Alors, la question rituelle : C’est la crise dans la BD ? Pas en 2008 en tout cas. Si l’on en croit la comptabilité de Gilles Ratier publiée dans son rapport annuel pour l’ACBD [dont l’intégralité est téléchargeable intégralement en PDF à la suite de cet article], la production est à nouveau en croissance cette année pour la treizième année consécutive, ce qui augure pour le moins d’un optimisme de la part des acteurs du métier. Il y a d’ailleurs eu davantage d’éditeurs de bande dessinée en 2008 qu’en 2007 : ils sont 261 cette année. Signe que le secteur ne fait pas grise mine.
On constate, comme pour l’année dernière, un tassement –mais pas un recul- des mangas, et une progression de tous les segments du marché que ce soit le franco-belge, la bande dessinée alternative, ou les comics, sans qu’aucun n’empiète sur l’autre. Ce sont surtout les genres classiques, valeurs refuges traditionnelles, qui sont en progression : humour, thriller, histoire,… avec un volontarisme marqué pour les bandes dessinées destinées à la jeunesse. La leçon des mangas semble avoir été retenue.
Comme pour l’année dernière, ce que l’on appelle injustement la « surproduction » (dans d’autres secteurs comme dans le livre jeunesse, dans le jeu vidéo, dans la presse magazine ou dans le cinéma, l’offre est également concurrentielle et pléthorique sans que toute la profession ne se lamente d’une « surproduction »), n’est que le reflet d’une réalité de marché : la recherche permanente de nouveaux segments de clientèle, de nouvelles façons de consommer la bande dessinée est devenue la préoccupation quotidienne des éditeurs.
Une année « Van Hamme »
En même temps, cette année, chacun a renforcé sa position. L’éditeur qui domine l’année de la tête et des épaules en terme de dynamisme est certainement Glénat. Après une année 2007 en demi-teinte, l’acquisition du catalogue d’Albin Michel, la relance de L’écho des Savanes et sa remise sur le marché sous le label Drugstore a été une réussite. Des grands noms refont surface en librairie comme Reiser, Cabu ou Vuillemin. En outre, il a confié à Luc Besson le soin de commercialiser son catalogue dans le milieu du cinéma.
Mais le plus gros producteur reste le groupe Média-Participations qui jouit d’une année exceptionnelle avec les fleurons de son catalogue que sont XIII et Largo Winch, le premier jouissant d’une série spin-off en librairie et d’un téléfilm, le second d’un film en salle et d’un documentaire. C’est une année Van Hamme, absolument.
La chasse aux « lecteurs irréguliers ».
De plus en plus sollicitée, notamment dans les mangas avec des shojos eux-mêmes de plus en plus orientés comme en témoigne le succès récent du Yaoi, la clientèle féminine impulse de nouvelles tendances de consommation. Un « Prix Artemisia » vient depuis deux ans distinguer cette production identitaire.
La conquête des « lecteurs irréguliers » voire des « non-lecteurs » de BD est la nouvelle marotte des éditeurs. Le succès des romans graphiques, les fameux « graphic novels », a conforté pour eux une place inespérée en librairie générale. Ce nouveau marché a provoqué cette année-ci un développement inédit : le re-packaging des BD traditionnelles dans format roman, un peu comme les éditeurs américains de comics l’avaient fait naguère –non sans succès d’ailleurs- avec les tradepaperbacks.
Ainsi, la série Marzi a été repositionnée vers un public adulte précisément dans ce format, et est devenue un succès de librairie alors qu’auparavant, elle était passée inaperçue. Du coup, un bon nombre de titres de chez Glénat passeront dans ce format, comme l’a déjà fait Le Chat du rabbin de Joann Sfar dont le nouveau format s’apparente curieusement à celui de la collection Bayou de chez Gallimard. La raison de cette opération est la volonté de capter le public de la librairie traditionnelle, voire un public de non-lecteurs de bande dessinée, pour l’amener à consommer quand même ce type de littérature. C’est l’ « effet Persepolis ». Ce re-packaging ne marche pas forcément à tous les coups. Selon nos informations, le Tout Tintin de Casterman n’a pas convaincu tous les amateurs et n’est pas sorti aussi rapidement que prévu des rayons.
