Je suis parti à Sao Paulo. À Monaco, nous avons surtout évoqué nos amis communs qui, tous, ont quitté le Brésil depuis.

Tito Topin : « Navarro aurait pu être un flic de BD »
Le jury de Monaco 2005
Face à Tito Topin, de gauche à droite, David Foenkinos, Jean van Hamme, Gérard Lauzier, Olivier Dahan (de dos). Photo : D. Pasamonik.

Vous aviez en commun d’avoir fait l’un et l’autre du cinéma et... de la bande dessinée, car vos débuts dans le scénario passent par la case BD, si l’on peut dire.

C’est la BD qui m’a permis de connaître les techniques du cinéma. À peine arrivé en France, j’ai eu l’occasion de dessiner ce que nous appelions des posters à l’époque et qui étaient très à la mode. Posters de Johnny, de Françoise Hardy, de Polnareff, etc. Très vite, j’ai été sollicité par un mensuel, Formidable, le pendant bien pensant (La Bonne Presse) de Salut les Copains. On m’a confié deux pages pour une bande dessinée que j’avais intitulée Sandra la Noctophile. Peu importe le contenu, il n’était que le prétexte à une nouvelle forme d’expression, entre le pop’art et le psychédélisme. Il y a eu pas mal de produits dérivés tirés de "Sandra", notamment des tissus imprimés par Pierre d’Alby, un nom connu dans le prêt-à-porter des années 70. C’est dans ce contexte que les éditions Casterman, qui avaient compris l’intérêt de la BD pour adultes, nous ont réunis Jean Yanne et moi, pour une série d’albums. Cette rencontre naissait d’un malentendu. Je venais de la presse catho, Yanne était une vedette sur RTL, radio plutôt conservatrice.

Tito Topin & Jean Yanne
Photo : DR
La Langouste
de Tito Topin & Jean yanne (1969)

Nous avons créé pour Casterman Les Dossiers du BIDE, avec un contrat pour quatre albums. Le premier, La Langouste ne passera pas a été un formidable succès avec un premier tirage de 100.000 exemplaires et un retirage de 50.000. Mais quand le second album est sorti Voyage au centre de la c..., les rapports entre Jean Yanne et Louis Gérard, directeur de Casterman France, s’étaient dégradés au plus haut point. Je dois dire que Yanne a été injuste dans cette affaire, mais les constantes pressions exercées par Robert-Louis Casterman pour supprimer le côté bouffeur de curés de Yanne avaient exaspéré ce dernier. Il faut dire que parmi ses têtes de Turc à l’époque, il y avait Teilhard de Chardin, et ça déplaisait fortement à Tournai. Le Voyage au centre de la c... est sorti avec un tirage de 10.000 exemplaires, sans aucune promotion, et d’un commun accord les deux albums suivants prévus par le contrat ont été abandonnés.

Tito Topin et Hergé
Tous deux publiés chez Casterman...Photo : DR

Vous dites, je vous cite : « Dessiner ces albums a été pour moi le travail le plus dur de mon existence, un boulot de moine moyenâgeux auquel j’ai consacré une année de ma vie. J’ai été récompensé, des milliers d’exemplaires vendus, mais aucun succès ne vaut un tel bagne. Plutôt voler son prochain ! »

Prépubliée dans Télé 7 jours
La Langouste avait fait sensation

J’ai écrit ça sur mon site internet, en effet. C’est la stricte vérité. Je venais de la publicité où le travail en groupe était la règle, et « plancher » seul dans mon coin ne convenait pas à mon tempérament de l’époque, une époque particulièrement vivante et brouillonne où les idées fusaient de partout. J’avais 36 ans, j’étais en France depuis deux ans, j’avais soif de rencontres (de toutes sortes, y compris nocturnes) et j’avais un sentiment de frustration dans cette sorte d’isolement, j’avais l’impression de rater plein de choses. Une autre raison que j’ose à peine exprimer, est que je ne suis pas fait pour cette forme de narration. Mon dessin est imparfait et s’il pouvait faire illusion sur des projets courts, tels qu’une illustration ou une campagne de publicité par exemple, il montrait ses failles sur la longueur. Je ne dis pas que je n’aurais pas pu faire carrière dans la BD en insistant, mais il m’aurait fallu trouver la forme d’expression en adéquation avec mon savoir-faire et ce n’était pas le cas dans La Langouste ne passera pas.

La Langouste ne Passera Pas (1969)
de Jean yanne et Tito Topin. Editions Casterman.

Votre carrière dans le cinéma est passionnante...

