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Tracé Hergé, l’encyclo-Hergé ratée

Par Patrick Albray le 20 août 1999                      Lien  
Cela aurait pu devenir "la" référence hergéenne ultime, la source à laquelle tout le monde aurait fait appel pour répondre à la moindre réponse relative à l'oeuvre et à la carrière d'Hergé. Par une incompréhensible accumulation d'incompétences, tant au point de vue de la traduction que du suivi éditorial, ce travail de recherche considérable donne un beau livre, certes, luxueux, certes, mais qui dégage une désastreuse impression d'amateurisme.

La forme : le gâchis

Paru à l’origine aux Pays-Bas en langue néerlandaise, "Tracé Hergé" a été "adapté" en français par les Editions Lefrancq.

Il restera, dans les annales de l’édition comme le livre qui a réussi à cumuler la traduction la plus catastrophique et l’adaptation la plus bâclée.

Traduction, tout d’abord. Le texte est truffé de résidus néerlandais : dans la moindre phrase, la version flamande des noms de rues, de villes, de magazines... est systématiquement accolée, sans raison, au nom français (ce qui nous vaut des phrases aussi légères que "Il loua un appartement 103, rue de Livourne Livorno Straat et acheta un espace professionnel tout près de la partie tranquille de l’avenue Louise Louiza laan à Bruxelles/Brussel") ; de nombreux titres sont en néerlandais alors que leur équivalent francophone existe - et pour cause, puisque Tintin paraissait à l’origine en français ; et le plus grave, c’est que le traducteur ne connaissait rien du vocabulaire de la bande dessinée ni de l’édition. Les traductions erronées ou grotesques foisonnent : "colorieuse" au lieu de "coloriste", "bédé" au lieu de "bande dessinée", "bédé-à-épisodes" au lieu de "feuilleton", "photographe de reproduction" au lieu de "photograveur", "album toutes couleurs" au lieu de "album quadrichromie", etc.

La première apparition de Milou, en 1928 >>> 

D’adaptation, il n’y a pas vraiment eu. L’éditeur s’est contenté de prendre le texte néerlandais, de le faire (excécrablement) traduire et imprimer, point. On y trouve des prix en gulden hollandais, des vignettes de Tintin en néerlandais (alors que, bien évidemment, l’équivalent francophone était disponible), des références de publication dans des journaux flamands sans intérêt pour le public francophone. Entendons-nous : il ne s’agit pas de dénigrer les lecteurs néerlandophones, mais de dénoncer l’amateurisme de la version française de ce livre, incompatible avec un ouvrage de luxe payé au prix fort par les lecteurs.

Le fond : étonnant

Le contenu est donc le résultat de quinze années de travail de la part de H. Van Opstal, qui a patiemment noté la moindre petite parcelle d’information qu’il pouvait trouver à propos d’Hergé, de sa vie, de sa carrière, de son travail.

C’est hallucinant ! On y apprend -sans le désordre le plus complet - que son père était un jumeau illégitime, que sa mère mourut dans un hôpital psychiatrique le 19 avril 1946, que la première épouse d’Hergé s’appelait Germaine et qu’en 1940 elle engagea une femme de ménage nommée Lieske, que c’est l’imprimerie bruxelloise Cortenbergh qui imprima le premier numéro du journal Tintin, que sa première bande dessinée, "Histoire sans paroles", parut en 1925, que les frais scolaires pour la première école d’Hergé se montaient à 60 FB. Les informations sont minutieuses, précises, et complétées d’un index. Les nombreuses légendes enrichissent encore le texte par des compléments d’informations et des citations. La structure générale, malheureusement, n’est pas très claire ; ce qui, ajouté à la traduction désastreuse, rend le livre ardu à lire.

L’absence de rédaction proprement dite ne facilite pas la lecture non plus : de nombreux paragraphes sont constituées d’une succession de notes séparées par des virgules, comme si l’on s’était contenté de recopier les fiches de travail de l’auteur pour en faire un texte suivi.

L’iconographie est vraiment impressionnante. Outre quelques dessins inédits (la première bande dessinée d’Hergé, la première apparition de Milou, des documents de la période très contestée de la guerre, etc.), on y trouve de nombreuses photographies anciennes, montrant Hergé dans son intimité, sa vie familiale, son travail. L’auteur s’est amusé à rechercher des "rimes d’images", entendez des illustrations qui auraient pu influencer Hergé. Quelques-unes sont vraiment étonnantes, mais beaucoup sont sans intérêt.
Lorsqu’on voit la qualité des ces documents, la médiocrité de la traduction n’en est que plus condamnable. Dommage : on tenait peut-être l’équivalent du premier "Quid" consacré à Hergé...

Morceau choisi

Cet extrait illustrera nos propos sur l’indigence de la traduction. Il est intégralement reproduit, sans retouche de notre part.

"Fin 1945, il parla à l’éditeur Pierre Ugueux (qui, en 1941, avait déjà introduit chez le PA un projet d’une revue hebdomadaire de Tintin), cette fois accompagné d’André Sinave et Raymond Leblanc - "un résistant notoire." Mais leur projet pour de nouvelles revues belges pour la jeunesse portant les noms de Tintin et Kuifje il donna pas de chance. "J’ai eu longtemps des ennemis (...) après la guerre." De plus, la Belgique d’après-guerre avait suffisamment de revues pour la jeunesse. Mais le trio était fort confiant, disposait d’une attribution de papier, avait déjà les documents requis en poche, et en mai 1946, obtint un Certificat de civisme pour lui par lequel il fut mis hors de portée des poursuites, échappant à toute condamnation, et fut à nouveau en mesure de publier son travail librement. "Je ne sais pas non plus comment j’ai pu y échapper."

(par Patrick Albray)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Les illustrations sont © Moulinsart

"Tracé R.G. - Le phénomène Hergé", par H. Van Opstal - Editions Lefrancq.

 
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