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Toinettexploitation ! Marie-Antoinette, reine de la BD

Par Paul CHOPELIN le 17 octobre 2019                      Lien  
L’ouverture le 16 octobre dernier de l’exposition « Marie-Antoinette, métamorphoses d’une image » à la Conciergerie à Paris, nous donne l’occasion de revenir sur l’importance de cette figure historique dans la BD contemporaine. Qu’elle tweete frénétiquement ou combatte des zombies, la reine de France n’a pas fini de nous surprendre !

Marie-Antoinette fait timidement ses débuts en BD dans les revues de jeunesse du début du XXe siècle. Elle y apparaît comme une figure ambivalente, forgée par l’imagerie historique du siècle précédent. Si elle est quelque fois dépeinte comme une reine aimée et aimante, elle reste souvent « l’Autrichienne », une étrangère manipulatrice, au service des ennemis de la France.

Toinettexploitation ! Marie-Antoinette, reine de la BD
"Louis XVI et Marie-Antoinette", Les Belles images, n° 509, 15 janvier 1914, p. 7.

Dans les années 1950-1970, Marie-Antoinette est avant tout un modèle édifiant d’épouse et de mère courageuse pour les lectrices des revues illustrées pour jeunes filles : « Marie-Antoinette, reine et martyre », de l’espagnol Jaime Juez dans l’hebdomadaire Mireille (1955-1956), « Marie-Antoinette, reine de France » par Guy Hempay et Pierre Brochard dans J2 Magazine (1966), « Marie-Antoinette, la dernière reine », de Monique Amiel et Noël Gloesner dans Djin (1979). Tous ces auteurs insistent sur la grandeur de la reine face à ses juges et sur sa dignité en montant sur l’échafaud. L’influence du film Marie-Antoinette reine de France de Jean Delannoy (1955) est ici évidente.

Noël Gloesner et Monique Amiel, "Marie-Antoinette, la dernière reine", Djin, 1979, rééd. Editions du Triomphe, 2009, p. 69.

C’est au Japon que la figure de Marie-Antoinette acquiert enfin son autonomie graphique et scénaristique au sein du du 9e art. De 1972 à 1973, dans la série La Rose de Versailles, la mangaka Riyoko Ikeda s’inspire de la biographie de Marie-Antoinette écrite par Stephan Zweig pour élaborer un récit mêlant intrigues politiques et amoureuses à la cour de France à la veille de la Révolution.

Environnée de fleurs, la Marie-Antoinette d’Ikeda devient un symbole du renouveau graphique du shōjo manga, influencé notamment par le psychédélisme, mais aussi une figure incontournable de la pop culture japonaise, objet de multiples adaptations jusqu’à nos jours [1].

Riyoko Ikeda, La Rose de Versailles, Kana, 2011 (1ère éd. 1972).

À l’époque du Bicentenaire (1989), Marie-Antoinette ne manque pas d’apparaître dans le flot de BD franco-belges consacrées à la Révolution française. Retour de balancier, c’est la légende noire qui l’emporte cette fois. Elle est à nouveau « l’Autrichienne », intrigante et manipulatrice dans La Révolution française scénarisée par Patrick Cothias (Vents d’Ouest, 1987-1989), quand elle n’est pas au contraire une jeune écervelée manipulée par son entourage dans Les Souvenirs de la pendule du même Patrick Cothias (Glénat, 1989-1990, dessin de Norma) [2].

Cothias, Rodrigue et Vruble, La Révolution française. Tome 4. Le grand charivari, Vents d’Ouest, 1989, p. 4.

Les années 2000 sont celles de la « toinettomania », dans le sillage du film Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006). En 2009, les éditions du Triomphe rééditent en album la série du tandem Amiel-Gloesner. En 2010, dans une veine très « coppolesque », avec son titre et sa quatrième de couverture rose bonbon, Françoise-Sylvie Pauly et Pascal Croc proposent une Marie-Antoinette sweet Lolita (Emmanuel Proust). Les auteurs mobilisent le thème du fantôme de la reine, revenant hanter les vivants, que l’on retrouve dans le mélancolique Marie-Antoinette, la reine fantôme de Rodolphe et Annie Goetzinger (2013), qui fait l’objet d’une traduction anglaise en 2016. Les Adieux à la reine, le très beau film de Benoît Jacquot (2011), adapté du roman de Chantal Thomas, achève alors de consacrer la popularité de Marie-Antoinette, qui accède même pour l’occasion au statut d’icône gay [3].

