Ces dernières semaines, la presse BD est une fois de plus en mutation. On nous balance trois titres qui refusent de s’éteindre et un autre qui milite pour le droit de mourir dans la dignité.
L’Écho, tel un phénix, réussit son retour. Né en 1972, relancé en 1982, devenu brièvement hebdomadaire en 1984, il avait interrompu sa parution en décembre 2006 avant d’être finalement repris par Glénat en mars dernier. Au sommaire, quelques habitués : Vuillemin (excellente couverture), Wolinski, Jul, Fred Neidhardt et ses impostures (il a réussi à piéger la Panafieu)… mais aussi des nouveaux venus comme Ralf Koenig, Pedrosa, Ivan Brun ou Fabcaro. Un rédactionnel distrayant et plutôt bien ficelé, privilégiant l’investigation et l’humour. On retrouve même le strip-tease des copines mais, signe des temps, c’est désormais devant le téléphone portable que se fait l’effeuillage.
Que le slogan soit « le journal qui s’amuse à revenir » (2003), « le journal qui s’amuse à lancer un pavé » ou encore « le journal qui s’amuse à renaître de ses cendres », revoici Pilote qui célèbre Mai 68, alors que Goscinny n’avait pas caché sa colère contre l’exubérance qu’elle avait apporté au sein de la rédaction. Le numéro comporte quelques belles embardées, réunissant aussi bien le canal historique (Fred, Giraud, Christin, Mézières, Gotlib, Marie-Ange Guillaume…), les arrivés d’après 1968 (qui n’ont donc pas le statut d’ « ancien combattant ») comme Lauzier, Druillet, Veyron, Goetzinger, Rodolphe…, les petits « nouveaux » (Blutch, Blain avec un « morceau de bravoure » qui rend hommage au Jodelle de Pellaert, Sattouf, Menu, Chauzy, Bourhis, Larcenet et Lindingre…), que la bande à Charlie Hebdo (Jul, Catherine, Riss, Charb…). Remarquons aussi la présence d’illustres graphistes comme Mattotti, Loustal ou Muňoz. Un copieux numéro qui est une espèce de synthèse de Pilote, (À Suivre), Charlie Hebdo et L’Écho des Savanes, bref de la BD de ces quarante dernières années, où l’on voit la « patte » de l’éditrice Gisèle De Haan, ancienne d’Albin Michel. On serait heureux de revoir l’expérience se renouveler plus souvent avec la même « timonière ».
Je passe rapidement sur la nouvelle formule de Spirou qui sort en kiosque le jeudi 17 avril 2008, car nous y reviendrons. Cette fois, c’est l’éditeur Frédéric Niffle qui prend les manettes de Doisy, Delporte, Martens, De Kuyssche, Pinchard, Tinlot et consorts et ainsi de suite, comme disait l’autre dans un Natacha. La maquette est claire, élégante, les informations simplement hiérarchisées. L’ensemble est référentiel au possible : on a intérêt à posséder une solide culture du journal au groom pour en saisir tout le sel. Ainsi, dans « les coulisses secrètes d’une nouvelle formule », une BD signé Yann, Léturgie et Borev, on peut lire un scénario d’une impertinence rarement atteinte depuis les célèbres « hauts de page » qui avaient défrayé la chronique dans les années 1980 au point d’indisposer M. Dupuis lui-même. Dans une fable animalière, les responsables des éditions Darpuis-Longkanard (un parodie à peine transparente de Dargaud-Dupuis-Lombard-Kana, alias Média-Participations), constatent le déclin du journal et choisissent de désigner Frédéric Niffle comme rédacteur en chef, non sans l’avoir fait mariner dans la salle d’attente « pour lui apprendre l’humilité ». Ils sont réunis autour de la table et portent la cagoule d’une mystérieuse confrérie secrète, s’interpellant l’un et l’autre d’un très sentencieux « Frère » (l’un d’entre eux s’appelle même Frère Albert…). Sous leur masque, on devine leur profil d’oiseau de proie. Arrive Niffle, ici représenté en paon prêt à faire la roue : « Je vais exiger les pleins pouvoirs, se dit-il. […] J’exige Larcenet, Zep, Trondheim, Sfar et Franquin ! J’ai des millions d’idées géniales ! » On le voit ensuite rejoindre son équipe éditoriale dans l’hospice « Le Wallon joyeux » où l’on découvre Alain De Kuyssche dessiné en goret, Yann en volatile gâteux affecté d’Alzheimer, tandis que le jeune dessinateur Simon Léturgie, auteur de cette parodie, se représente en Ratatouille sous les ponts de Paris. La parodie est acide au possible, du grand Yann assurément ! Ambitionne-t-il de se faire virer une nouvelle fois ?
Ce n’est pas sans une certaine nostalgie que nous voyons s’arrêter La Lettre de Dargaud, un gratuit distribué en librairie depuis 17 ans, un peu abusivement sous-titré « l’officiel de la bande dessinée ». Il a été en 100 numéros comme une vigie du catalogue Dargaud qui lui permettait de se situer dans la production globale, tout en permettant à ses éditeurs quelques pages d’hommages et de congratulations et quelques appels du pied aux talents d’en face. Rodolphe constate qu’entre-temps, les auteurs ont appris le marketing se mettant au diapason avec leur éditeur et en arrive à regretter le temps du drapeau noir. La raison de cet arrêt ? « L’information se trouve désormais plus rapidement (Internet !) et plus facilement », l’offre éditoriale se trouvant plus facilement en kiosque et en librairie aujourd’hui que naguère. On peut supposer aussi que ces efforts se reporteront effectivement sur le Web où les lecteurs et les auteurs se donnent régulièrement rendez-vous depuis un certain temps.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : La couverture du dernier numéro de Spirou (extrait) . Dessin de Hugo Piette. (C) Dupuis
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