Lorsque sortit en 1995 le premier tome de De Cape et de crocs, on sut dès les premières pages qu’on avait à faire à une réelle nouveauté dans le monde de la bande dessinée : Chaque planche, parfaitement composée, se montrait riche en détails ; ses héros, des animaux, côtoyaient sans surprise les humains ; son humour fin se distillait au fur et à mesure des pages, et l’on ressentait toute la puissance de la référence au théâtre de la Commedia Dell’arte dans cette introduction vénitienne. Masbou et Ayroles semblaient au diapason, frappant fort, mais allaient-ils tenir le niveau ? Cela paraissait un défi insurmontable !
Et pourtant, les tomes s’enchaînent avec la même truculence, le même souci du détail que cela soit dans les planches richement illustrées ou dans les textes, souvent déclamés en vers par les divers protagonistes. Et le public ne s’y trompe pas, car les tirages atteignent les 75-80.000 exemplaires de mise en place dès la sortie.
Pour tenter de résumer l’univers foisonnant des auteurs, distinguons les deux héros de la série : Armand, le renard français, et Don Lope, le loup espagnol, qui se retrouvent dans une étrange chasse au trésor au cours de laquelle ils seront « rejoints » par un armateur cupide, son incapable de fils et son valet, ainsi que d’une bande de pirates déterminés sans compter le capitaine Mendoza dont l’âme noire ne peut que leur amener des tracas.
Heureusement, l’amour sera également de la partie, avec deux charmantes dames qui les suivront jusque dans les astres.
Un dixième tome qui s’inscrit dans l’esprit de la série
Le tome 9, Revers de fortune, avait déjà posé un premier jalon vers la fin des aventures de notre duo de duellistes. En effet, la révolution lunaire avait été éventée, mais il restait encore à savoir comment ce calme pourrait subsister en dépit de la fuite du capitaine Mendoza, ce qu’il adviendrait de l’incertitude de leurs amours, et enfin, le retour sur Terre.
On dit souvent que terminer est bien plus difficile que commencer, et il est vrai que ce dixième tome est peut-être légèrement moins bondissant et drôle que les précédents volumes. C’est d’ailleurs fort logique, car on ne peut être drôle lorsqu’on désire faire passer des sentiments forts comme la tristesse d’un amour perdu, l’âpreté d’un combat dont dépend le sort d’un astre, ou la douleur de voir tomber au champ d’honneur un personnage qu’on a suivi près de quatre cents pages. En ce sens, effectivement, ce prolongement des neuf premiers tomes est effectivement moins primesautier que les premiers de la série. Heureusement, on profite tout de même de la gouaille et des facéties habituelles des pirates.
Néanmoins, ce tome dix est d’un excellent niveau et règle réellement toutes les questions en suspens, et elles sont nombreuses après neuf volumes de rebondissements intenses. Avec sa rigueur habituelle, le dessinateur Masbou continue de nous émerveiller en proposant un dessin tonique et évocateur, toujours à la pointe (de l’épée), près de vingt ans après les premières planches.
Des amours triangulaires
Si De Cape et de crocs fait référence au guignol, c’est aussi et surtout dans le monde du théâtre que se situe la plupart des références que l’on trouve dans la série. Évitant les status quo, les amours triangulaires sont légion, relançant en permanence les intrigues. Sur un ton plus dramatique, il y a aussi la recherche du parent manquant, ou des duels à réaliser pour raisons d’honneur ou parfois presque pour le plaisir.
Qu’il soit donc question d’honneur, mais également d’amour ou de quiproquos quant à la parenté de deux protagonistes, ces thématiques sont omniprésentes dans le monde du théâtre, il est donc logique de les retrouver dans cette série. Toutefois, rarement les coups de théâtre - c’est le cas de le dire- seront venus à d’aussi bons moments dans une série en bande dessinée. Il faut, de fait, un remarquable sens de la construction pour aligner ainsi dix tomes d’affilée sans que la tension entre les personnages ne fléchisse et sans que le lecteur ne se lasse.
Les amours triangulaires, l’une des caractéristiques de De Cape et de crocs, ne sont sans doute pas pour rien dans cette réussite. Toutes les amours des deux héros se composent toujours à trois, et d’ailleurs, dès qu’un protagoniste est clairement évincé par la belle, un autre vient prendre le relais, de façon à ce que chaque relation reste en déséquilibre, maintenant l’intérêt du lecteur. Jusqu’au dernier moment, ces amours sont en balance, délicates, et on apprend enfin, dans cette conclusion, le statut amoureux d’Armand et Don Lope.
Une conclusion qui méritait encore une introduction
Une autre particularité de la série est d’avoir souvent utilisée les pages de gardes pour détailler des cartes ou des mélodies en relltion avec l’histoire en cours. Mais aussi et surtout pour proposer des morceaux de récit qui pouvaient être racontés sans qu’ils soient réellement dessinés, hormis les yeux expressifs des personnages. En effet, qu’elles soient de noir ou de brume épaisse, ces pages complémentaires se révèlent être de joyeux petits bonus qui permettent d’enrichir l’intrigue.
Pour ce dixième tome, une fois n’est pas coutume, elles sont entièrement dessinées afin de nous confirmer la fin des aventures de notre duo de canidés, en guise d’épilogue au récit, mais aussi pour annoncer un prologue à venir.
Les lecteurs connaissent les détails de la rencontre des deux protagonistes principaux grâce à une pièce en un acte délivrée le tome 4, récemment republiée en petit format indépendant. D’ailleurs, cette pièce, ainsi que d’autres, furent jouées par plusieurs troupes, faisant vivre au théâtre cette bande dessinée qui lui rend tant hommage.
Mais si cette rencontre est donc maintenant bien connue, l’histoire du lapin Eusèbe demeure un mystère. C’en devenait d’ailleurs bouffon, car à chaque fois qu’il commençait son incroyable et interminable histoire, un événement venait l’interrompre. On sait ainsi comment commence son aventure, comment il apprit à contrefaire les voix et à se déguiser auprès d’un grand comédien, on sait qu’il a un frère jumeau qui s’associa avec un sombre comparse (Fagotin le fils) et qu’ils ourdirent ensemble un complot pour faire endosser à Eusèbe la responsabilité d’un assassinat menant directement ce garde du cardinal aux galères.
Ce jeu entre les auteurs et leurs lecteurs qui consistait à chaque fois à dispenser un élément complémentaire avant de lui couper la parole devait prendre fin. Un diptyque expliquera comment Eusèbe monta à Paris et comment il rejoint le Cardinal avant de finir aux galères.
Ces deux tomes prolongeront encore un temps la richesse et la truculence de cette série hors normes, avec sans doute de nouvelles surprises à la clef !
(par Charles-Louis Detournay)
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