Le titre de cet album réfère à une longue digue blanche qui s’étire en longueur sur une mer d’un bleu azur menaçant. Toute la recherche esthétique et chromatique de l’utilisation du pastel prend ici tout son sens, avec une lumière soignée de poudroiements colorés et de touches veloutées. Chaque case devient la miniature d’un tableau expressionniste. Le scénario de cet album est plus proche du genre romanesque, avec des divisions de séquences en chapitres et des discours lourdement psychologique qui ralentissent l’intrigue. Sur une île lilliputienne qui ne figure sur aucune carte se distingue une énorme et longue digue, presque sans bateaux, décorée de messages cryptiques griffonnés en différentes langues.
Dans ce décor insolite, une nature en furie rythme les passions exacerbées et les désirs inassouvies. On sent à chaque page le poids d’une tragédie grecque où personne n’est maître de son destin. Une femme seule, avec un fils mystérieux au comportement violent, tient un genre d’auberge, attenant à un phare qui ne marche pas . Un homme troublé , perdu dans ce décor dépouillé à l’extrême tente d’établir un contact intime avec les deux femmes différentes qui habitent ce lieu sauvage. Ce triangle, propre à un amour impossible, sera visité par deux intrus en quête d’une expérience érotique rapide qui se termine par un viol aussi rapide que gratuit. L’ambiguïté psychologique des personnages, dans un huis-clos étouffant rend toutes relations humaines intenses et vouées à l’échec. Chaque élément visuel et textuel crée un étrange envoûtement auquel personne n’échappe, surtout le lecteur à titre de confident et de témoin privilégiés.
Tout au long de la lecture, on sent une dépendance littéraire par des citations de Jorge Luis Borges, Chateaubriand, Antonio tabuchi, S. S. Van Dine . et quelques autres. Malgré cet emballage intellectuel un peu forcé, comme une trame sonore incompatible avec la poésie visuelle d’un film aux couleurs soignées, on pénètre dans un univers humainement surprenant. Cet album vaut le détour par l’hommage rendu à Hugo Pratt en 1995 dans un numéro spécial de la revue ( À SUIVRE ) que l’on reprend ici dans les dernières pages. Cette réédition est suivie d’une épilogue pour la défense des cétacés, mammifères marins. C’est une digression et une fin en queue de poisson, mais qui se digère bien.
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