Rodolphe et Annie Goetzinger, Marie-Antoinette, la reine fantôme, Dargaud, 2013, ici version anglaise de 2016.

Marie-Antoinette figure incontestablement, aujourd’hui, parmi les personnages historiques les plus représentés en BD. Certains auteurs reprennent le récit classique qui oppose les années heureuses à la Cour de Versailles aux années tragiques de la Révolution.

Noël Simsolo a ainsi scénarisé des Mémoires de Marie-Antoinette (2017-2018), un diptyque organisé autour de l’habituelle césure de 1789. Si le dessin d’Isa Python, magnifié par les couleurs de Scarlett Smulkovski, renouvelle le traitement graphique du sujet, l’histoire ne diffère finalement guère des biographies parues dans les années 1960-1970.

En 2013, Glénat s’associe avec le château de Versailles pour publier Versailles. L’Ombre de Marie-Antoinette d’Éric Adam, Didier Convard et Éric Liberge, avant de commander en 2016 à la mangaka Fuyumi Soryo, auteure remarquée de la série Cesare, un Marie Antoinette, la jeunesse d’une reine, qui évoque les années d’apprentissage de la princesse à la Cour de France. Le dessin est somptueux, mais l’ensemble s’avère beaucoup trop lisse et formaté, ne renouvelant finalement guère l’iconographie de la reine.

Simsolo et Python, Mémoires de Marie-Antoinette. Tome 2. La Révolution, Glénat, 2018, p. 68 ;

2019 a été l’année du grand retour en France de Riyoko Ikeda, avec la parution d’un volume inédit de La Rose de Versailles. Devant l’engouement persistant pour cette œuvre iconique, l’éditeur Shūeisha a demandé à l’auteure de reprendre la plume à l’occasion des 40 ans du magazine Margaret, pour une série de nouvelles histoires, destinées à creuser les origines des personnages et leur devenir après la mort d’Oscar de Jarjayes, l’héroïne de la série. Quatre nouveaux volumes sont ainsi sortis au Japon entre 2014 et 2018, avant d’être traduits et publiés en un seul volume chez Kana en 2019. L’un des récits met en scène de façon spectaculaire les derniers jours de la reine, avec des effets mélodramatiques poussés à l’extrême. La mort de Marie-Antoinette fait ainsi écho à celle d’Oscar : son souvenir restera gravé dans les cœurs pour l’éternité.

Riyoko Ikeda, La Rose de Versailles, Kana, tome 4, 2019.

En réaction à ce sentimentalisme débridé, Shin’Ishi Sakamoto se livre à une entreprise de démolition méthodique de l’univers de La Rose de Versailles dans sa série Innocent (2015-2019, en cours), consacrée à la vie du bourreau Charles-Henri Sanson. Reprenant à nouveaux frais le genre du ero-guro, l’érotique grotesque et macabre, le mangaka a composé une symphonie baroque unique en son genre. L’image de Marie-Antoinette en lolita sucrée est poussée ici à son paroxysme, jusqu’à l’écœurement, comme symbole des vices de la Cour de France, opposés aux corps souffrants, démembrés et éviscérés des malheureux condamnés livrés au bourreau. Faisant écho aux fameuses baskets de la Marie-Antoinette de Sofia Coppola, Shin’Ichi Sakamoto n’hésite pas à doter la reine d’un compte twitter très actif. Il y a fort à parier que le traitement à venir du procès et de l’exécution de la princesse déchue donnera lieu à quelques scènes spectaculaires.

