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Tombeau pour des Invisibles

Par Vincent GAUTHIER le 19 septembre 2014                      Lien  
Voler, quel enfant n'en a jamais rêvé? Ce rêve est devenu réalité pour le jeune Hubert Lessac. Mais du rêve au cauchemar, il n'y a qu'un pas en 1917.

Depuis quelques années déjà, les pays d’Europe cherchent un moyen de s’écharper. En France, des écoles aux cours de fermes, on élève un monument à la revanche et à la destruction du « boche ». Et ça y est, l’heure a sonné, 3 août 1914, la première grande folie meurtrière autorisée du nouveau siècle peut débuter. Gueules cassées, poilus... Ils étaient fermiers, ouvriers ou bagnards et dans les tranchées, soldats, rien ne les différenciaient à part l’heure d’une mort approchante et certaine. Balles, bombes, gaz, tout les moyens sont bons pour produire de la chair à canon.

Cette guerre qui a enterré tant de soldats inconnus, père de, fils de ou frère de, fut l’expérience traumatisante de plusieurs décennies. Elle fut traversée par des héros anonymes et ordinaires, par des lâches, par des traîtres, par tout ce que l’humanité peut compter de violences, d’angoisses, de périls mais également par des moments de solidarité entre ces invisibles, à la fois bourreaux et victimes.

Tombeau pour des Invisibles
La Patrouille des Invisibles
Olivier Supiot - Glénat ©


Dix-neuf victoires, aucune défaite, Hubert Lessac est un as. Jeune homme à la vie facile, il a tout pour lui, l’argent, les femmes, et même l’Amour. Son rêve : voler. Quand le clairon de la mobilisation générale retentit, il s’engage dans l’aviation au pas de charge, Ferdinand Bardamu ailé. Et maintenant, il veut mourir. Une dernière sortie suicidaire, une seule et unique défaite et le couperet de la grande faucheuse.

Abattu, blessé, il est recueilli par ses rampants qu’il ne pouvait côtoyer, lui le bien-né ; eux qui se traînent dans la boue des tranchées. De pauvres bougres, Pierrot, Milan, Titan, Paul et Souleymane qui tentent de survivre à ce cauchemar. Sa chute inéluctable le cloue au sol dans la fange, le froid, la mort. Ce sont eux, pauvres hères, qui vont le rattacher à cette vie qu’il a voulu mépriser. Ce goût de vivre porté par la vengeance, par l’amitié ou tout simplement par une dérision aussi pleine de déraison que les vestiges du monde qui les entourent.

Olivier Supiot à sa table de travail
DR


Consacré meilleur dessinateur à Angoulême pour Le Dérisoire en 2003, Olivier Supiot offre à ces vagabonds du carnage un tombeau terrible et sublime. Autour d’une quête aussi absurde que sans but se tisse les fils de la perte et de la rancune. Abandonné à leur sort, ces soldats vont fonder une communauté, illusion dérisoire réunie par les hasards de la guerre pour le meilleur et surtout pour le pire. Au-delà de la bravoure et du courage, ces hommes sont comme hors du temps, rampant à travers les ruines et les corps dans la brume éthérée d’un crépuscule sans fin.

Leur salut ne viendra pas du ciel mais de la patte qu’appose le dessinateur sur son œuvre. Sa technique sans faille assène des couleurs dantesques et magnifiques qui portent le désespoir de ces invisibles. Dans le brouillard d’ypérite, la violence du trait et l’éclat presque douloureux des couleurs condensent les destins dans une tragédie où tuer son semblable ne sera jamais un crime. Entre le bagne et la guerre, entre la guillotine sèche et la grande boucherie, faut-il mourir pour la patrie et le confort des bourgeois de Paris ?

Supiot élève une grande arche à la mémoire de ces mutins gorgés de poésie et de désespoir. Entre la puissance narratives des charniers de Tardi et la vision sublime de barbarie des couleurs d’Otto Dix, il crée son Der Krieg, portrait amer d’une hécatombe chimérique.

La Patrouille des Invisibles
Olivier Supiot - Glénat ©

(par Vincent GAUTHIER)

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La Patrouille des invisibles -Par Olivier Suppiot - Glénat

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