Quand Jean Yanne s’est mis à réaliser ses propres films et qu’il a fait appel à moi pour le graphisme, le générique de fin, et l’affiche de Tout Le Monde il est beau, tout le monde il est gentil, je me suis senti libéré, parfaitement à mon aise. Je retrouvais le foisonnement des idées, une équipe, le travail dans l’urgence, etc. J’ai adoré participer à ce film, j’ai compris ce qu’était un scénario, un tournage, le montage, la musique, tout ce qui fait un film. J’étais proche de Gérard Sire, l’auteur du scénario, de Michel Magne, le musicien du film, des comédiens, c’était excitant. Les décisions se prenaient souvent en boîte de nuit, sur le coup de quatre heures du matin, c’est-à-dire à l’heure où toutes les idées sont bonnes. C’est le lendemain qu’elles apparaissent le plus souvent d’une grande platitude, mais on pouvait toujours rebondir dessus, les perfectionner à l’infini. Cette période de travail en commun avec Jean Yanne et Jean-Pierre Rassam, l’autre producteur de Cinéquanon (leur maison de production) a été féconde, j’ai tout appris du cinéma mais je restais dans ma fonction de graphiste. Avec eux, j’ai créé une société, Cinéquanon Studios, et je m’occupais de toutes les sorties de films, depuis le matériel destiné à la presse, les photos de plateau, les annonces pour la presse, les grands panneaux en bois peint destinés aux façades de cinéma (les panneaux normalisés avec des affiches de 120x160 n’existaient pas encore), les génériques, les affiches, etc. C’est beaucoup plus tard que j’ai cessé de dessiner pour me mettre à écrire. Bien après les échecs et la vente de Cinéquanon.

C’est à ce moment qu’arrive Navarro...

Roger Hanin
est le Navarro de Tito. Photo : TF1

Oui. Après la débâcle de Cinequanon, je n’ai pas eu la volonté de travailler pour d’autres producteurs, d’autres équipes, j’étais trop malheureux. J’ai pris la décision de quitter Paris et me suis retrouvé en Provence, c’est-à-dire là où j’avais le moins de chance d’exercer mon métier, sauf à dessiner des étiquettes pour les bouteilles de Côtes du Rhône. J’ai acheté une magnifique presse à un Américain, deux tonnes de fonte, et j’ai fait de la gravure sur bois. Pendant deux ans, j’ai dirigé des stages d’une semaine où j’apprenais la technique de la xylographie puisque c’est comme ça que ça s’appelle, même si le matériau aujourd’hui est davantage du lino que du bois. Seulement, les stages étaient surtout l’été. Le reste du temps, c’était l’inaction. C’est alors que j’ai pris une machine à écrire et que j’ai écrit mon premier roman. La Série Noire l’a édité. Et le second. Et le troisième. Et un beau jour, un producteur m’a demandé un scénario pour un téléfilm. Il s’est appelé Shanghaï Skipper, avec Claude Nougaro (son premier et dernier film) et Dominique Blanc (jeune comédienne). De fil en aiguille, un producteur m’a demandé un personnage récurrent pour une série de télévision. C’est la naissance de Navarro, comme je la raconte dans Le Système Navarro, aux Editions Kubik.

Est-ce que l’on peut dire que l’on peut dire qu’il y a un côté BD dans Navarro ?

Oui. C’est la récurrence qui fait cela. Navarro n’aurait pas été à la télévision, il aurait pu être un flic de BD, ça c’est sûr.

On en retrouve les caractéristiques : les personnages sont typés, ils constituent une espèce de famille...

Oui, parce que le héros récurrent, que ce soit dans la BD ou à la télévision, est toujours un petit peu fade. Car il ne peut rien lui arriver : si on le plonge dans l’eau glacée, il ne s’enrhume pas. Ce sont tous les personnages autour de lui qui sont intéressants, les guests. La Castafiore ou le capitaine Haddock sont plus intéressants que Tintin. Dans les personnages que j’ai « dessinés », en quelque sorte, autour de Navarro, il y en a un qui est un petit peu facho, parce qu’il exprime une violence que Navarro n’exprime pas, un autre qui est un peu introverti avec une maman envahissante, etc. C’est le côté féminin qu’on aime bien chez lui et que Roger Hanin ne peut pas exprimer. Le troisième est une légaliste car Navarro a tendance à franchir la ligne jaune de temps en temps pour ses affaires... Voilà comment se construit effectivement, soit une BD, soit une série télévisée.

On a pu dire de Navarro que c’était « ringard ». Cela vous fait réagir ?

