Aude est étudiante en philo et vit une existence tranquille sans anicroche : elle partage son quotidien avec Étienne et rien ne semble pouvoir perturber cette monotone existence. Devenue la baby-sitter de Corentin, enfant sensible et précocement mûr, sa vie bascule. Corentin parvient à la troubler au plus profond d’elle-même et, progressivement, elle se détache de ses proches et se laisse aller à une idylle inédite : l’amour consenti entre une adulte de 22 ans et un enfant de 9 ans.
Du point de vue stylistique, Edmond Baudoin alterne entre narration écrite et bande dessinée, un style où textes et dessins se mêlent, chaque forme d’expression permettant de compenser ce que l’autre ne peut que signifier de façon imprécise. On peut toutefois regretter des formes d’expression écrite quelque peu ampoulées et certaines illustrations frôlant le voyeurisme sans qu’elles n’apportent un surplus de compréhension fondamental.
Au gré de l’évolution de la passion entre Aude et Corentin, tantôt les mots noircissent les pages, tantôt ils s’effacent et laissent place à des dessins eux-mêmes d’un réalisme varié, selon qu’ils évoquent des scènes plus ou moins acceptables socialement.
Car Tu ne mourras pas est surtout l’histoire d’un amour interdit. Et c’est en cela que la lecture de cet ouvrage dérange et suscite l’embarras : un vieux réflexe conservateur nous entraine facilement vers un jugement moral réprobateur. Mais, précisément, les auteurs ont certainement cherché à jouer sur ce premier sentiment pour chercher à le dépasser et ne pas s’enfermer dans un raisonnement conformiste, en mettant les lecteurs face à leur propre perception d’une histoire qui se construit et se consomme sous leurs yeux. Finement, le style adopté, fait de texte écrit puis barré, comme dans un brouillon, ainsi que de dessins tantôt sombres, tantôt clairs, embarque le lecteur dans les propres interrogations de Aude, elle aussi réticente au départ à l’idée de bousculer l’ordre social : cet amour est-il possible ? Cet amour est-il souhaitable ? L’amour peut-il triompher sur ce qui s’apparente à une sexualité déviante ? On en vient presque parfois à oublier qu’il s’agit d’une relation pénalement punie, tant, dans sa description, dans son illustration, et surtout par l’intensité des sentiments qui lient les deux amants, elle ne parait, finalement, pas plus "anormale" qu’une autre. On peut cependant s’interroger sur la possibilité d’écrire une histoire similaire qui aurait pour héros un homme adulte et une petite fille... Il n’est pas sûr que notre lecture fût aussi indulgente.
Entre réussite stylistique et réflexions gênantes sur ce qu’il est permis de faire avec ses sentiments, Tu ne mourras pas provoque des sentiments contradictoires, mais c’est sans doute là sa première réussite.
(par Damien Boone)
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