Le très sensuel film de Benoît Jacquot a ouvert la voie à un retour de la figure de Marie-Antoinette nymphomane, chère aux pamphlétaires des années 1780. C’est ainsi qu’Yves Plateau, sous le pseudonyme de Pylate, publie en 2018, chez Tapages nocturnes, Les Plaisirs d’une reine, la première BD érotique dont Marie-Antoinette est l’héroïne. Aux prises avec de sensuelles favorites et de vigoureux officiers des gardes du corps au temps des belles années versaillaises, elle finit par subir bien malgré elle les assauts des sans-culottes sous la Révolution...

Dans la série Le 3e Gédéon, dont le dernier volume est paru en 2019, Taro Nogizaka dépeint de son côté une Marie-Antoinette volontiers exhibitionniste, qui n’hésite pas à se servir de son corps plantureux pour manipuler les hommes dont elle a besoin pour défendre sa famille.

Taro Nogizaka, Le 3e Gédéon, t. 8, Glénat, 2019.

Il ne manquait plus que des zombies pour achever d’inscrire Marie-Antoinette dans le paysage fictionnel contemporain. C’est chose faite dans le Versailles of the Dead de Kumiko Suekane (2019), qui, dès les premières pages, voit la reine succomber à une attaque de morts-vivants. Elle est remplacée par son frère jumeau, l’archiduc Albert, qui, travesti sur ordre de Louis XV, finit par épouser le futur Louis XVI pour éviter une rupture diplomatique avec l’Autriche... Dans le dernier tome de la série, Hungry Marie de Ryuhei Tamura, également paru cette année, Marie-Antoinette fait irruption dans le Tokyo d’aujourd’hui, à la tête d’une armée de royalistes zombies bien peu engageants.

Ryuhei Tamura, Hungry Marie, t. 4, Kazé, 2019.

À côté de cela, l’uchronie proposée par Fred Duval et Jean-Pierre Pécau dans La Nuit des Tuileries (dessin de Florent Calvez, Delcourt, 2012) parait bien fade. Le 10 juin 1791, la famille royale réussit à s’enfuir des Tuileries en ballon et échappe à une foule de sans-culottes déchaînés. Malheureusement Louis XVI, blessé, meurt en cours de route et Marie-Antoinette devient régente du royaume en exil. Grâce à l’aide du général Bonaparte, son amant, elle reconquiert la France et place son fils Louis XVII sur le trône de ses aïeux.

Duval, Pécau et Calvez, La nuit des Tuileries, Delcourt, coll. Jour J, 2012.

La « Toinettexploitation » a-t-elle aujourd’hui atteint ses limites dans le 9e art ? Sans doute pas. Mais des auteurs affichent leur volonté de se débarrasser de cet encombrant personnage. Dans le premier volume de leur remarquable et remarquée série Révolution, Florent Grouazel et Younn Locard ont délibérément fait le choix de ne pas faire apparaître la reine, pour donner à voir une Révolution française à hauteur d’hommes et de femmes « ordinaires ». Une absence qui fait du bien, dans une série qui entend justement rompre avec les habitudes graphiques qui caractérisent la représentation de cette période en BD.

Voir en ligne : Site de l’exposition "Marie-Antoinette, métamorphoses d’une image"

(par Paul CHOPELIN)

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Lire sur ActuaBD : Catherine Pégard (Directrice du Château de Versailles) : "Versailles, comme la BD, permet de s’évader dans des mondes imaginaires."

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[1Voir la contribution de Cyril Triolaire dans le catalogue de l’exposition Marie-Antoinette, Métamorphoses d’une image, Éditions du Patrimoine, 2019.

[2Paul Chopelin et Tristan Martine, De poudre et de dentelles. Le Siècle des Lumières en bande dessinée, Karthala, 2013.

[3Dans le film, la reine entretient des relation saphiques plus ou moins explicites avec ses favorites et ses suivantes, tandis que l’actrice Diane Krüger, revêtue de son costume de Marie-Antoinette, pose lascivement appuyée sur le torse d’un homme nu en couverture du numéro d’avril 2012 du magazine Têtu.

✏️ Pylate
 
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