Dans le registre éducatif, les adaptations en BD d’œuvres littéraires, dont le nombre de titres explose cette année-ci, procèdent du même calcul. À cela s’ajoute un succès croissant dans les ventes de droits à l’étranger. La modicité des coûts de traduction (par rapport à un roman), l’universalité des auteurs proposés (des classiques de la littérature mondiale), de même que l’évolution des habitudes de lecture (lire un gros roman prend trop de temps) sont peut-être en train de faire le succès de ce segment de marché.
Comme pour les années précédentes, les produits dérivés des phénomènes médiatiques du moment (Les Ch’tis, …) continuent à recevoir leur petit succès et recrutent là aussi, le plus souvent, des lecteurs occasionnels de bande dessinée.
Le cross-média, enjeu majeur.
On l’a vu avec la sortie couplée du nouveau Largo Winch de concert avec le film. On le voit aussi chez Ankama, l’éditeur de Dofus (actuellement vendu à 60.000 exemplaires à la nouveauté) qui s’appuie sur ses jeux vidéo et sur ses séries télé produites dans la maison pour animer les ventes de son catalogue. Des matchs de catch couplés avec des sorties d’albums, la mise en commun de communautés complémentaires (les joueurs de Dofus et les spectateurs de la chaîne de télé Nolife, par exemple) sont des exemples d’un dynamisme intelligent et pointu, porteur d’avenir.
Le cinéma participe à cette convergence. Jamais, la bande dessinée n’aura autant été présente avec succès sur les grands comme les petits écrans. Les bons ratings de la mini-série XIII à la télévision, ou du long métrage Largo Winch en salles compensent un Astérix aux Jeux olympiques qui, tout en ayant reçu un accueil médiocre de la part du public, figure dans les meilleures audiences de l’année.
Quant aux films américains tirés de comics, si l’on excepte le retentissant Batman : The Dark Knight qui a dépassé le milliard de dollars de recette (pour seulement US$ 185 millions d’investissement) en faisant le 4ème box office de tous les temps, ils font tellement partie du paysage désormais, qu’on en arrive à oublier de les mentionner. L’année se termine avec un Spirit un peu trahi mais l’année qui s’annonce comporte tellement de nouvelles BD à l’écran (il y en a près de 180 en cours de développement) qu’on ne voit pas pourquoi la tendance faiblirait.
Des éditeurs outsiders sur le marché francophone comme Panini s’en trouvent dynamisés. À l’exemple de L’Association avec Persepolis, même les petites structures profitent de la manne. On évoquera La Vie de Pahé publiée aux éditions Paquet. On peut aussi mentionner la création de la maison de production Autochenille où Joann Sfar et Clément Oubrerie (dessinateur de Aya de Yopougon) ont plusieurs projets en chantier qui feront rimer en 2009 7ème et 9ème art.
La course au numérique.
Entre les développements de moteurs de lecture pour les e-books, les ordinateurs ou les téléphones portables et l’offre récente de centaines de BD sur des supports comme Le Kiosque.fr ou Relay.fr, des ouvrages parfois issus de tout petits éditeurs comme Des Ronds dans l’O, ou directement sur le site de l’éditeur en ce qui concerne les mangas de Shueisha, le coup d’envoi est donné pour l’exploitation de la BD sur des supports numériques. Miroir aux alouettes ? Les éditeurs s’y essaient en tout cas, impressionnés par les progressions de ce secteur en Asie.
En conclusion, avant que ne s’ouvre une année 2009 où la crise financière se traduira probablement par une crise économique, il convient de se rassurer en ce qui concerne le marché de la BD. En période de crise, ce sont les gros achats qui se reportent (une nouvelle voiture, un appartement…), pas les petites dépenses sans conséquence comme les bandes dessinées. On voit difficilement les parents réduire l’argent de poche de leurs enfants (ça, c’est pour le marché des mangas). De la même façon, on offrira plutôt une BD qu’une console de jeu, une moto ou une chaîne Hi Fi.
La bande dessinée a toujours tiré parti des crises. Après tout, quelques-uns des plus grands héros de la BD mondiale : Mickey, Tintin, Popeye, Flash Gordon, Mandrake, Superman, Spirou, Batman,… sont tous nés ou se sont développés à la suite de la crise de 1929.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Gilles Ratier, l’auteur du rapport de l’ACBD. Photo : DR.
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