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Trois générations d’auteurs algériens au Festival International de la BD d’Alger

Par Laurent Melikian le 22 octobre 2011                      Lien  
Le Festival international de la bande dessinée d’Alger (FIBDA) s'est déroulé du 5 au 8 octobre 2011. Venus de quatre continents, les invités se réunissaient autour d'un 9e art algérien en renaissance. Trois générations d'auteurs, souvent frondeurs, tentent aujourd'hui de trouver leur public dans un pays encore marqué par une guerre civile dévastatrice.
Trois générations d'auteurs algériens au Festival International de la BD d'Alger
Une affluence à la hausse en 2011

Dans un article annonçant l’ouverture du quatrième FIBDA, nous supposions que le rassemblement algérois pourrait être placé sous le signe de la réconciliation.

C’était pas le cas pour la centaine de bédéistes –terme officiel employé en Algérie pour designer les auteurs de BD- présents. En effet, qu’ils viennent de France, d’Algérie ou d’ailleurs, la réconciliation étaient acquise, sans pour autant négliger la mémoire des drames passés.

Chacun était venu s’inspirer et participer à cette confluence de multiples courants. Activement soutenue par l’État, la manifestation a pour but affiché de favoriser un nouveau développement de la bande dessinée algérienne qui repose aujourd’hui sur trois générations d’auteurs.

Nadjib Berber (à gauche)
et Slim (à droite), deux auteurs de la première génération

Slim , est considéré par certains comme « le père de la BD algérienne. » Il participait goguenard à cette quatrième édition : « Avec le FIBDA,(à prononcer en un seul mot, NDLR)pendant quatre jours, on parle beaucoup de BD dans les médias. On constate qu’il existe un marché. Ça peut donner des idées à des éditeurs ou des sociétés qui pourraient communiquer par la BD, il y a du positif, nous a-t-il confié avant de rajouter :Mais c’est insuffisant. Il faudrait faire d’autres événements plus modestes peut-être, mais réguliers. »

Alors qu’à son indépendance en 1962, le pays avait opté pour une économie socialiste, Slim a commencé sa carrière dans l’hebdomadaire Algérie Actualité en 1966, avant de devenir une figure populaire du pays :« J’ai eu la chance de faire de la BD dans le journal gouvernemental El Moudjahid. Dans un concert de langue de bois, j’étais la seule la seule langue verte. Avec mes collègues, on espérait faire boule de neige… J’ai eu de la chance, jouer au révolutionnaire comporte des risques. »

Le bédéiste Redouane Assari visite l’exposition en hommage à son ami Brahim Gerroui assassiné par un commando terroriste.

Dans les années 1990 quand la lutte entre l’armée algérienne et les groupements islamistes était à son comble, Slim s’est réfugié en France.

D’autres n’ont effectivement pas eu sa chance. Ainsi, son confrère Brahim Gerroui fut assassiné par un commando islamiste le 4 septembre 1995.

Le Festival lui a rendu un émouvant hommage. Aujourd’hui, ces années de plomb sont pudiquement désignées par le vocable de « décennie noire ». La spirale de violence qui a alors happé le pays a sans doute causé la mort de plus de 100 000 Algériens.

Slim a retraversé la Méditerranée en 2007, il publie actuellement une planche hebdomadaire de commentaire d’actualité dans Le Soir d’Alger et aimerait vivement faire de nouveau école.

Las : « Aujourd’hui, il y a 40 quotidiens en Algérie, mais aucun ne publie de la BD » , constate-t-il amèrement.

A deux reprises Mme Khalida Toumi -Ministre de la culture algérienne- (ici en compagnie de Dalila Djamel, commissaire du FIBDA) a visité le 4ème FIBDA et s’est entretenue avec de nombreux festivaliers.

Pourtant, l’Algérie est encore considérée comme le pays le plus prolixe en bandes dessinés de tout le continent africain. Dans leur ensemble, ses citoyens en étaient familiers bien avant 1962 notamment par la lecture des pockets populaires comme Blek le Roc.

