Deux ans après sa mort, les éditions Dupuis publient "Yvan Delporte Réacteur en chef", une biographie évènement qui explore toutes les facettes du natif de Saint-Gilles et met un joli coup de projecteur sur son parcours.
Il aura fallu quatre ans d’un travail de fourmi à Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault pour achever ce pavé de 328 pages abondamment illustré. Des dizaines de rencontres pour parvenir à cerner le personnage fantasque qu’était Yvan Delporte. Le résultat est un superbe ouvrage qui retrace, en filigrane, 60 ans des éditions Dupuis. Une biographie qui a la bonne idée de s’effacer derrière la parole des témoins (recueillie à 90% par les auteurs), égrenant les citations, les faisant parfois se répondre ou se contredire, même à de nombreuses années d’intervalle. Une sorte de conversation virtuelle entre Yvan Delporte, bien sûr, qui se confie du mieux qu’il peut, lui qui n’était pas très bavard sur sa personne, et ceux qui l’ont connu et côtoyé, au premier rang desquels son ex-compagne Christiane Loeman, sa fille Yaël, Maurice Rosy et Frédéric Jannin. En tout, ce sont plus de 80 intervenants qui évoquent leurs souvenirs comme dans une belle soirée entre amis que Delporte affectionnait tant. Et l’on se prend à regretter que les copains disparus (Franquin, Peyo, Morris ou Will) n’aient pu ajouter quelques pensées plus personnelles aux réflexions toujours un peu convenues des anciennes interviews dans lesquelles les auteurs ont puisé.
Parfaitement documenté, la biographie est une mine d’or d’anecdotes et d’informations, notamment sur la jeunesse d’Yvan Delporte, où Saint-Germain-des-Prés s’invitait dans un grenier de Charleroi (saviez-vous qu’à cette époque, il s’était lié d’amitié avec la chanteuse Barbara ?). Ses treize années à diriger le journal Spirou, l’épisode du Trombone Illustré, les Schtroumpfs chez Hanna et Barbera, les Tifous, le Boys’ Band (dessinée), tout et bien plus est passé minutieusement en revue.
L’un des grands mérites de cet ouvrage est d’éviter l’hagiographie en n’esquivant pas les témoignages qui égratignent la légende. Les ressentiments, les déceptions et les critiques transparaissent ainsi de temps en temps. Les avis de Thierry Martens, qui succéda à Yvan Delporte comme rédacteur en chef du journal Spirou, de Raoul Cauvin et parfois de F’murr sont par exemple teintés d’une certaine amertume à son encontre. Cela donne un portrait contrasté qui n’en a que plus d’épaisseur et d’authenticité.
L’autre réussite de cette biographie est l’iconographie remarquable qui illustre les 328 pages. Les collections personnelles et les archives de Dupuis ont été mises à contribution pour que des photos de toute beauté sortent des cartons. L’immersion dans chaque époque de la vie de Delporte est d’autant plus saisissante, et souvent émouvante. Le dialogue entre les images et les textes est d’ailleurs très adroit et participe à la qualité générale de l’ouvrage. Le seul regret que l’on peut avoir est son prix (65 euros) qui est assez prohibitif, même pour un livre de ce format.
Alors, que retenir de la vie d’Yvan Delporte ? Un homme complexe, pas toujours facile d’accès qui, s’il a bénéficié de la présence au journal Spirou d’auteurs hors du commun, a su les aiguillonner pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Un fantaisiste qui a passé sa vie à s’amuser et à faire briller les autres. Un auteur qui savait reprendre les idées au bond et les développer avec une énergie considérable. En tout cas, un "personnage" au cœur de l’histoire de la bande dessinée, maintes fois caricaturé par ses amis dessinateurs, auquel le présent ouvrage rend un vibrant et très réussi hommage.
(par Thierry Lemaire)
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