On ne me l’a jamais dit en face. Qu’on le dise dans mon dos, je le conçois très bien. C’est lié au fait que c’est la première série télévisée française à évincer des écrans français toutes les séries américaines qui à l’époque prévalaient, de Starky & Hutch, à Kojak, à Colombo... Navarro a fait son travail. Aujourd’hui, il y a d’autres séries qui sont sans doute plus péchues, plus énergiques. Mais c’est la loi du genre, c’est comme cela, et c’est tant mieux.

Le Système Navarro

Aujourd’hui, la série se termine pour vous et vous publiez un ouvrage intitulé "Le système Navarro". Ce sont des souvenirs ?

Les films de télévision sont volatiles. Une fois diffusés, il n’en reste rien, pas même une affiche (à la différence des films de cinéma). Avec Le système Navarro, j’ai voulu mettre sur papier cette magnifique aventure qui a été la mienne pendant plus de quinze années et témoigner de ma reconnaissance pour les grands bonhommes que j’ai côtoyés et qui m’ont tout appris alors que je croyais tout savoir.

Et puis, il y a ces romans "Mademoiselle Navarro" qui paraissent chez J’ai Lu...

C’est une autre façon de perpétuer le personnage, de le faire exister au-delà de l’écran qui l’a vu naître. Par dérision, Cami avait écrit Le fils des Trois Mousquetaires (je vous le recommande vivement), et Mlle Navarro, en devenant une héroïne de romans populaires, me donne en quelque sorte mon Vingt ans après.

La BD, c’est fini alors ?

J’ai fait il n’y a pas si longtemps un album avec Jean-Marc Rochette et un autre avec Loustal. Des scénarios, j’en ai plein les tiroirs...

A Tes Souhaits
avec Rochette chez Futuropolis.

Le troisième album que nous avions prévu avec Jean Yanne, par exemple, était l’histoire de notre planète saturée par des milliards d’hommes qui l’habitent. Plus question de faire des guerres pour réguler les naissances en envoyant les hommes au casse-pipe : c’est trop coûteux, bien que sérieusement envisagé par des économistes de renom. Un scientifique fait alors une trouvaille, une molécule qui, ingérée par l’homme le fait rétrécir de moitié. Un deux-pièces devient aussitôt un grand appartement qui peut supporter une mezzanine, une autoroute à trois voies peut en contenir six sans aucun frais, les voitures devenues plus petites consomment moins, le riz qui n’arrivait pas à nourrir les populations devient excédentaire, etc. Oui, mais comment obliger les hommes à ingérer cette molécule ? Un autre scientifique perfectionne la création du premier en rendant soluble la molécule. Elle sera, à une date donnée, à la même heure sur toute la planète, dissoute dans l’eau potable. À leur corps défendant, les hommes seront réduits de moitié. Oui, mais voilà, il y a un type à Belleville qui n’a jamais bu d’eau de sa vie, un vagabond SDF. Il va devenir le maître du monde et le poivrot lui donnera une leçon de sagesse. Ce n’est pas très "politiquement correct", mais c’est du Yanne.

V comme Engeance
avec Loustal

Une autre histoire d’eau, c’est « La piste des Garamantes ». Ca se passe dans un avenir proche. L’eau potable est entre les mains d’un seul homme. Il a le monopole mondial du dessalement des eaux de mer mais son coût est si élevé que les peuples les plus pauvres n’ont plus les moyens de se la payer. C’est là que notre héros (un géologue) part à la recherche d’une nappe d’eau pure qui part du désert égyptien et libyen pour atteindre les rives de la Méditerranée et du Sahara Occidental. Du temps où le Sahara était fertile, à la suite d’un dérèglement climatique, il avait été recouvert par le sable, et l’eau s’est infiltrée pour éviter l’évaporation. Cette eau est toujours là. La retrouver ruinerait notre prédateur, et celui-ci va tout faire pour éliminer notre héros mais il se trouve que la fille du prédateur en est amoureuse...

Et puis, il y a des scénarios policiers, bien entendu. Plein les tiroirs.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Propos recueillis par Didier Pasamonik le 9 octobre 2005.
En médaillon : Tito Topin. Photo : D. Pasamonik.

 
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1 Message :
  • 2 remarques :
    - le directeur des Editions Casterman s’appelait Louis-Robert Casterman, fils de Louis Casterman (et non pas Robert-Louis)

    - si mes souvenirs sont exacts, le titre du deuxième album de Topin et Yanne était "Voyage au centre de la culture". Pourquoi ce c.... dans tout l’article ?

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