Brahim, infographiste sexagénaire venu en visiteur nous confiait : « La jeunesse algérienne pense que nous ne connaissons pas la bande dessinée. Ils se trompent, avant l’indépendance nous n’avions que la bande dessinée pour divertissement ! »

Les auteurs de la même génération que Slim étaient également présents au FIBDA. Dans les années 1970 et 80, ces artistes ont enchantés des millions de lecteurs. Parmi eux Mahfoud Aïder , dessinateur humoristique proche de Slim recevait le Prix d’honneur du Festival.

Abbas Kebir Benyoucef
dans l’exposition consacrée
au 17 octobre 1961

De cette génération, on rencontrait également ceux de l’école réaliste, spécialistes de la bande dessinée historique dont les œuvres sont rééditées par ENAG (l’Entreprise nationale des arts graphiques).

Abbas Kebir Benyoucef notamment vient de publier aux éditions Dalimen , Paris, 17 octobre 1961 .

Son récit retrace une journée qui entache à jamais la Cinquième République française. Ce jour-là, des policiers sous les ordres du préfet Papon, de triste mémoire, ont réprimé dans le sang une manifestation pacifique de travailleurs algériens à Paris. Probablement plus de 200 Algériens périrent sous les coups.

50 ans plus tard, une exposition était consacrée à l’événement. Elle comprenait les planches de Benyoucef, mais également 17 dessins réalisés par 17 dessinateurs français déjà exposés en 2001 à la Conciergerie de Paris.

El Bendir,
nouvelle revue de bandes dessinées éditée par Dalimen.
En couverture, Le Hic propose la BD contre le jerrican d’essence.

Outre les vétérans de la bande dessinée algérienne, la seconde génération faisait aussi acte de présence. On l’appelle la "Génération d’octobre" en référence au soulèvement algérois d’octobre 1988. Par sa révolte qui rappelle celle du « Printemps arabe » actuel, la jeunesse avait alors incité à une brève ouverture démocratique.

Ces bédéistes et caricaturistes ont gardé intact leur impertinence. Le Hic, par exemple dont les dessins sont publiés par le quotidien El Watan ne cesse de représenter le bidon d’essence dans ces gags grinçants.

Lounis Dahmani et Gyps

Ce bidon est le symbole d’une jeunesse désespérée qui, tel le Tunisien Sidi Bouzid en 2010, s’immole comme ultime moyen de protestation. Des drames de ce genre sont devenus fréquents en Algérie.

De la même génération Lounis Dahmani et Gyps qui résident aujourd’hui à Paris profitaient du Festival pour présenter la version algérienne de leur album auto-édité en France :Oualou en Algérie. Leur comédie qui n’épargne personne a été distinguée par le Prix de la BD africaine du FIBDA. Son héros Nadir Oualou est un détective privé catastrophe, fils spirituel de Jack Palmer. Français d’origine algérienne, il mène une enquête burlesque dans le pays de ses parents.

Gyps, scénariste de ce portrait ravageur de l’Algérie contemporaine, le présente comme « un réquisitoire contre la Concorde civile, » cet accord entre l’état et les mouvements islamistes orchestré par le Président Bouteflika qui a ramené la paix sans juger les criminels de la décennie sombre.

Khawla Kouza Houria reçoit
le Prix espoir pour une histoire courte sur la violence conjugale

Enfin, les nouveaux bédéistes algériens étaient les plus nombreux. Pour la plupart ils ont tout juste vingt ans, sont actifs sur Facebook et motivés par un besoin viscéral de toucher les consciences. Une vingtaine d’entre eux ont suivi cet année un atelier de bande dessinée organisé par le FIBDA et animé par le dessinateur belge Étienne Schréder (Amère saison chez Casterman). Le résultat Monstres, un album collectif d’une cohérence exemplaire. Chaque auteur déploie un style personnel pour donner sa vision de la monstruosité. Mieux, certains n’hésitent pas à attaquer frontalement des sujets délicats. Ainsi la bédéiste Khawla Kouza Houria a obtenu le Prix espoir du Festival pour le Prix d’une souffrance, une histoire en six planches qui dénonce les violences conjugales et le non-dit qui l’entoure.

Saïd Sabaou

Cependant, les jeunes auteurs qui ont l’ambition de fait revivre une BD populaire en Algérie passent souvent par la case manga. Comme partout, le graphisme et la narration d’inspiration nippone séduisent en Algérie. Très remarqué pendant le FIBDA Saïd Sabaou, 24 ans, présentait le premier épisode de Mondialé .

Cette histoire d’un jeune algérois orphelin en pleine ascension dans le football, correspond en de nombreux points à un shonen. Saïd Sabaou en parle comme : « une fusion entre le manga et la tradition populaire algérienne ». Ses personnages utilisent l’argot des rues de la capitale. Ils s’entrainent pour entrer au Mouloudia, le plus vieux club de foot d’Algérie. Mondialé est édité par Jil éditions, une structure indépendante créée par l’écrivain Lazhari Labter, par ailleurs spécialiste de la bande dessinée et auteur d’un précieux Panorama de la bande de la bande dessinée algérienne en 2009.

Selim Zerdani

Mais le nœud du problème reste la diffusion et le coût du livre en général dans ce pays. Un album de BD traditionnel est proposé pour un prix supérieur à 500 dinars algériens (environ 5 euros). Les quelques éditeurs de mangas éditent cherchent à se rendre plus accessibles en proposant leur volume pour 250 à 400 dinars. Encore trop juste.

Le constat de Selim Zerdani auteur et éditeur est sans appel : « Au dessus de 150 dinars, les gens préfèrent s’acheter un casse-croûte qu’une lecture pour leurs enfants ». Mais il persiste quand même : « Il faut apprendre la bande dessinée dès le plus jeune âge aux enfants, si l’on veut qu’ils s’emparent de la lecture en général. »

Sous le label Kaza éditions, Selim Zerdani publie Les Petits Fûtés, des magazines au format de poche pour les plus jeunes mêlant jeux et bandes dessinées pour 120 dinars.

Il édite également le manga Le Voyage de la Mouette. L’intrigue principale de cette saga en huit volumes -à 250 dinars l’unité- est réalisée par lui-même. En parallèle, il confie à d’autres bédéistes le soin de développer leurs propres épisodes qu’il insère au fil du récit. Avec pour effet collatéral, la constitution d’un réseau de nouveaux bédéistes.

Matougui Fella,
le shojo façon algérienne

Enfin, Salim Brahimi est un autre acteur de la nouvelle édition algérienne. En 2006, ce journaliste radio de 29 ans a créé par ses propres moyens, le mensuel Laabstore dédié aux jeux vidéo, au cinéma et au DZmanga –autrement le manga algérien, DZ étant l’abréviation de Djazaïr-. : « Les jeunes Algériens sont fous de mangas. Mais à la sortie de la décennie noire, personne n’a voulu de nous , dit-il avec une légère amertume. Alors, nous nous sommes pris en main »

À partir des récits publiés en feuilleton dans Laabstore , Salim Brahimi a déjà publié 9 volumes de DZManga. Avec à la clé une rémunération décente pour leurs auteurs. Certains de ces DZmangas s’adressent au public féminin, d’autres ont été publiés en arabe, la langue des masses populaires.

Pour conclure, Slim et ses 45 années de carrière regarde ses héritiers atteints par l’engouement asiatique avec respect : « Ces gars, on dirait qu’ils vivent dans un pays parallèle au nôtre. Ils ont des habitudes qu’on n’a pas. Ils lisent des mangas qu’on ne lit pas. Et les officiels les méprisent. Tant mieux, ils ne seront pas écrasés comme nous l’avons été. Ils n’ont plus qu’à faire des printemps arabes avec des mangas ! »


(par Laurent Melikian)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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